Un troisième aspect du projet : la situation internationale.
De par le titre du document de préparation de fondation du nouveau parti, La guerre en Ukraine et l’accélération des tendances aux crises, guerres et révolutions, on s’attend à ce que « Révolution permanente » pose les choses stratégiquement au niveau des rapports internationaux.
Ce n’est pas le cas, ce qui avait déjà été analysé ici (Guerre en Ukraine: l’absence d’autocritique de « Révolution permanente »). En effet, la guerre n’est jamais conçue comme inéluctable, mais toujours seulement comme un chemin possible, plus exactement comme une péripétie.
La présentation du document est la suivante :
« La guerre en Ukraine a exacerbé les tensions géopolitiques entre les principaux pôles du système mondial, tout en ouvrant la perspective d’une grave crise économique. Des éléments qui accélèrent les tensions et la crise des régimes et laissent présager de nouvelles explosions de la lutte des classes. »
C’est l’inverse qu’il eut fallu dire. Il n’aurait pas fallu dire :
« La guerre en Ukraine a exacerbé les tensions géopolitiques entre les principaux pôles du système mondial, tout en ouvrant la perspective d’une grave crise économique. »
Mais :
« Une grave crise économique ouvre la perspective de tensions géopolitiques entre les principaux pôles du système mondial, qui a exacerbé la guerre en Ukraine. »
Pareillement, il n’aurait pas fallu dire :
« Des éléments qui accélèrent les tensions et la crise des régimes et laissent présager de nouvelles explosions de la lutte des classes. »
Mais :
« De nouvelles explosions de la lutte des classes laissent présager la crise des régimes et les tensions qui accélèrent les éléments [mentionnés]. »
A voir une telle introduction, qui renverse la réalité, on comprend la nature du document, qui est une simple analyse « géopolitique ».
Le coeur de l’économie politique proposée c’est de dire que la situation est mauvaise :
« Plus la base matérielle deviendra restreinte, plus la lutte entre les classes et les groupements différents pour le partage des revenus nationaux sera acharnée. »
Et d’ensuite d’expliquer que par conséquent des choses vont se passer, et d’essayer de les deviner au moyen d’évaluations « géopolitiques ». Il y a ainsi des lignes et des lignes sur la situation des fronts militaires dans le conflit en Ukraine, sur ce que fait telle puissance, ce que fait telle autre puissance, etc.
Ces analyses « géopolitiques » sont le plus souvent fausses d’ailleurs : il est expliqué que la superpuissance américaine ne veut pas une défaite complète de la Russie et essaierait même par conséquent de calmer le régime ukrainien ! Mais comment peut-on dire une chose pareille ?
Il en découle, forcément, qu’est alors dénoncé la thèse comme quoi nous assistons à la troisième guerre mondiale, thèse défendue sur agauche.org.
« Révolution permanente » dit ainsi :
« La dynamique de la guerre en Ukraine, et en particulier les premières difficultés de l’armée russe, ont conduit les États-Unis à la percevoir comme une opportunité stratégique d’affaiblir la Russie, de mettre l’UE sous leur commandement en revitalisant l’OTAN, et de se positionner dans le conflit avec la Chine en alignant ses alliés dans cette lutte pour l’hégémonie.
C’est pourquoi, bien que du point de vue de l’action militaire, il soit resté strictement limité au territoire ukrainien (c’est-à-dire que nous ne sommes pas confrontés à une « troisième guerre mondiale » comme certains le disent), il s’agit d’un conflit de dimension internationale. »
On lit également :
« La guerre entre l’Ukraine et la Russie a accéléré la dislocation de ce qui restait de l’ordre mondial jusqu’au début de cette année. Toutefois, nous ne sommes pas encore entrés dans la troisième guerre mondiale, qui ne se produirait que si les grandes puissances, telles que les États-Unis, la Chine et la Russie, s’affrontaient ouvertement. »
C’est là une analyse formelle et fausse. Croire que la troisième guerre mondiale commence quand les protagonistes déclarent la guerre officiellement, c’est en rester à la forme et rejeter le fond, c’est ne rien comprendre au marxisme.
Affirmer que la guerre en Ukraine est un « conflit de dimension internationale » est une stupidité qui découle d’une telle approche.
Et que propose par conséquent « Révolution permanente » ? Eh bien puisque l’enjeu n’est pas la guerre mondiale, ce sont les revendications sociales : il faut faire mieux que les néo-réformistes.
« Révolution permanente » s’imagine ainsi révolutionnaire, alors que c’est une variante du néo-réformisme, comme en témoigne son incompréhension des enjeux historiques.
Cela se lit avec ce point mis en avant, qui est une citation de propos de Claudia Cinatti lors de la discussion internationale du 19e congrès du Parti des Travailleurs Socialistes d’Argentine :
« Depuis la crise capitaliste de 2008, il y a eu deux grandes vagues de lutte de classe, qui se sont étendues au niveau international avec des inégalités. La première, en réponse directe aux effets de la Grande Récession, a connu son point culminant avec le Printemps arabe, une rébellion généralisée contre les dictatures arabes pro-américaines, déclenchée par rien de moins que la hausse du prix du pain.
Cette vague a trouvé son expression en Europe avec le mouvement des Indignados en Espagne et les dizaines de grèves générales en Grèce, capitalisées surtout par les organisations néo-réformistes comme Podemos et Syriza.
La deuxième vague a commencé en France en 2018 avec la mobilisation des gilets jaunes contre la hausse des carburants, qui s’est transformée en une rébellion majeure contre le gouvernement Macron.
Cette vague a atteint l’Amérique latine avec le soulèvement en Équateur (contre la hausse du prix des carburants ordonnée par le FMI), les protestations et grèves nationales en Colombie et la révolte au Chili en octobre 2019, qui aurait pu ouvrir la voie à la révolution mais n’a pas dépassé le caractère de révolte, canalisée par la Constituante puis par le gouvernement Boric.
Cette vague s’est interrompue à cause de la pandémie de coronavirus, mais après les premiers confinements, la lutte des classes est revenue en force, aux États-Unis notamment, avec le déclenchement du mouvement Black Lives Matter, un processus de mobilisations en réponse au meurtre de George Floyd, un Afro-américain tué par la police, auquel plus de 25 millions de personnes ont participé.
Dans le contexte d’inégalité et de précarité croissantes aggravé par la pandémie, l’inflation – qui touche surtout les prix des aliments et des carburants – agit comme un déclencheur de conflits sociaux et politiques.
Nous voyons ainsi déjà les premières réponses ouvrières et populaires à cette nouvelle situation. Elles vont de luttes pour les salaires chez des secteurs de la classe ouvrière organisée à des révoltes et des soulèvements. »
Les gilets jaunes, première expression d’une vague révolutionnaire mondiale, qui aurait réussi « une rébellion majeure contre le gouvernement Macron?
Quel fantasme ! Voilà où mène le rejet de la compréhension réelle de la situation mondiale, qui est celle de la bataille pour le repartage du monde.