Opération de promotion racoleuse en même temps que tribalisme réel, Alain Soral, chef de l’association « Egalité et Réconciliation » et le polémiste Ismaïl Ouslimani connu sous le pseudonyme du « Raptor Dissident » ont décidé de se taper dessus en mode MMA.
Se taper dessus, c’est mal et idiot, voilà pourquoi nous refusons le MMA ; de la même manière, tout cela n’est qu’un écho grotesque de la démarche déjà mise en place par des youtubeurs parmi les plus célèbres, comme KSI.
Ce racolage et cette brutalité sont strictement parallèles au succès de Donald Trump, à la décadence de la société américaine, avec son culte de l’individualisme, de l’affirmation du moi.
Alain Soral aime se mettre en avant de manière narcissique en vantant sa soi-disant production d’écrivain et d’intellectuel et le Raptor Dissident s’aime tout autant, en jouant pareillement sur l’imagerie viriliste et agressive, avec des vidéos saccadés et insultantes, tout à fait dans l’esprit vain et vaniteux de l’époque : en 2017 il avait cumulé 25 millions de vues uniques, avec 500 000 abonnés.
Dans les deux cas, c’est le règne de longs monologues dans lesquels le youtubeur déroule, de manière unilatérale et avec un style outrancier et vulgaire, des réflexions populistes prétentieuses entendant « démasquer » les apparences.
Avec des photos d’eux partout et une réflexion sans aucune référence intellectuelle, que ce soit à des penseurs ou à l’histoire, on est dans l’idéologie décadente facebook-instragram-snapchat. Ce ne sont pas tant des fachos ou des conservateurs que des sous-produits de la destruction de la pensée. Il est vrai toutefois que c’est la nature inévitable justement des fachos et des conservateurs qu’être de tels sous-produits, des reflets du vide capitaliste.
Il n’est donc guère étonnant qu’ils se bouffent entre eux. Le parcours du Raptor dissident en dit d’ailleurs très long. Né dans les années 1990, ce dernier a d’abord été actif sur le forum de jeuxvideo.com, qui est devenu au tournant des années 2010 un véritable espace d’expression pour une partie de la jeunesse attirée par l’affirmation dissidente de contre-modèles réactionnaires : identitaires, populistes ou islamistes en particulier.
Cette jeunesse, peu structurée politiquement et de plus en plus culturellement vide, offrait un public au potentiel énorme pour des agitateurs comme Dieudonné ou Alain Soral, qui apparaissaient porter cette volonté de rompre avec le « système », dans un style d’autant plus accessible qu’il était outrancier, vulgaire, prenant des cibles faciles comme la gauche post-moderne, petite-bourgeoise et insupportable de bout en bout.
C’est donc de là qu’a émergé progressivement le Raptor dissident, qui a su développer un style partant dans tous les sens, mais se présentant justement comme animé d’une sorte de foi chevaleresque pour les valeurs.
Et justement, donc, le Raptor Dissident, fort de son succès dépassant sur YouTube celui de l’association « Égalité et Réconciliation », a fini par attaquer Alain Soral par une vidéo publiée début juin compilant durant 40 minutes des extraits de celles d’Alain Soral pour mettre en avant certaines de ses contradictions, réfuter sa ligne jugée pro-islamiste et immigrationniste, l’accusant d’être marxiste.
La sortie de la vidéo a été prévue et annoncée des semaines à l’avance et répondait sans doute à un programme, une sorte de plan de carrière que le Raptor Dissident commence à dessiner. Celui-ci en effet met en avant, outre ses « idées », ses activités sportives, c’est-à-dire la musculation, le dopage et les sports de combat. La salle de musculation permet justement d’affirmer le narcissisme et la virilité supposée, mais cela ne suffit pas. Il faut le buzz.
D’une manière générale, l’esprit de « clash » est largement mis en avant sur YouTube, où certaines personnes ont gagné une réputation uniquement en postant des vidéos d’insultes, comme ce fut le cas pour Morsay, un commerçant des « puces » à Clichy connu pour son style extrêmement vulgaire notamment face à un identitaire nommé Vincenail qui s’est effacé depuis.
Pour Alain Soral, cette attaque était insupportable, sa situation étant devenu précaire. Par son style, ses outrances et ses attaques volontiers ad nominem ou allant même jusqu’à la promotion à peine voilée de l’idéologie nationale-socialiste, Alain Soral a forcément fini par avoir maille à partir avec les institutions bourgeoises et même avec YouTube. Ce qui a bien entendu encore plus alimenté sa propre paranoïa complotiste le poussant toujours davantage vers des outrances de plus en plus difficile à assumer pour certains de ses soutiens ou son public.
Sans parler des prises de position littéralement délirantes comme son soutien à la Corée du Nord, son appel à Poutine pour envahir la France et son offre de collaborer avec une éventuelle occupation russe, en assumant d’ailleurs explicitement et avec un air manifestement amusé de sa provocation, toute la charge du terme renvoyant à Vichy sinon même à ce que fut le milieu de la Collaboration en tant que tel à Paris.
Après avoir pu capitaliser sur son succès internet, et réussi à organiser un public, en grande partie aussi grâce au soutien de l’humoriste décadent Dieudonné et en comptant aussi sur l’appui d’un certain nombre de groupuscules et de réseaux de l’extrême-droite, gravitant autour du Front National, de la mouvance catholique traditionaliste ou nationale-révolutionnaire, les énergies qu’il a pu capter sont en réalité en train de s’épuiser.
Toutes ses tentatives politiques ont abouti à des échecs cuisants et son ego vaniteux agressif et vulgaire ne lui a pas permis de densifier et de maintenir quelque chose qui pourrait s’apparenter à un parti. Le Raptor dissident entend en quelque sorte clouer le cercueil politique.
Évidemment, le doute existe encore comme quoi c’est une mise en scène, une division du marché, les deux tapant dans des créneaux différents, Dieudonné connaissant les deux et se proposant par ailleurs comme entremetteurs.
Cependant, le style en dit long. On est ici dans le tribalisme, l’absence d’ordre dans l’esprit, de mesure dans l’analyse, de valeurs bien circonscrites intellectuellement, de clarté dans l’expression. On est dans la manipulation émotionnelle, dans le racolage le plus éhonté, la quête du buzz.
Que l’extrême-droite témoigne ici qu’elle n’a rien à voir avec les apports de la France à la civilisation humaine, qu’elle corresponde en tous points au style décadent du capitalisme moderne… est plein de leçons.