« Relativisme, mercantilisme, subjectivisme, individualisme, mépris du travail et nihilisme : telles sont les valeurs véhiculées par l’art contemporain. » Ces propos sont indéniablement justes et sont, mot pour mot, ce qu’on peut lire sur agauche.org depuis longtemps à ce sujet.
L’intérêt de la citation est toutefois qu’il vient du blog des « Jeunes pour la Renaissance Communiste en France », d’un article en trois parties intitulées Classiques ou avant-gardistes, quelles formes pour un art populaire et révolutionnaire au XXIe siècle? (ici, là et là). C’est une très bonne chose qu’enfin, il n’y ait pas qu’agauche.org pour combattre l’art contemporain.
Si jusqu’à présent, c’est le cas, c’est pour une raison de classe. L’art contemporain, c’est une forme qui est tout à fait adaptée à la société de consommation. Partant de là, quiconque admet la société de consommation est obligé d’être ouvert à l’art contemporain. Du moment qu’on dit que tout le monde choisit ce qu’il veut comme il veut, alors forcément les goûts et les couleurs, ça ne se discute pas.
Malheureusement, c’est ce qui pose problème dans l’article mentionné. S’il rejette l’art contemporain, il lui laisse la porte ouverte. Il fait ici une erreur traditionnelle. Se doutant que l’art contemporain va « trop loin », il lui ferme la porte. Pour autant, il accorde tous les droits à tous genres d’art délirant qui s’éloignent du réalisme. Or, tous ces arts mènent directement à l’art contemporain! L’image suivante, excellente, exprime très bien comment, une fois qu’on a rejeté le réel, on passe du côté du subjectivisme le plus fou.
L’article en question dit que tout ce qu’on trouve (ici sur l’image) entre le réalisme du début et le post-moderne à la fin, ce serait bien, ce serait de « l’avant-garde ». Sauf qu’à partir de l’impressionnisme, ce premier art bourgeois, tout mène à l’individualisme de plus en plus étalé. On ne peut pas dire : il existe une tradition artistique et il faut la préserver, même quand on la renouvelle il faut la préserver… et en même temps dire qu’il faut s’éloigner des codes, les rejeter.
Paradoxalement, c’est ce que fait l’article. Il pose une contradiction entre classique et avant-garde, et prétend qu’il serait marxiste d’unifier les deux contraires. L’avant-garde permettrait le renouvellement du classique.
C’est là le contraire du marxisme pourtant : une contradiction est un affrontement des contraires. Tout comme on ne peut pas faire un mix du capitalisme et du socialisme, on ne peut pas mélanger le réel (collectif et personnel) à la fantasmagorie (individuelle). Et d’ailleurs les « avant-gardes » artistiques ont toujours assumé d’entièrement rejeter le classique.
L’article dit qu’il a une preuve. Cette preuve, ce serait l’échec du réalisme socialiste en URSS. On lit ainsi :
« Si celui-ci [le réalisme socialiste] a permis une rationalisation salutaire de la production artistique soviétique, certaines orientations, impulsées notamment par Jdanov, ont pu conduire celui-ci dans les écueils du normativisme et de l’académisme, en fermant la porte à toute forme d’innovation et d’influence étrangère.
Ainsi, faute d’avoir su penser la relation dialectique qui unit le classique et l’avant-garde, le jdanovisme a en partie stérilisé, dans les quelques années qui suivent la Seconde guerre mondiale, la création artistique soviétique. »
Est-ce vrai ? Pas du tout. Voici quelques œuvres soviétiques de l’après-guerre. Car on peut facilement mentionner des œuvres dans différents domaines, comme l’architecture ou la sculpture, la musique ou la danse. Et c’est vrai dans les démocraties populaires de l’Est de l’Europe, par exemple avec le sculpteur hongrois Kisfaludi Strobl ou l’architecture est-allemande.
Mais il ne s’agit pas seulement d’un préjugé sur l’URSS de l’après-guerre. Il s’agit d’une incompréhension de la théorie du reflet, qui expose que l’art est une synthèse artistique de la réalité, et rien d’autre.
L’idée qu’il faudrait chercher quelque chose d’individuel en plus du réel… relève de la bourgeoisie. D’ailleurs, l’article sur les « classiques et les avant-gardistes » ne fait que reprendre la conception de Roger Garaudy. Celui-ci avait parlé d’un « réalisme sans rivage ».
Cela n’a abouti à rien, bien sûr. Mais Roger Garaudy était le grand philosophe français du PCF de l’après-guerre. Lui et l’écrivain Aragon, avec Picasso aussi, ont poussé le PCF à suivre cette voie improductive, qui fut d’ailleurs le premier prétexte à la révolte maoïste chez les étudiants communistes.
Déjà, à l’époque, la petite-bourgeoise artistique tentait de sauver les « avant-gardes ». Là, on a la même chose. Voici ce que dit l’article dans sa tentative d’unir classique et avant-garde:
« La forme classique, c’est celle qu’on emprunte à la tradition, celle qui est codifiée et régulée d’une telle manière qu’elle doit garantir la juste mesure indispensable à la cohérence de l’œuvre, autrement dit de son harmonie (qu’on assimile à la perfection). Elle a vocation à mettre en valeur l’héritage culturel des anciennes générations afin de le transmettre aux nouvelles.
[Faux. Une forme classique n’a pas vocation à mettre en valeur l’héritage culturel, elle est cet héritage culturel.]
A l’inverse, la forme avant-gardiste est précisément celle qui rompt avec la tradition, celle qui s’affranchit des codes et des règles héritées du passé. Elle cherche la beauté non pas dans ce qui est permanent et intemporel (harmonieux), mais au contraire dans ce qui est moderne, éphémère et inconstant, dans ce qui est sujet à la vitesse et au mouvement. Celle-ci se conçoit comme une expérimentation qui vise à dépasser les contradictions de notre héritage culturel face à l’évolution du monde.
[Faux. L’avant-gardisme n’a jamais prétendu rechercher la beauté, mais toujours une « vérité » individuelle. Pour l’avant-gardisme, le « beau » est toujours un obstacle à l’individu s’exprimant dans sa dimension « unique ».]
Maintenant que nous avons clarifié les termes de notre problématique, comment y répondre de la façon la plus juste ? Nous sommes ici face à une contradiction apparemment insoluble. Et lorsqu’on se retrouve confronté à une contradiction, il est un écueil dans lequel on peut très facilement se laisser prendre au piège : celui de l’attitude métaphysique.
En effet, face à une telle contradiction, il peut être tentant d’opérer une opposition dualiste du type « le classique c’est le classique et l’avant-garde c’est l’avant-garde ».
Alors certains jugeront qu’un art populaire et révolutionnaire doit être purement classique car il devrait être le digne représentant de l’héritage culturel de notre patrie et de toute l’humanité, ce qui exclurait d’avance toute fantaisie novatrice qui porterait atteinte à la pureté de cet héritage.
[Faux. L’art n’est pas « populaire et révolutionnaire ». Il est un produit historique.]
D’autres encore jugeront que celui-ci doit être strictement avant-gardiste car il devrait se faire l’écho superstructurel des grands bouleversements de la révolution sociale, ce qui exclurait d’avance toute forme de rationalisation harmonieuse qui entraverait la spontanéité artistique de la révolution.
[Faux. L’avant-gardisme ne prétend pas que l’art doit se faire « l’écho superstructurel », mais que l’art est en soi la révolution.]
Il faut le dire : cette façon de poser le problème est étrangère au marxisme.
[Faux. Le marxisme n’unifie pas les deux aspects de la contradiction.]
Et comme en tout domaine, ce qui nous permettra de résoudre au mieux ce problème, c’est précisément d’adopter une attitude marxiste, c’est-à-dire de penser la contradiction de façon dialectique. En effet, nous verrons d’une part qu’une œuvre ne peut devenir classique sans rompre avec la tradition, et que d’autre part un art d’expérimentation ne peut jouer pleinement son rôle d’avant-garde s’il exclut toute régulation et toute référence à la tradition.
[Faux. Le classique ne rompt avec la tradition, sans quoi il y aurait plusieurs types de classique, ce qui n’a pas de sens. Quant à l’art d’expérimentation, c’est une fantasmagorie petite-bourgeoise.]
Par conséquent, un art populaire et révolutionnaire, dialectique aussi bien quant à la forme et au contenu, ne saurait considérer le classique et l’avant-garde comme deux ennemis irréconciliables.
A l’inverse il ne peut les concevoir autrement que comme deux forces complémentaires qui, combinées intelligemment, forment le moteur de la créativité artistique d’un peuple qui s’éveille à la souveraineté. »
Quelles horreurs on peut dire au moyen de ces concepts absurdes de « dialectique » de la forme et du contenu, du sujet et de l’objet ! Il suffit pourtant de lire les classiques de la gauche historique pour voir qu’il n’est jamais parlé de « forme et de contenu », « de sujet et d’objet ». C’est de l’idéalisme que tout cela.
Le même idéalisme qui a été celui des « avant-gardistes » mexicains, dont la peintre Frida Kahlo. Communistes, ces peintres ont offert de nombreuses œuvres à l’URSS après la guerre. Sauf qu’on était là dans le pseudo « art » avant-gardiste à l’opposé du réalisme socialiste ! L’URSS a dit merci, merci et s’est empressé de mettre les œuvres dans une cave : hors de question d’exposer ça.
Ne nous laissons pas piéger par les valorisations intellectuelles et journalistiques d’obscurs « avant-gardistes », furent-ils soviétiques. Les petits-bourgeois radicaux survendent des expérimentations « ultras » qui ne sont que des anecdotes historiques.
Ce qui compte c’est l’héritage culturel historique, c’est le vrai point de repère. Et en France, on parle ici de Molière, de Racine, de Balzac, de Bernanos, car la culture de notre pays c’est avant tout le fin portrait psychologique. Voilà ce qui est français et fusionnera avec la culture mondiale, dans le socialisme où il n’y aura plus nations, ni langues différentes, ni couleurs de peau différentes, mais une humanité unifiée !