Le texte « Pour un printemps du communisme » avait été proposé par des adhérents du PCF comme base commune alternative en vue du congrès extraordinaire 23 au 26 novembre 2018. Il n’a recueilli lors du vote du début octobre que 3 607 votes, soit 12% des suffrages.
Ce texte est une proposition qui représente une tendance très critique vis-à-vis du communisme et de l’héritage de l’URSS.
Tout à fait postmoderne, il ne s’inscrit aucunement dans la tradition du mouvement ouvrier et l’héritage de la classe ouvrière. Il reflètent le point de vue de gens participant ou ayant participé à des fronts communs « anti-libéraux » et voulant une alliance avec la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon. Il est quasiment illisible de par l’emploi massif de l’écriture « inclusive ».
Se réinventer ou disparaître ! Pour un printemps du communisme.
Nous sommes extrêmement inquiet·e·s à la lecture du projet de base commune soumis aux communistes par le Conseil national. Dans une situation de très grande difficulté pour notre Parti, devenu manifestement inaudible des classes populaires, le Secrétaire national avait annoncé sa volonté de faire du 38ème Congrès celui de notre « réinvention ». Ce mot très fort, à la hauteur de la situation, promettait un travail de complète remise à plat de nos conceptions, de notre projet, de notre organisation et de nos pratiques. Il impliquait une analyse sans concession des causes de notre grave affaiblissement, sur le long terme autant que dans les années récentes. Il devait ainsi permettre de déboucher sur les changements profonds qui nous permettraient de jouer à nouveau un rôle significatif dans la vie politique de notre pays.
Or le texte proposé ne tient pas ces engagements. De façon incompréhensible, c’est à peine s’il mentionne les difficultés auxquelles nous sommes confronté·e·s : comme si tout allait bien ou pas trop mal pour notre combat communiste ; comme si l’affaiblissement important de notre collectif militant, la diminution du nombre de nos élu·e·s, ou nos derniers résultats électoraux nationaux (1,93% à la présidentielle de 2007, 2,72% aux législatives de 2017) ne caractérisaient pas une situation critique.
Cette négation des obstacles à surmonter débouche inévitablement sur l’absence quasi totale d’innovation. La plupart des 48 « thèses » présentées ne font que reprendre des idées générales bien connues des communistes, sans aucune rupture avec nos textes de congrès précédents : analyse du capitalisme contemporain et exigence de son dépassement ; confrontation de classes en France et défense stratégique des « acquis » ; enjeux de la bataille idéologique et objectifs de rassemblement populaire ; importance des luttes et de victoires mobilisatrices ; nécessité d’une organisation communiste de masse et de l’amélioration de son efficacité… Ce texte ne répond donc en rien à l’objet d’un congrès « extraordinaire ». Quelles sont les causes de la situation dramatique dans laquelle nous nous trouvons ? Que devons changer de nous-mêmes, que devons-nous inventer et faire de nouveau pour redonner un avenir à notre combat ? À ces questions vitales, le texte ne répond pas car il ne les pose même pas. Pour l’essentiel, il propose de continuer comme avant, et, sur la stratégie, en revient à une tentative que nous avons faite sans succès voici plus de trente ans.
Quatre faiblesses majeures marquent la proposition de base commune du Conseil national.
1. La crise du communisme occultée
Le texte affirme que « le communisme est à l’ordre du jour de ce siècle », mais il ne dit pas un mot sur la crise profonde que traverse le mouvement communiste dans le monde depuis le tournant du XXIe siècle. Dans le cadre d’un congrès extraordinaire, nous ne pouvons faire l’impasse sur le fait que l’expérience soviétique, notre proximité historique avec l’URSS et l’échec des régimes de l’ancien bloc de l’Est aient durablement terni l’image du communisme et de notre Parti dans les esprits de la majorité de notre peuple. Il est encourageant de voir que selon un récent sondage, la jeune génération croit davantage à l’actualité du communisme que la génération de la guerre froide (« 72 % des 65 ans et plus estiment que le communisme est “dépassé”, contre 50 % parmi les 18-24 ans », dont 32 % pensent que le communisme est d’actualité). Il reste que seulement 18 % des personnes interrogées perçoivent les idées communistes et marxistes comme une « alternative crédible au système économique actuel ».
Comment réhabiliter la pratique et la théorie communistes pour qu’elles redeviennent porteuses d’espoir de changements réels ? Comment mettre en valeur les apports du communisme en France et dans le monde — apports dont nous pouvons être fier·e·s —, tout en reconnaissant les impasses du modèle soviétique ? Nous estimons que nous ne pouvons nous réinventer sans nous confronter directement à ces questions. Si nous voulons nous libérer des étiquettes étatistes, autoritaires, productivistes et autres, il faut redéfinir les propositions phares de notre projet. Si nous voulons être pleinement dans les luttes du XXIe siècle, il ne faut plus hiérarchiser les mobilisations, mais attribuer autant d’importance politique aux luttes « de classes » qu’à celles qui visent à l’émancipation des dominations liées au genre, aux prétendues « races », à l’orientation sexuelle, à l’environnement, etc. C’est donc à ces questions que nous consacrons la première partie de notre proposition de base commune alternative.
2. Une « orientation révolutionnaire » prisonnière de l’électoralisme
La proposition du Conseil national affirme en préambule « la nécessité du dépassement du capitalisme » et appelle à une « orientation révolutionnaire visant à sortir enfin de la société de classes ». Ce sont des idées centrales du projet communiste depuis le Manifeste de Marx et Engels. Cependant, au-delà de ces affirmations générales, le texte ne propose aucun renouvellement de ce que cela signifie d’être révolutionnaire aujourd’hui. Sans adapter notre stratégie révolutionnaire aux réalités de notre époque à partir d’une analyse précise des conditions économiques, politiques et sociales du capitalisme contemporain, nous ne serons révolutionnaires qu’en idée. Certes, il est bien question de « processus révolutionnaire » et non plus de grand soir. Le texte affirme aussi que « notre stratégie de conquête de pouvoirs ne se limite pas à l’État national » mais vise aussi la conquête de pouvoirs à l’échelle des entreprises, des collectivités, de l’Union européenne, etc (thèse 26). Cependant, le contenu de ces pouvoirs n’est jamais explicité, ni le chemin pour les conquérir. De fait, en donnant la priorité à la conquête du pouvoir d’État (thèse 25) et au fait d’avoir des élu·e·s dans les institutions (thèse 27), la « stratégie révolutionnaire » proposée par la direction reste prisonnière de l’illusion électoraliste — et ce sans même poser la question de l’effet de nos alliances électorales avec le PS sur notre crédibilité révolutionnaire.
Nous pensons quant à nous que, si toutes les conquêtes possibles de positions institutionnelles et de pouvoirs sont indispensables, la question du pouvoir d’État doit être articulée à ce que nous appelons, avec Marx et Jaurès, une « évolution révolutionnaire » qui dépasse le cadre des institutions. C’est pourquoi, dans une seconde partie de notre proposition de base commune alternative, nous avançons une nouvelle conception du processus révolutionnaire, remettant la question de la prise et de la transformation des pouvoirs institutionnels et du pouvoir d’État à leur place dans une « évolution révolutionnaire » visant prioritairement en tous domaines l’hégémonie des classes salariales et de l’ensemble des dominés.
3. Une stratégie à géométrie variable
Là aussi, l’absence de réflexion sur 40 ans de tentatives sans succès a de lourdes conséquences. Même l’échec du Front de gauche est expédié en quelques lignes, sans analyser les raisons pour lesquelles, dit pourtant le texte, « de 2012 à 2015 nous n’avons pu ou su renforcer le FG, ni faire de la profonde aspiration à l’unité de ses sympathisants, une force de cohésion empêchant son éclatement et élargissant sa dynamique ». Faute de réussir à lire et comprendre cette très longue et riche page de notre histoire, le Conseil national se condamne dès lors lui-même à la répéter. Comme en 1985 avec le « Nouveau Rassemblement Populaire Majoritaire » décidé par le 25ème Congrès (qui faisait suite au virage libéral de F. Mitterrand et notre sortie du gouvernement d’union de la gauche), il tire un trait sur l’objectif d’une construction politique à gauche. A la place, et sous couvert de « plasticité », il propose des constructions « évolutives et multiformes » (thèse 28) avec soutien aux luttes, espaces locaux ou thématiques « autour de nos propositions communistes », et forum politique national permettant des « campagnes communes » et des « constructions programmatiques ou électorales » avec des partenaires différents selon les cas (thèse 32). La stratégie à géométrie variable devient ainsi la règle. Et comme au 25ème Congrès, passe à la trappe l’idée même d’une construction politique durable à gauche. N’est-ce pas pourtant ce qui a permis de recréer l’espoir en 2012 avec, pour la première fois depuis 1981, un score du Front de gauche au-dessus de 10 % ? Et malgré les hésitations et atermoiements, de permettre la percée de J.-L. Mélenchon à près de 20 % en 2017 ? Nous pensons au contraire qu’il faut imaginer une construction politique nouvelle assurant la pleine autonomie et liberté d’action de chacune de ses composantes, tout en permettant de faire « Front commun » contre la droite et l’extrême droite. Nous y consacrons la troisième partie de cette proposition alternative.
4. Le retour au parti d’avant-garde
La critique essentielle qu’appellent les propositions du Conseil national pour transformer l’organisation du Parti est que, sur le fond, elles ne transforment pratiquement rien. De la conception générale aux propositions concrètes, ce que ce texte envisage aurait pu être écrit exactement de la même façon il y a dix ou vingt ans : mise en mouvement populaire, organisation des dominé·e·s et de la jeunesse, parti de masse présent sur les lieux de vie et de travail, importance de la formation, nécessité de grandes campagnes dans la durée, réseaux thématiques, directions plus démocratiques et efficaces, etc. Le seul ajout, hormis quelques aspects pratiques, concerne l’utilisation devenue incontournable des outils numériques. Pourtant, la nécessité d’inventer un nouveau processus révolutionnaire doit aboutir à une tout autre forme d’organisation de notre Parti. Il s’agit de passer d’un parti d’avant-garde, tachant de faire passer ses « propositions communistes » dans les masses, à une organisation qui permette aux femmes et aux hommes concrètement mobilisés dans les luttes de prendre leurs affaires en main et de décider directement en tous domaines et en toutes circonstances. C’est l’objet de la quatrième partie de notre texte.
A nos yeux, ce congrès est vraiment celui de la dernière chance. Beaucoup de communistes sont désemparé·e·s et démotivé·e·s ; d’autres quittent le Parti, presque toujours sur la pointe des pieds. Nous n’avons déjà presque plus la force de soutenir l’Humanité. Si nous n’avons pas la capacité collective de voir la réalité en face et de trouver les moyens de relancer notre combat, nous deviendrons, comme le Parti radical de gauche, une nouvelle « butte-témoin » d’un passé révolu.
Nous refusons cette perspective dramatique. Non seulement parce que nous tenons à notre Parti, mais plus encore parce que notre peuple et le mouvement révolutionnaire dans son ensemble en ont besoin. Après quarante ans d’un libéralisme échevelé qui a profondément abîmé notre pays comme le monde entier, nous vivons un moment de remise en mouvement des peuples qui cherchent par tous les moyens, parfois les pires, à sortir du scenario catastrophe que promet le capitalisme mondialisé. En témoignent sous nos yeux les luttes et leurs tentatives de convergence. En témoigne le rejet du statu quo – parfois identifié à « l’establishment » – qui bouleverse la situation politique dans notre pays mais aussi en Espagne, Portugal, Italie, Angleterre, Pays-Bas, Irlande, et même aux États-Unis et ailleurs. Ce qui manque cruellement, c’est une nouvelle perspective de dépassement du capitalisme. Elle se cherche, de mille manières. Mais elle aura d’autant moins de chances d’émerger et de s’imposer que le communisme, qui s’identifie à un tel changement révolutionnaire, sera absent de la scène politique.
Notre responsabilité est aujourd’hui celle-ci : donner au communisme une figure offensive, attractive, adaptée à notre époque et tirant les leçons du passé. Pour cela, nous avons besoin de beaucoup de réflexion et de travail, mais peut-être encore plus d’audace et de détermination à nous réinventer nous-mêmes. Bien loin de réduire l’enjeu à une simple question de personnes, ce congrès annoncé comme extraordinaire doit permettre aux communistes, enfin, d’avoir ce débat de fond, et de décider de leur avenir.
I. Pour un base-alternative-maquette du communisme
Le communisme a suscité au XXe siècle un espoir formidable pour des millions de personnes qui voulaient en finir avec la domination et les ravages du capitalisme. Picasso disait être « venu au communisme comme on va à la fontaine ». C’est dire combien cet engagement pouvait alors paraître évident et vital. Couronnant un grand siècle de révolutions, celle d’Octobre semblait ouvrir enfin les chemins d’un monde réellement humain. Notre Parti, comme d’autres à travers le monde, s’est construit sur cet immense espoir. En l’articulant à notre propre histoire et en l’ancrant dans les luttes de la classe ouvrière, il en a fait une perspective réaliste. C’est ainsi qu’il est devenu, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le premier parti de France.
Si les régimes dits de « socialisme réel » ont réalisé des progrès sociaux très importants pour leurs citoyen·ne·s dans de nombreux domaines, le manque de liberté et de démocratie politiques, la brutalité de la répression, les mésaventures économiques, les interventions militaires à l’étranger ont fini par trahir l’espoir d’un nombre croissant de personnes qui avaient cru aux idéaux communistes. Avec l’effondrement du monde soviétique à la fin du « court XXe siècle », le sentiment était désormais « qu’il n’y a pas d’alternative ». C’est cette fausse évidence, produit d’une conjoncture historique, qui a entraîné la crise généralisée du mouvement communiste mondial. Nous avons bien proposé un « socialisme démocratique », mais faute d’être porteurs d’une nouvelle conception du communisme, nous n’avons pas échappé à la crise qui touche sans exception l’ensemble des partis communistes du monde. Nous avons perdu ce qui faisait de nous les partisans d’une radicale alternative de société, et d’autres partis ont paru alors plus « utiles ».
La crise du communisme est d’autant plus dramatique que le capitalisme désormais mondialisé ne cesse d’entraîner l’humanité à des catastrophes en ce tournant du XXIe siècle. Crises financières et économiques, crises écologiques, crises politiques, crise des solidarités, montée des inégalités et généralisation de la précarité : dans un contexte de crise généralisée du système capitaliste, la critique radicale de ce système et la pensée de Marx retrouvent toute leur actualité. Pourtant, le communisme comme « mouvement réel » enraciné dans les luttes ET portant l’idéal d’un monde enfin débarrassés de toutes les formes d’exploitation, de domination et d’aliénation, peine à exister sur la scène politique.
On ne peut donc pas, comme le fait le projet de « base commune » du Conseil national, se contenter d’affirmer péremptoirement que « le communisme est à l’ordre du jour de ce siècle ». Il n’existe aucune nécessité historique pour que les crises du capitalisme entraînent mécaniquement l’avènement du communisme. L’histoire a montré au contraire que nous ne pouvons sous-estimer l’incroyable capacité du capitalisme de se remettre de ses crises ou de les prolonger pour une période indéfinie. Nous sommes convaincu·e·s que seul le communisme peut véritablement ouvrir la voie vers le dépassement de ces crises. Mais, terni·e·s d’une image étatiste, productiviste et autoritaire, associé·e·s à des expériences qui se sont soldées par un échec, nous arrivons mal à convaincre de la crédibilité de la voie communiste.
Nous ne pouvons pas nous résigner à cette situation. Nous portons avec les autres partis communistes dans le monde l’immense responsabilité historique que voici : faire renaître l’espoir dans le projet communiste, pour qu’advienne un printemps du communisme. Non seulement la fonction spécifique et l’existence de notre parti en dépendent ; mais surtout, la question désormais vitale du dépassement du capitalisme fait d’une revitalisation de notre combat la principale urgence politique. Notre premier objectif doit donc être de faire à nouveau du communisme une idée mobilisatrice en lui redonnant une portée émancipatrice et l’épaisseur concrète d’un mouvement ancré dans les luttes réelles dans les conditions d’aujourd’hui.
Pour cela, il est urgent de dresser un bilan lucide et critique en vue de notre réinvention. Nous pouvons être fier·e·s du rôle que notre parti a joué par le passé dans les réformes du Front populaire, dans la Résistance, dans la mise en place de la Sécurité sociale et du statut de la fonction publique, dans les nationalisations et dans bien d’autres domaines. Aujourd’hui, nos élu·e·s continuent de porter des politiques au service des besoins sociaux et écologiques. Savoir mettre en avant les apports positifs de notre parti pour contredire le discours négatif sur le communisme est essentiel pour renouveler notre image.
Mais si notre parti n’a pas échappé pas au déclin du mouvement communiste mondial, cela ne peut pas être dû uniquement à des raisons extérieures. Malgré nos textes de congrès, qui ne manquent jamais d’un « coup de chapeau » à la visée communiste, nous avons surtout travaillé à des programmes « de gouvernement » que notre faiblesse rendait d’ailleurs peu crédibles. Nous n’avons pas redéfini, au vu des échecs passés et des nouvelles conditions des luttes de classe, les principes, les objectifs et les moyens d’un projet actuel d’émancipation humaine. Pas plus n’avons-nous réussi à ancrer dans nos pratiques, notre fonctionnement, notre démarche, un rapport émancipateur entre l’individu et le collectif, entre égalité et liberté. Nous parlons d’émancipation, mais nous avons beaucoup de difficultés à l’éprouver, la faire vivre.
En lien avec tous les travaux théoriques et les expérimentations pratiques qui explorent les chemins nouveaux de l’émancipation — et qui connaissent un véritable bouillonnement en France et à l’étranger —, il faut revoir nos conceptions et notre projet sur nombre de questions. Il ne s’agit pas, dans le cadre de ce congrès extraordinaire, d’exposer tout un programme ni de définir de A à Z un projet communiste, mais de préciser quels changements nous devons apporter à nos conceptions et à nos pratiques pour pouvoir donner un nouvel élan à notre combat. Beaucoup de nos actions, dont nous pouvons être fiers, méritent d’être poursuivies et développées: luttes pour la paix, dans les entreprises, contre l’évasion fiscale, contre les inégalités de territoires, pour l’économie sociale et solidaires, la culture, etc. Nous limitons donc ici nos propositions à quelques questions, dans des domaines désormais stratégiques pour la lutte contre le capitalisme mondialisé d’aujourd’hui, sur lesquelles il nous faut impérativement transformer nos idées, nos positions et nos façons de faire.
A. Libérer le travail et la production de l’exploitation capitaliste par une authentique démocratie économique
En faisant prédominer nos stratégies d’alliance sur notre propre combat communiste, nous avons progressivement privilégié des compromis avec le capital — portant notamment sur le partage des richesses —, au détriment de la claire perspective d’une sortie du capitalisme. Cette perspective implique un processus d’avancées et de ruptures avec les logiques capitalistes pour aller vers la maîtrise intégrale des travailleurs et travailleuses sur les buts et conditions de leur travail. Notre combat se brouille si nous n’en faisons pas apparaître les objectifs fondamentaux et les étapes essentielles. Nous devons réaffirmer notamment notre volonté d’aller vers une « expropriation des expropriateurs » en allant progressivement vers un régime de démocratie économique qui ôte au capital tout pouvoir de domination sur la propriété et le travail.
1. Socialisation et démocratisation des structures économiques
L’un des fondements du communisme depuis le Manifeste de 1848 est l’idée « d’abolition de la propriété privée » des grands moyens de production et d’échange. Or, cette idée a été dénaturée par l’étatisation soviétique. Il faut que nous intégrions dans nos propositions programmatiques le fait que la seule propriété d’État ne garantit pas un fonctionnement plus démocratique des entreprises, avec des travailleur·euses plus libres et égaux. Nous sommes souvent passé·e·s à côté du potentiel révolutionnaire de nouvelles formes de partage, de production et de propriété collective dans la société, par exemple les communs de la connaissance, les plateformes numériques de l’économie collaborative et les structures juridiques qui les soutiennent. Nous ne pourrons redonner ses couleurs à l’idée communiste sans proposer une conception nouvelle de la socialisation et de la démocratisation des moyens de production et d’échange à partir de ce qui existe déjà. Un nouveau statut juridique des entreprises qui met fin à la mainmise du capital sur la production et l’appropriation des richesses est essentiel dans ce combat. C’est dans ce sens que nous devons soutenir les luttes contre les plans sociaux et les délocalisations, pour le développement des pouvoirs des salariés, les SCOP, la gratuité de services publics, de nouvelles nationalisations, etc.
2. Liberté au travail et salaire à vie
Nous battre pour l’emploi est certes indispensable, mais la perspective restera limitée, voire peu crédible à terme si nous ne faisons pas vivre concrètement l’idée qu’il y a une alternative historique à la subordination des individus au marché de l’emploi. Alors que les progrès technologiques continuent de réduire le besoin de travail humain dans de nombreux secteurs et d’éliminer définitivement des emplois, le marché de l’emploi reste quasiment le seul accès à de l’argent pour la majorité de la population, hormis les allocations du système de redistribution. L’épuisement et l’aliénation au travail, un taux de chômage chroniquement élevé, le chantage à l’emploi et la stigmatisation des bénéficiaires des aides sociales comme « improductifs » sont autant d’indicateurs que ce système arrive à bout de souffle.
Il est temps de redéfinir ce qu’est le travail et de révolutionner le mode d’accès à des moyens d’existence, en instituant par exemple un statut des « producteurs et productrices associé·e·s » et un régime de salaire à vie. Un tel régime socialiserait l’ensemble de la valeur économique produite et la distribuerait aux individus pendant toute leur vie selon une grille d’échelons progressifs, établis en fonction de critères décidés démocratiquement. Des activités socialement utiles, mais jugées « improductives » d’un point de capitaliste, seraient ainsi valorisées ; et les individus associés auraient plus de liberté pour choisir un équilibre entre vie professionnelle, formation et vie personnelle tout en bénéficiant d’une sécurité financière, car les droits seraient liés à la personne et non pas au statut d’emploi. C’est donc dans ce sens que nous devons soutenir les luttes pour le développement des droits des salarié·e·s et des chômeurs·euses, contre la souffrance au travail et le « burn-out », pour le temps et les moyens d’un travail bien fait, pour la réduction du temps de travail, pour un travail qui ait du sens et œuvre à l’intérêt général.
B. Démocratisation radicale et révolution citoyenne
Le « dépérissement de l’État » – comme instrument de domination du capital – doit être au cœur d’un projet d’émancipation. Il suppose une conception révolutionnaire de la démocratie, fondée sur la multiplication des formes d’auto-organisation et visant à l’égal exercice de tous les pouvoirs par tous les citoyens et toutes les citoyennes. Il faut pour cela fixer l’objectif concret d’une 6ème République qui dépasse radicalement la démocratie parlementaire par le développement permanent de toutes les formes possibles d’intervention citoyenne, l’institution de nouveaux rapports entre élu·e·s et citoyen·ne·s, la prééminence des assemblées élues sur les exécutifs, la parfaite transparence de l’action publique et une stricte séparation des pouvoirs. Ainsi, c’est pour un nouveau régime politique qu’il faut lutter. Il appelle par exemple une forme dé-verticalisée de toutes les institutions (y compris de notre parti), de même qu’une déprofessionnalisation de la politique.
Cette volonté de reprise du pouvoir sur nos vies doit nous conduire aussi à prendre à bras-le-corps des enjeux désormais cruciaux pour les libertés comme le pluralisme des médias (au point où l’on en est, il faudrait plutôt parler d’une séparation du conglomérat État/financiers et des médias), ou la maîtrise citoyenne des technologies, des nanotechnologies aux algorithmes de l’intelligence artificielle.
C’est dans ce sens, et en mettant nos propres pratiques en accord avec ces principes, que nous répondrons à l’immense discrédit qui atteint notre système politique, et aux aspirations à l’autonomie et l’intervention citoyenne qu’expriment des mouvements comme « les Nuits debout ».
C. Pour une nouvelle conception du développement humain sans hiérarchie des luttes émancipatrices
Le combat communiste s’est engagé entre le XIXe siècle et le début du XXe siècle, alors que les premières révolutions industrielles, qui promettaient une croissance potentiellement infinie de la production de richesses, entraînaient le développement d’une classe ouvrière nombreuse, relativement homogène et très prolétarisée. Ce sont les ouvrier·e·s du secteur industriel qui ont constitué alors la base sociale du mouvement communiste et qui sont devenu·e·s l’archétype du « prolétariat ».
Or, voici près d’un demi-siècle que les progrès techniques et les délocalisations suppriment les emplois industriels en France au profit de l’essor du secteur tertiaire. Selon les chiffres de l’INSEE, la classe ouvrière ne représente plus que 20 % de la population française active ou anciennement active, et la tendance ne va pas s’inverser. Près de deux tiers de la population se composent désormais d’employé·e·s, de professions intermédiaires, de cadres et de professions intellectuelles supérieures. Tout comme la classe ouvrière, ces populations dépendent de la vente de leur force de travail pour vivre et subissent elles aussi, à différents degrés, l’aliénation au travail. Pourtant, nous n’avons pas su nous adapter efficacement aux évolutions d’un salariat de plus en plus nombreux, mais aussi plus stratifié et divisé, de façon à ce que chacun de ses divers composants puisse se reconnaître dans le projet communiste. Faute de définition claire de notre bloc social et d’articulation entre les différents objectifs de lutte, nos tâtonnements n’ont convaincu ni les salarié·e·s des secteurs en essor que le communisme ne se réduit pas à la seule classe ouvrière, ni les ouvrier·e·s que les communistes ne leur ont pas tourné le dos. Notre base sociale s’est ainsi considérablement réduite.
Pendant longtemps nous avons pensé que les luttes devaient être hiérarchisées et que les “luttes sociales”, directement liées au rapport capital/travail, devaient être placée au sommet. Or, ces luttes ne sont pas le seul chemin pour saisir et combattre la domination capitaliste. La fin du capitalisme ne garantit pas non plus la fin des autres systèmes de domination incarnés par le sexisme, le racisme, ou le productivisme. Il est grand temps d’en finir avec une vision pyramidale des luttes et d’articuler les combats contre les différents systèmes de domination et d’exploitation (anticapitalisme, féminisme, écologie, antiracisme, etc.) dans une nouvelle conception de l’émancipation et du développement humains. Et de participer activement à toutes les actions — ZAD, universités expérimentales, pédagogies alternatives, etc. — qui cherchent concrètement à casser les codes de reproduction du système capitaliste et explorer de nouvelles façon de vivre et de travailler. C’est ainsi que nous pouvons atteindre le salariat et l’ensemble des dominé·e·s dans toute leur diversité et œuvrer à leur unité.
1. Pour l’abolition de toutes les formes de domination
Inscrire toutes les luttes et toutes les initiatives porteuses d’alternatives concrètes à l’ordre existant dans la perspective d’une société d’émancipation humaine suppose de prendre ces mobilisations telles qu’elles sont, en phase avec les évolutions et les besoins de la société. Faute de l’avoir fait, nous sommes longtemps passés à côté de celles qui, à partir des années 60/70, posaient des questions nouvelles liées notamment aux droits de la personne, et qui se sont alors développées en dehors et parfois contre nous. Nous ne devons pas commettre à nouveau de telles erreurs.
Le projet communiste vise à abolir toutes les dominations que le capitalisme tend au contraire à présenter comme « naturelles ». En donnant la priorité aux “luttes sociales” , nous avons trop souvent sous-estimé le caractère structurel de discriminations traversant les classes des salarié·e·s elles-mêmes, liées aux prétendues « races », au sexe, à l’orientation sexuelle, à l’âge, etc. Il nous faut au contraire mettre tous les combats émancipateurs au même niveau — par exemple, ceux des femmes contre les dominations masculines et le patriarcat, dont le mouvement planétaire déclenché par l’affaire Weinstein montre l’importance essentielle ; ceux des personnes « racisées » ; ou ceux contre une dénaturation islamophobe de la laïcité. Cela suppose de poursuivre l’actualisation de nos analyses et de nos conceptions pour penser ensemble toutes les dominations et poser en tous domaines la question de l’égalité réelle de tous les êtres humains.
2. Faire de la lutte contre tous les racismes une de nos grandes priorités politiques
Le chaos du monde actuel est propice à la montée de toutes les haines. Dans toute l’Europe, le racisme redevient, à grande échelle, un des instruments de la domination de classe. Tout est fait pour exacerber la concurrence des exploités et des dominés en criminalisant les migrants, les réfugiés et les roms; et pour placer l’islamophobie au cœur du dispositif idéologique car elle favorise tous les amalgames et place le débat sur le choc des civilisations. Inégalités sociales, précarisation du travail, assignations territoriales dans des quartiers délaissés de la République, discriminations racistes structurelles (embauche, logement, contrôle au faciès) se conjuguent pour mettre à l’index, en état de sous-citoyenneté, une part croissante de la population, et singulièrement de la jeunesse. Nous avons sous-estimé ce racisme institutionnel, injure quotidienne à nos principes républicains
Il est urgent de porter un anti racisme qui lie racisme et capitalisme, colonialisme et néo colonialisme, qui revendique l’égalité de traitement pour toutes et pour tous, qui agit contre toutes les formes de discriminations, d’humiliations et d’oppressions, qui combat avec force l’offensive xénophobe, qui lutte contre l’islamophobie et l’antisémitisme et toutes les formes de racismes, qui ouvre la voie du « tous ensemble » pour une société d’êtres humains égaux, libres et réconciliés
3. Pour un éco-communisme ambitieux
L’humanité prend conscience de sa place dans un monde fini à l’écosystème unique et entre de fait dans une nouvelle ère de son histoire, celle d’une communauté de destin. Il n’est pas exagéré de parler d’une dimension nouvelle et enthousiasmante de l’actualité de la pensée communiste. Mais aujourd’hui encore, nous avons le plus grand mal à nous investir réellement dans les luttes écologiques qui pourtant, fondamentalement, mettent en cause le modèle productiviste/consumériste du capitalisme et cristallisent à leur façon l’exigence d’une alternative de civilisation. C’est désormais un enjeu vital pour l’humanité, et une préoccupation grandissante dont témoignent la vigueur et la multiplication des mobilisations.
Nos priorités sont à la relocalisation des industries au plus près des territoires, au remplacement du modèle agro-industriel par une agriculture paysanne écoresponsable, au développement de l’économie circulaire afin que les déchets des uns soit la matière première des autres. Nous avons pourtant soutenu nationalement, contre toute évidence, le projet pharaonique de NDDL. Et notre ambition sur le plan énergétique se limite toujours à un contrôle public de l’énergie nucléaire à côté d’investissements dans les énergies renouvelables.
Si les luttes écologiques contre le nucléaire sont si intenses et de longue durée, c’est que cette énergie pose des questions anthropologiques qui devraient nous interpeller en tant que communistes. Bien que l’énergie nucléaire participe à la réduction des émissions de gaz à effet de serre, elle implique aussi une hyper-centralisation étatique de sa gestion ou pire encore une gestion par le marché et les intérêts prives, comme à Fukushima. Elle a aussi ceci de particulier qu’elle transmet aux générations futures pour des centaines de milliers d’années la gestion des déchets radio-actifs. Qui peut aujourd’hui dire ce que seront nos sociétés dans 300 000 ans ? Notre conception communiste de la lutte pour le droit à l’énergie et contre le réchauffement climatique nous oblige donc à affirmer la nécessité d’une sortie urgente des énergies carbonées; et d’une sortie progressive et maîtrisée du nucléaire au profit du développement d’un mix électrique 100 % renouvelable. Une telle sortie du nucléaire doit retenir comme critère absolu un équilibre entre la satisfaction des besoins en énergie et la réduction des émissions de gaz à effets de serre pour que la fermeture de centrales nucléaires se fasse toujours au profit des énergies renouvelables et ne se traduise jamais par un recours aux énergies carbonées pour combler les besoins.
Ces luttes et ces exigences ne s’opposent ni au « progrès » ni à l’emploi, bien au contraire. Mais ce monde fini aux ressources limitées implique de changer de civilisation. Désormais il faut inventer un autre mode de développement fondé sur la sobriété, bannir le consumérisme qui gaspille et demande plus de ressources que la terre ne peut fournir, passer d’une société de l’avoir à une société de l’être. Le dépassement du capitalisme est de ce fait un passage obligé vers cette nouvelle civilisation de “bien vivre” humain.
4. Migrations : défendre la liberté de circulation et d’installation
La France s’est engagée depuis trente ans dans une logique de contrôle de l’immigration et de fermeture des frontières, les alternances politiques n’y changeant rien. Pire, les gouvernements successifs présentent des projets de lois indexés sur la surenchère de l’extrême droite. Les migrations actuelles, dans lesquelles les grandes puissances ont une responsabilité écrasante (effets de l’esclavage et du colonialisme, politiques néocoloniales, soutien et armement des conflits), ne cesseront pas dans les années et les décennies à venir du fait de nouvelles causes comme le réchauffement climatique. En 2015, la crise dite « des réfugiés » fut en réalité une crise de la construction européenne, car les gouvernements européens ont délibérément évité toute prise en charge matérielle et humaine de l’afflux des réfugié·e·s, ce qui a conduit à des milliers de morts aux portes de l’Europe. Il devient chaque jour plus évident que le bétonnage des frontières est une absurdité crimunelle.
Notre parti doit poursuivre et accentuer son soutien à toutes les mobilisations défendant les droits des migrant·e·s. Et nous devons nous engager pleinement dans la bataille idéologique qu’est la question de l’immigration. Mais l’indispensable solidarité finira par être débordée si nous ne posons pas cette question sur le plan politique et si nous ne mettons pas en débat une alternative émancipatrice à la réponse inhumaine et vaine du capitalisme. La seule façon de lutter contre les réactions racistes et identitaires, dont on voit déjà dans toute l’Europe les dégâts politiques, est d’associer notre conception de l’émancipation au parti-pris des migrant·e·s et à l’affirmation du droit imprescriptible de tout être humain à s’installer hors des frontières de son pays, ce qui, sauf exceptions marginales, est toujours lié à une situation de détresse vitale. Cette mesure est la seule qui permettrait immédiatement qu’il n’y ait plus de milliers de morts chaque année. Et il nous faut aussi affirmer frontalement l’exigence d’un autre ordre international, s’en prenant aux causes des migrations, tout en luttant sans ambiguïté pour le droit de circulation et d’installation de celles et ceux qui prennent le terrible risque de l’exode.
D. Reprendre le pouvoir sur les médias, démocratiser les technologies de la communication
L’espace médiatique et les industries de la culture sont massivement dominées par les forces du capital, qui marchandisent l’information et la communication, le divertissement et la culture, et les mettent au service exclusif de leur domination idéologique. Édition, presse, télévisions, radios sont aujourd’hui entièrement accaparées par une poignée de milliardaires qui imposent à tou·te·s leur récit : guerre des civilisations contre lutte des classes, fin de l’histoire contre révolution…
L’internet, qui s’est vécu un temps en espace de liberté, est lui-même menacé avec notamment l’attaque contre le principe de neutralité du net. Il est surplombé désormais par un petit nombre d’acteurs à la puissance inouïe. Puissance financière puisque la capitalisation boursière d’Alphabet (Google), Amazon, Facebook, Apple et Microsoft avoisine désormais le PIB de la France. Puissance politique avec notamment des capacités analytiques et prescriptives inédites des comportements humains, permises par des algorithmes toujours plus performants, déployés de façon omniprésente et indiscernable à travers l’internet des objets et qui s’insinuent dans l’ensemble de notre quotidien.
Ces dominations inédites dessinent les contours d’un projet éminemment totalitaire. Libérer les médias et les technologies de la communication des puissances de l’argent en affirmant leur stricte séparation d’avec les puissances financières et l’État est un combat communiste aussi important pour la désaliénation des esprits que celui qui, au début du siècle dernier, a permis d’arracher le principe de séparation des Églises et de l’État.
E. Gagner la bataille de l’Europe
La construction européenne est en train d’asphyxier le débat politique en mettant chacun des pays qui la composent face au choix impossible entre continuer de subir les traités néolibéraux ou sortir de l’Union. Echapper à ce dilemme est un impératif politique. Mais le changement de société du XXI siècle ne peut se concevoir dans un repli souverainiste étroitement national ; la souveraineté doit se concevoir à tous les niveaux, local, national, européen et mondial. Nous devons donc nous emparer de la grande idée européenne – à laquelle, malgré tout, l’immense majorité des Européens reste à juste titre attachée – comme d’une dimension essentielle de notre internationalisme, et faire d’une transformation de l’Europe une étape et un levier essentiel du combat pour faire vivre la possibilité d’une alternative à l’ordre capitaliste mondial.
La France dispose de nombreux moyens d’agir. Sa capacité de bloquer toute nouvelle adaptation de l’Europe à l’ordre mondial actuel ou de désobéir à certaines directives peut créer une situation insupportable pour les forces qui soutiennent le capital et imposer la renégociation des traités. Ce combat ne pourra se mener qu’au nom d’une autre construction européenne – une Europe à « géométrie choisie » qui n’obligera jamais aucun peuple à s’aligner sur des politiques qu’il refuse – et nécessitera de travailler à une dynamique européenne de rassemblement. Ce doit être désormais un objectif politique prioritaire qui suppose d’élever considérablement le niveau des nos objectifs et de notre engagement. Au-delà du Forum européen progressiste, il nous faut travailler à une nouvelle initiative de très grande ampleur que notre Parti, compte tenu de son histoire et de la place de la France en Europe, a la légitimité et donc le devoir de proposer à toutes les forces disponibles en France et en Europe.
F. Les nouveaux repères du communisme
Ainsi, sur ces questions comme sur tous les grands enjeux politiques, nous devons faire ce travail fondamental visant à reconstituer les principes et les repères d’une alternative communiste à l’ordre existant, et à les traduire en batailles concrètes. Il s’agit de dire en quoi elle consiste et donc le type de société vers laquelle nous proposons d’aller. Tant que nous ne pourrons pas dire ainsi, fondamentalement, « ce que nous voulons », nous resterons dans l’incapacité de combattre l’amalgame entretenu sans cesse par nos adversaires entre notre projet et l’image du communisme que l’histoire a laissée dans les esprits.
II. Un processus révolutionnaire démocratique et citoyen
Le Parti communiste doit être révolutionnaire. Non seulement parce que l’émancipation humaine exige d’en finir avec le système capitaliste pour aller vers un autre type de formation sociale. Mais aussi pour échapper aux catastrophes vers lesquelles ce système entraîne aujourd’hui l’humanité. Car notre époque est bien celle d’une immense crise mondiale, durable, affectant les sociétés dans toutes leurs dimensions profondes, crise de survie qui pourrait devenir, de la pire manière qui soit, une crise terminale susceptible même de provoquer à terme l’extinction de notre espèce. Comment croire qu’on pourrait conjurer de tels périls sans un radical changement de système, c’est-à-dire une révolution ?
Le capitalisme offre aujourd’hui à une poignée de personnes le pouvoir insensé de détruire toute vie civilisée. Mais il offre aussi à l’immense majorité la force de conjurer les dangers, grâce au développement et aux transformations sans précédent des forces productives, aux révolutions technologiques et à la montée des aspirations à vivre autrement. En un mot, les contradictions du capitalisme donnent à l’Humanité, comme le pronostiquait Marx, la perspective d’aller vers une société sans classes, sans domination, ni exploitation, ni aliénation. Travailler à cette perspective est la raison d’être fondamentale d’un parti communiste.
Encore faut-il que l’idée de révolution redevienne une perspective réaliste. Car cette grande idée, qui a mobilisé des millions de femmes et d’hommes sur tous les continents, a été dénaturée par les expériences révolutionnaires du XXe siècle qui, tout en se réclamant du progrès social, de la liberté et même du communisme, ont produit des systèmes brutaux et antidémocratiques. Ce fut une divine surprise pour les forces qui soutiennent le capitalisme : elles en ont profité pour mener une incessante campagne planétaire visant à assimiler communisme et fascisme et à stigmatiser symétriquement ce qu’elles appellent aujourd’hui « les extrêmes ».
Nous-mêmes, face à ce déferlement, avons fini par baisser la garde. Malgré nos textes de congrès, nous avons davantage mené campagne pour des propositions immédiates que des ruptures postcapitalistes ; nous nous sommes plus battus pour « la gauche » que pour le communisme ; et nous avons préféré utiliser des périphrases pour éviter le mot révolution. Mais au lieu de nous permettre de nous maintenir et moins encore de nous renforcer, nous avons ainsi gravement porté atteinte à la crédibilité d’un dépassement du capitalisme qui suppose évidemment des transformations révolutionnaires de l’ordre existant. Il nous faut donc travailler avec ténacité, sur le long terme, à réhabiliter l’idée de révolution en lui donnant, en théorie et en pratique, le caractère radicalement démocratique en accord avec les possibilités, les sensibilités et les consciences d’aujourd’hui. Et dire par conséquent comment, concrètement, nous concevons le processus révolutionnaire nouveau sans lequel l’émancipation humaine demeurerait un mot creux.
A. « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ».
Cette idée fameuse, que Marx a introduite en 1864 dans le préambule des statuts de la Première Internationale, fait partie de l’héritage théorique du mouvement révolutionnaire. Le fait est pourtant que les expériences soviétiques et maoïstes ont fait tout le contraire. Dans les conditions spécifiques à chacune, elles ont toutes les deux débouché sur des systèmes politiques et sociaux oppressifs. Les travailleurs y étaient supposés déléguer la direction du mouvement de transformation sociale à des partis « d’avant garde ». Mais ceux-ci n’ont pas tardé à s’identifier à des appareils d’États dictatoriaux et à déposséder les travailleurs de toute possibilité d’initiative ou droit de décision. Bref, les expériences ont échoué dans ces pays à abolir de la domination de l’homme par l’homme, et le capitalisme y est renouveau florissant.
Nous avons à juste titre expliqué ces échecs par l’état d’arriération de ces pays qui n’avaient pas encore connu, au moment de leurs révolutions, la phase de développement économique, social, institutionnel et culturel liée au déploiement du capitalisme industriel. Leurs économies demeuraient fondamentalement agricoles et, dans la très grande majorité des cas, leurs classes ouvrières urbaines n’y représentaient qu’une partie minime de la population. La démocratie n’y était même pas embryonnaire. Dans ces conditions, les forces consciemment révolutionnaires étaient elles-mêmes très peu nombreuses, et l’unité du « prolétariat » inexistante. La mise en place des régimes « socialistes » n’a donc pas résulté du « mouvement de l’immense majorité dans l’intérêt de l’immense majorité », mais de conjonctures historiques exceptionnelles associant la déliquescence des pouvoirs en place, des guerres dévastatrices (14/18, 39/45, guerres civiles et sino-japonaise, etc.) et l’action de partis relativement peu nombreux mais très déterminés et souvent conduits par des dirigeants exceptionnels.
Des révolutions de cette nature supposaient des partis centralisés et disciplinés, dirigés d’en haut d’une main de fer, capables de conduire la « guerre civile » jusqu’à la conquête du pouvoir d’État, puis de devenir l’État lui-même pour imposer la transformation sociale par la « dictature du prolétariat ». Mais faute de pouvoir s’appuyer sur un soutien populaire suffisamment large, ils n’ont pu conserver le pouvoir qu’en s’imposant par la force. À long terme, de telles révolutions ont échoué principalement parce qu’au lieu de donner aux travailleurs et travailleuses la maîtrise de leur propre émancipation, elles les en dépossédaient complètement. Sans l’adhésion éclairée et active du peuple, le processus a inévitablement fini par se retourner contre lui.
Nous avons certes rompu depuis longtemps avec l’idée d’un « grand soir ». Mais faute d’imaginer un processus révolutionnaire de type nouveau, conduit par les travailleurs et les travailleuses elles-mêmes, nous sommes restés largement prisonniers d’une conception de l’action politique privilégiant l’occupation de positions institutionnelles et, dans les conditions d’un pays comme le nôtre, la stratégie électorale. Même en abandonnant le « centralisme démocratique », nous n’avons pas vraiment remis en question la forme verticale et monolithique du parti dont nous avions hérité avec les « 21 conditions » imposées par l’Internationale communiste en 1920.
B. Une « évolution révolutionnaire » hégémonique jusqu’à la conquête et la transformation du pouvoir d’État
L’histoire montre sans aucune exception que, à défaut de conscience populaire pour en soutenir activement les objectifs révolutionnaires, la conquête du pouvoir d’État est une illusion. Mais un siècle s’est passé depuis 1917, et nous ne sommes ni en Russie ni en Chine. La France est un des pays les plus développés du monde : 75 % de chaque classe d’âge y atteint aujourd’hui le niveau du Bac ; des partis et des syndicats libres y existent de longue date ; et les aspirations des citoyen·ne·s à prendre leurs affaires en main s’y expriment de mille manières, dont par exemple le fait qu’un Français sur deux appartient à une association.
Notre expérience est par ailleurs que, même sans prise du pouvoir, des transformations circonscrites mais profondes de l’ordre capitaliste peuvent s’imposer et perdurer dès lors qu’elles sont majoritairement soutenues. Ainsi, la séparation de l’Église et de l’État en 1905 a engagé un mouvement de recul très important de l’aliénation des consciences sur laquelle s’appuyaient les classes dominantes. La Sécurité sociale a fait sortir de la logique capitaliste un pan considérable de la satisfaction des besoins de santé et de protection sociale, dont la valeur représente aujourd’hui l’équivalent du budget de l’État. Le statut de la fonction publique a instauré les débuts d’un régime de salaire à vie pour des millions de salariés, assurant leur sécurité professionnelle tout en les libérant du marché de l’emploi. Et la loi Veil de 1975, malgré tous les efforts des forces conservatrices, a joué un rôle majeur dans l’émancipation des femmes. De telles transformations, que Jaurès aurait qualifiées de « réformes révolutionnaires », sont aujourd’hui encore « hégémoniques » dans les esprits, au point que l’immense vague néolibérale, réactionnaire et puritaine, qui balaie notre pays comme le monde entier depuis plus de quarante ans, n’a pas pu les rayer de la carte.
Ainsi, sans réduire la « révolution » à la seule prise du pouvoir, mais avec l’objectif d’une transformation radicale, se dessine la possibilité de ce que Marx, repris par Jaurès, appelait une « évolution révolutionnaire » qui abolit progressivement et durablement les mécanismes capitalistes d’un nombre croissant de domaines. La condition décisive de ce processus est le soutien populaire conscient et actif. Dès lors, le rôle essentiel d’un parti révolutionnaire devrait être de travailler à rendre hégémoniques à leur tour de nouvelles transformations « postcapitalistes » dont l’exigence s’exprime déjà dans la société par des luttes ou des pratiques alternatives à l’ordre social actuel.
Il en va ainsi de l’objectif de réduire massivement la durée du travail et d’élever le niveau des qualifications grâce au développement foudroyant des nouvelles technologies ; ou du développement du secteur coopératif, qui fait de chaque travailleur un copropriétaire de l’outil de travail et un codécideur dans l’entreprise ; de l’extension de la gratuité — c’est-à-dire la suppression des frais d’utilisation grâce à un financement socialisé — qui existe déjà pour certains services publics ; ou encore de l’extension d’un régime de salaire à vie à l’ensemble des travailleurs et travailleuses. C’est de façon générale dans ce sens, comme nous le disons plus haut, que nous devons donner la priorité absolue à la bataille idéologique, véritable nerf des luttes de classe, appuyant les mobilisations et initiatives visant à mettre fin au règne du capital sur les entreprises et le système financier, à démarchandiser la force de travail, à démocratiser réellement la République, à transformer l’Europe, etc.
Nous pourrons ainsi rendre à ses acteurs et actrices la maîtrise du processus révolutionnaire et concentrer l’essentiel de nos moyens et de nos efforts sur la conquête des esprits, enjeu décisif de l’affrontement de classes. En toutes circonstances – mobilisations, élections et vie institutionnelle, initiatives citoyennes et expériences alternatives, débats publics… – notre rôle de parti révolutionnaire doit être « d’aiguiller » le mouvement en l’éclairant sur le sens et la force de ce qu’il entreprend lui-même. Ce qui revient à inverser l’ancienne conception : non pas décider voire faire à la place des travailleurs, mais soutenir, nourrir et travailler à donner sens à ce qui se développe déjà dans le mouvement populaire.
Il s’agit donc d’un processus révolutionnaire de type nouveau qui ne fait pas dépendre les grandes transformations sociales de la seule « prise du pouvoir » centrale ni même de résultats électoraux favorables. La conquête de chacune de ces nouvelles « réformes révolutionnaires », jusqu’à leur inscription dans la loi, s’imposera parce qu’elle sera exigée par une majorité tellement importante que même des gouvernements qui y seraient sans cela farouchement opposés devront s’y résoudre, voire les engager eux-mêmes, pour ne pas perdre le pouvoir. C’est ce qui vient encore de se passer sous nos yeux avec la proposition d’E. Macron, le plus libéral des libéraux, d’un statut de l’entreprise qui ne se réduise pas à celui d’une société de capitaux, soit une idée avancée par les communistes – sans beaucoup d’efforts pour la porter, il est vrai – depuis 2001. Il n’y a évidemment rien à attendre de cette proposition du Président de la République, qui fera tout pour qu’elle reste sans aucun effet réel. Mais elle montre que la loi exclusive de la finance qui gouverne les entreprises fait grandir dans la société un rejet et une exigence de changement qui l’oblige à cette manœuvre en recul : « quand une idée s’empare des masses, elle devient une force matérielle ».
Pas plus qu’hier, les tenants du capitalisme ne se résigneront à de telles réformes sans mener bataille par tous les moyens possibles. Un tel processus suppose donc des mobilisations sociales puissantes et une intense bataille des idées. Il sera certainement long et difficile : qui pourrait imaginer le contraire ? Mais il peut s’appuyer sur la force depuis longtemps grandissante dans notre société de l’aspiration à prendre ses affaires en main et à s’approprier la maîtrise de sa vie et du destin collectif. En témoignent la multiplication des associations d’usagers dans les services publics, le mouvement complexe de l’Économie Sociale et Solidaire, la vigueur du mouvement associatif en tous domaines, la revendication lancinante de nouveaux droits et pouvoirs des salariés dans les entreprises, le rejet ultra-profond du modèle délégataire — c’est-à-dire dépossédant — de démocratie parlementaire, la crise des organisations politiques ou syndicales verticales, le mouvement « Me Too », les mobilisations et les luttes pour la dignité, la vérité et la justice dans les quartiers populaires, et même l’écho profond dans l’opinion de mouvements comme Occupy Wall Street ou Nuit debout qui revendiquent le droit à la parole égale et autonome.
C. Les enjeux de pouvoirs
Rendre hégémonique dans les esprits de grandes « réformes révolutionnaires » doit donc devenir notre priorité stratégique. Mais nous tomberions dans une nouvelle erreur si nous poussions le raisonnement jusqu’à l’absurde en affirmant, comme certains groupes gauchistes : « élections, piège à cons ». Des entreprises aux institutions, si les prises de pouvoirs à tous les niveaux (local, national et européen) ne permettent pas à elles seules une transformation sociale révolutionnaire, elles peuvent avoir une influence importante sur le contexte des luttes des classes dominées. En effet, celui-ci peut être plus ou moins favorable ou défavorable selon que les pouvoirs en place leur mènent une guerre féroce — comme Macron aujourd’hui et hier son modèle Mme Thatcher — ou qu’au contraire leur orientation tend à les rendre moins difficiles. À tous les niveaux, les institutions constituent par ailleurs des tribunes pour les positions défendues par les élu·e·s révolutionnaires ou au moins progressistes. En outre, les élections sont des moments importants de politisation dans la mesure où elles mobilisent les esprits — y compris ceux d’un grand nombre d’abstentionnistes — et stimulent le débat public, malgré un système médiatique profondément antidémocratique.
La conquête de capacités d’interventions à tous les niveaux, même si elle n’a plus le caractère central et décisif que lui attribuait la conception de la révolution par la prise du pouvoir d’État, fait au demeurant partie de la « guerre de positions » (Gramsci) qui permet aux classes dominées de jouer un rôle croissant et d’opposer dans tous les domaines des choix et des logiques alternatives à ceux du capitalisme (les effets de ce que l’on a nommé le « communisme municipal » en attestent). Et cela, jusqu’à ce que s’impose la nécessité d’un nouveau système institutionnel et politique adaptant l’organisation des pouvoirs à l’ordre social émergent, comme ce fut le cas pour la bourgeoisie face à « l’Ancien Régime ». L’objectif d’une Assemblée constituante, non pas comme objectif ultime mais comme moyen de rendre aux citoyen·ne·s la maîtrise de tous ces pouvoirs, prend alors tout son sens.
Mais contrairement à ce que nous avons fait notamment avec la stratégie « d’union de la gauche », nous devons renoncer définitivement à l’illusion consistant à croire que des positions électives ou gouvernementales pourraient justifier notre participation à des majorités menant des politiques conservatrices ou libérales. Nous avons lourdement payé le prix de telles expériences : écœurement, colère et démobilisation.
III. Notre stratégie politique : la question du rassemblement
Comme le fait la proposition de « base commune » du Conseil national, Pierre Laurent définit notre « parti-pris stratégique » comme « le combat qui permet, en toutes circonstances, au mouvement réel de la société de pousser le plus loin possible ses potentialités transformatrices ». On ne peut qu’être d’accord avec cette idée générale qui est de fait la nôtre depuis que nous avons abandonné la « dictature du prolétariat ». Mais toute la question est de savoir comment la mettre en œuvre, et surtout, comment articuler notre présence dans les luttes et nos batailles idéologiques avec une stratégie rendant crédible la perspective d’une alternative politique. Or le dernier demi-siècle nous pose de ce point de vue de très sérieux problèmes puisque, successivement, la stratégie d’Union de la gauche, puis celle du Front de gauche, se sont soldées par des échecs. De notre point de vue, cela oblige à faire une analyse critique de ces stratégies non pas seulement depuis 2009, en ne réfléchissant finalement qu’à la période du Front de gauche, mais depuis les années 60 et notre combat pour l’Union de la gauche.
Un point fait très largement accord dans le Parti: sans rassemblement de toutes celles et ceux qui ont intérêt à l’abolition de toutes les formes de domination, il n’y a pas de majorité possible. Personne en effet n’imagine que tout le monde pourrait dans une société comme la nôtre se rassembler derrière un même drapeau. En revanche, il y a débat sur deux points principaux : le périmètre et la forme du rassemblement.
A. Nos alliances avec la social-démocratie et la question de notre crédibilité
Le rassemblement de la gauche — c’est-à-dire de toutes les forces qui se battent et pour l’égalité et pour la liberté — est une nécessité pour créer une alternative antilibérale et pour s’opposer à la droite et à l’extrême droite. Mais on sait qu’il y a à gauche depuis toujours des forces qui visent une simple adaptation du capitalisme, et d’autres, dont nous sommes, qui pensent qu’il faut une profonde transformation anticapitaliste de la société.
L’une des principales leçons qu’il faut tirer de nos alliances électorales de longue date avec le Parti socialiste est qu’elles ont brouillé notre visibilité et notre crédibilité révolutionnaire. Notre affaiblissement s’est aggravé du fait qu’après des décennies d’Union de la gauche, nos zigzags et nos alliances à géométrie variable ont désorienté l’électorat populaire, qui a fini par ne plus savoir si nous combattions réellement la dérive néolibérale du PS, ou si nous nous y résignions. Le résultat est que, loin de pouvoir identifier en nous un recours, le vaste mouvement qui balaie un peu partout en Europe les partis social-démocrates ne nous a pas épargné. Sauf à être emportés nous-mêmes par cette vague de discrédit, nous ne pouvons poursuivre des accords électoraux avec les forces social-démocrates — au-delà de ceux qui visant à battre la droite et l’extrême droite — que lorsque les rapports de force garantissent la mise en œuvre de politiques anticapitalistes permettant une nette amélioration de la vie des classes dominées. Dans nos rapports avec le PS, ce n’est plus le cas depuis longtemps.
B. Pour un « Front commun » de toutes les forces de transformation sociale
Dès lors que notre affaiblissement s’est accompagné du développement d’autres forces critiques du capitalisme, notre stratégie doit viser à les faire converger pour leur donner, ensemble, un poids politique suffisant. C’est ce que nous avons commencé à faire après 2002, notamment lors de la bataille du référendum de 2005 puis avec le Front de gauche. Mais nous n’avons pas pu ou voulu tenir ce cap.
La nécessité de faire converger les forces de transformation sociale est aujourd’hui une évidence politique. Leur division a conduit à l’éparpillement et à l’impuissance entre 1988 et 2007. Leur rassemblement dans le Front de gauche en 2009 a rendu possible, malgré nos hésitations, l’essor d’une dynamique nationale et des résultats électoraux sans équivalent depuis Jacques Duclos en 1969. Mais sous sa forme d’un cartel de sommet, tenant à distance les citoyen·ne·s, cette expérience a fini par échouer elle aussi. Nous portons notre part de responsabilité dans cet échec. Nous n’avons pas voulu investir pleinement le Front de gauche et créer les conditions d’un véritable élargissement à celles et ceux qui se considéraient comme Front de gauche sans pour autant vouloir en rejoindre une des composantes.
Nous n’avons pas non plus fait le choix d’une démarche cohérente sur le plan national, donnant à voir une ambition et être identifié clairement. Nos stratégies à géométrie variable en fonction des scrutins et des territoires nous ont rendus illisibles et ont cassé la construction d’une dynamique de rassemblement durable sur le plan national. Pendant le quinquennat de François Hollande, nous avons commis des erreurs d’appréciation sur la situation politique — non seulement sur ce qu’était devenu le PS, mais aussi sur l’évolution d’une part de ses électeurs, et sur l’ampleur de son rejet par l’électorat. En délaissant le FdG dans de nombreux scrutins locaux et en privilégiant les frondeurs du PS au niveau national, nous avons laissé en friche un espace où la France insoumise a pu se développer. Cette erreur d’appréciation sur la réalité politique dans le pays a entraîné un sérieux désaccord stratégique puisque, alors que la direction de notre parti cherchait un impossible rassemblement de toute la gauche, Jean-Luc Mélenchon voulait une rupture claire avec un PS en plein discrédit. L’impasse est venue de l’impossibilité d’apporter une solution à ce différend, conduisant à la rupture.
La dynamique de la campagne de JLM en 2017 va bien au-delà de celle de 2012, en particulier dans l’électorat populaire, celui-là même qui a eu le plus à souffrir des renoncements du PS. Un électorat qui, même si sur quelques territoires il le recoupe, dépasse bien largement le cadre du vote communiste. Cela doit nous interroger sur les ressorts de cette dynamique, sur les motivations profondes de ce vote.
Malgré l’échec, le Front de gauche est une expérience politique qui a montré des potentialités. Il est donc nécessaire de la reprendre pour aller au-delà et faire de notre parti un outil au service d’une nouvelle forme de rassemblement des forces de transformation sociale. Dans le respect d’un socle commun, un tel rassemblement doit garantir à chacune de ces forces la complète liberté de ses propres combats – pour nous, porter l’ambition communiste – et contribuer ainsi à la dynamique générale. Il doit leur permettre de mener ensemble les batailles qui leur sont communes et de proposer des programmes et des candidatures d’union lorsque les circonstances et le système électoral l’exigent. C’est ce que nous appelons un « Front commun », espace politique de bouillonnement des partis, mouvements, citoyen·ne·s, intellectuel·le·s, artistes, personnalités au service de la mobilisation populaire.
Dire que Jean-Luc Mélenchon n’est pas prêt aujourd’hui à s’engager dans une telle démarche est une réalité, mais aussi l’aveu d’un manque de propositions et d’initiatives nouvelles de notre part pour répondre aux attentes actuelles des citoyens d’autres façons de faire de la politique et de se rassembler. « L’union est un combat », et si nous ne le menons pas, la division, l’éclatement et l’impuissance continueront de dominer. Parce que les communistes ont toujours l’objectif, comme le disaient Marx et Engels, de représenter les intérêts du « mouvement prolétarien » dans sa totalité, il leur appartient une fois de plus de proposer des formes qui permettent la convergence des forces de transformation sociale. Le communisme politique en France n’a jamais été aussi fort et utile que lorsqu’il a été capable, dans les conditions du moment, de porter une perspective de rassemblement. Cela implique, avec lucidité et ambition, de faire vivre culturellement et politiquement ce nouveau rapport aux autres !
C. Un audacieux travail de rassemblement
La géographie de la gauche est totalement chamboulée et l’émergence et l’installation dans le paysage de LFI appellent de notre part à prendre en compte une réalité assez inédite. Inédite, par exemple, par la faiblesse globale de la gauche (moins de 30 %), ce qui impose un effort de reconquête sans précédent. Inédite aussi parce que pour la première fois depuis des décennies, c’est bien un projet clairement antilibéral qui est arrivé en tête de la gauche et qui a rassemblé l’essentiel de l’électorat de la gauche de transformation sociale.
Dans cette phase post présidentielle nous sommes donc confrontés à une reconfiguration sans précédent de la gauche. LFI veut y confirmer une place prédominante à l’occasion des prochaines européennes — un scrutin qui peut lui être favorable, mais qui masque un défi qui sera incontournable pour elle : celui des municipales, départementales, régionales de 2020 et 2021. Si LFI ne fait pas la démonstration qu’elle peut être utile pour gagner, alors elle peut connaître un fort mouvement de reflux d’ici les échéances de 2022 et prendrait la responsabilité d’une désespérance supplémentaire à gauche.
Aujourd’hui les hommes et les femmes que nous ambitionnons de contribuer à rassembler sont éparpillé·e·s. Les repères politiques sont parfois confus et l’image de la gauche est très abîmée auprès d’une large part d’entre-eux. L’Appel pour le 26 mai est l’illustration d’une gauche très diverse, et en même temps des millions d’exploité·e·s ne s’y retrouvent pas ou sont en attente. Il est nécessaire d’œuvrer au rassemblement le plus large de ces hommes et femmes et des organisations qui, pour une partie, les incarnent.
Autant nous considérons que les forces de transformations sociales doivent se rassembler, et que LFI y a évidemment sa place, autant nous sommes persuadés que ce rassemblement ne pourra se faire sans un Parti communiste absolument indépendant et vigoureux. Nous avons donc une double responsabilité: travailler inséparablement à un nouvel essor de notre Parti, et à la construction du Front commun permettant de recréer l’espoir.
Pour cette raison, tourner le dos à la FI au motif que J.-L. Mélenchon ne veut pas aujourd’hui de rassemblement à gauche reviendrait à abandonner notre électorat historique et serait pour nous suicidaire. Nous devons au contraire nous battre pour la mobilisation et l’élargissement de l’électorat qui aspire à une profonde transformation sociale, et donc pour un rassemblement avec la FI et toutes les forces décidées à mettre en cause l’ordre néolibéral. Dans ce combat pour l’union, comme au sein du rassemblement politique qu’il vise à construire, nous devons critiquer sans concession les tentations populistes, mener tous les débats qui le traversent et faire avancer les positions communistes.
D. Les échéances électorales à venir : européennes, municipales et au-delà
Créer les conditions de nombreuses conquêtes électorales de la gauche de transformation sociale implique de lancer pour les prochaines échéances électorales une grande bataille politique pour des listes de rassemblement. Les élections européennes de 2019 et les municipales de 2020 sont l’occasion de tourner la page des divisions qui ont lourdement hypothéqué les législatives de l’an dernier. Nous avons tous fait l’expérience du coût politique et électoral des luttes fratricides qui les ont marquées : nous-mêmes avec le pire résultat en nombre de voix de notre histoire ; la France Insoumise avec un score très inférieur au potentiel qui s’était exprimé au premier tour de la présidentielle. Depuis, les élections législatives partielles ont confirmé cette réalité.
1. Les élections européennes de 2019 : des listes transnationales rassemblant toutes les forces de la gauche antilibérale en Europe
Dans ces conditions il est catastrophique de décider en l’état la constitution de notre propre liste aux élections européennes, même si cette décision est aujourd’hui assortie de l’annonce très vague de notre disponibilité « pour travailler à la jonction de cette liste avec d’autres forces sur des objectifs convergents de transformation de l’Europe ». Allons-nous faire le choix du solo funèbre qui, compte tenu de la règle des 5%, nous condamnerait plus que probablement à n’avoir aucun·e élu·e au Parlement européen ? Nous pensons au contraire que c’est une urgence absolue de faire une proposition audacieuse et hardie de listes transnationales rassemblant l’ensemble des forces de la gauche antilibérale en Europe.
Rappelons-nous que les différences de position entre les diverses composantes de la gauche antilibérale ne portent pas fondamentalement sur la nécessité d’autres politiques européennes, mais sur la stratégie permettant de les rendre possibles. Le rejet de l’actuelle construction européenne est si profond et même violent que réussir à rassembler dans la même démarche toutes les forces de la gauche antilibérale en France et en Europe, pourrait être un électrochoc capable de changer complètement la donne. Nous proposons donc que notre Parti lance à toutes ces forces la proposition de listes communes coordonnées à l’échelle de l’Union européenne. Et que nous menions une bataille de dimension européenne afin d’en faire grandir l’exigence.
2. Les municipales de 2020 : lancer des assemblées citoyennes et franchir un nouveau pas vers un « Front commun »
Les élections municipales sont celles qui suscitent le plus fort investissement citoyen. Après les européennes, elles peuvent donc constituer, si nous en décidons ainsi, un nouveau grand moment de retrouvailles et de convergence entre toutes les forces politiques et citoyennes, avec toutes les femmes et tous les hommes qui veulent s’opposer à la politique d’E. Macron. Les raisons d’engager cette convergence ne manquent pas : le démantèlement de la démocratie locale, la réduction des moyens des collectivités territoriales et les coupes insupportables dans les services publics. Là aussi, l’idée vague de rassemblement à géométrie variable nous rendrait une nouvelle fois complètement inaudibles et préparerait une nouvelle catastrophe électorale.
Ces élections municipales peuvent au contraire conduire à de grands succès si elles permettent de nourrir l’espoir à gauche en franchissant un nouveau pas vers la construction d’un « Front commun » beaucoup plus large que le Front de gauche, permettant l’implication concrète des citoyen·ne·s et leur contrôle constant du processus politique et électoral. En y jouant pleinement son rôle de fédérateur des forces de changement, notre parti y retrouvera visibilité, crédit et attractivité et ne peut qu’en sortir renforcé.
Nous proposons donc de lancer dès maintenant la constitution d’assemblées citoyennes locales visant à préparer cette échéance, d’y inviter toutes les forces de la gauche antilibérale ainsi que toutes les associations et mouvements citoyens, et de mener activement campagne pour convaincre et faire avancer ce projet.
3. Les élections de 2021 et 2022 : une préparation citoyenne inédite
Là aussi, la poursuite d’alliances à géométrie variable nous rendraient une nouvelle fois complètement inaudibles. Les élections départementales et régionales de 2021 doivent nous permettre de faire exister et ancrer dans le paysage politique le « Front commun » capable de recréer l’espoir à gauche, et de développer une nouvelle dynamique de mobilisation et d’implication citoyennes. Sur ces bases, les élections présidentielle et législatives de 2022 pourraient se préparer de façon tout à fait nouvelle : avec le concours de toutes les forces politiques parties prenantes, et sous le contrôle des citoyen·ne·s engagé·e·s dans cette démarche et qui garderaient de bout en bout – stratégie, programme, candidatures – la maîtrise du processus.
IV. Pour un parti ouvert, démocratique de fond en comble, divers et uni
Un « Front commun » serait stérile sans un renforcement significatif du Parti communiste — un Parti communiste renforcé qui puisse mener librement son combat pour le dépassement du capitalisme. Mais quel Parti communiste ? La stratégie révolutionnaire visant à permettre l’émancipation des travailleurs par eux-mêmes suppose une forme d’organisation bien différente de celle qui prétendait remettre la direction du mouvement prolétarien à un parti d’avant-garde. L’essentiel du pouvoir était alors donné à des dirigeants conçus comme les gardiens du « socialisme scientifique », alors que l’appareil du parti avait pour tâche de relayer les consignes de la direction jusqu’aux militant·e·s et aux « masses ». Désormais, il faut au contraire partir de la capacité des femmes et des hommes engagés dans les luttes postcapitalistes à maîtriser eux-mêmes le processus de transformation sociale dans toutes ses dimensions.
A. Pour un parti de « l’intelligence collective » et de la souveraineté militante
La notion d’intellectuel collectif n’est pas nouvelle. Le texte proposé par le CN en parle à nouveau, mais il continue de l’entendre comme le fait de faire partager au plus grand nombre, à l’intérieur et à l’extérieur du parti, les analyses et les propositions élaborées centralement par la direction du Parti ou les commissions nationales. À une époque où le « prolétariat » était très majoritairement peu éduqué, il y avait ceux qui savaient et décidaient, et ceux qui devaient apprendre et exécuter. Gramsci avait même théorisé le fait que, dans ces conditions, la classe ouvrière devait s’assurer le concours « d’intellectuels organiques » qui lui étaient nécessairement extérieurs.
Aujourd’hui, en revanche, quand les trois quarts de chaque génération nouvelle atteint un haut niveau d’éducation et que les intellectuel·le·s les plus qualifié·e·s sont dans leur masse victimes de l’exploitation capitaliste, cette conception est obsolète. Les classes dominées disposent désormais en leur propre sein des capacités et de l’ensemble des savoirs leur permettant de comprendre les ressorts de la domination qu’elles subissent et d’inventer les moyens de la combattre. Par conséquent, la fonction d’un parti révolutionnaire, et même de sa direction, doit changer. Elle n’est plus de penser et décider à la place des dominé·e·s, mais de contribuer par tous les moyens possibles à ce qu’elles et ils pensent et décident directement.
La structure pyramidale permettant de faire « descendre » le savoir et les décisions du haut en bas doit laisser la place à une forme beaucoup plus ambitieuse d’organisation permettant à chacun·e de celles et ceux qui sont engagé·e·s dans les luttes postcapitalistes de contribuer à l’intelligence collective et de prendre ensemble toutes les décisions. Il s’agit donc aujourd’hui de donner un sens très concret à l’idée de l’émancipation des travailleurs par eux-mêmes. Leur souveraineté ne doit pas être déléguée : partout et à tous les niveaux, du local au national et au-delà, la conduite du mouvement de transformation révolutionnaire de la société doit se trouver directement entre les mains de celles et ceux qui sont engagé.e.s dans l’action.
B. Pour une autonomie renforcée des sections, dans le respect des orientations nationales
Dès lors, le niveau le plus décisif de l’organisation est celui qui se trouve directement en relation avec les mobilisations. C’est là qu’il est possible d’en apprécier les conditions concrètes pour participer aux choix des objectifs et des formes d’action, d’en mesurer les résultats et d’en tirer les leçons. C’est aussi à ce niveau que peuvent se tisser les relations personnelles qui sont aujourd’hui comme hier une dimension-clé du lien de confiance qui doit se construire entre un parti révolutionnaire et les classes populaires.
Aujourd’hui ce lieu de proximité existe : c’est la section. C’est là, et non au somment, que tout doit se débattre et se décider démocratiquement, depuis les choix concernant l’action immédiate et locale jusqu’aux orientations politiques fondamentales rassemblant toutes celles et ceux qui entendent faire vivre un parti communiste. C’est pourquoi il faut donner aux sections une place plus importante, notamment au moyen de congrès composés de délégué·e·s de sections et non plus de délégué·e·s départementaux. L’échelon départemental doit se limiter à son rôle de coordination et de mutualisation de l’activité des sections.
Les sections et les communistes en lien avec elles agissent dans le respect des orientations fondamentales et des choix stratégiques décidés nationalement lors de nos congrès. À l’intérieur de ce cadre, chaque section, ou les communistes en lien avec elle, peut prendre l’initiative de s’engager dans des collectifs « de base », locaux ou thématiques. Chaque collectif doit donc avoir la maîtrise souveraine de sa propre action et une pleine capacité à se lier avec d’autres pour agir ensemble à l’échelle d’un territoire ou d’un enjeu. Lorsque c’est le cas, chaque collectif de base concerné désigne tout aussi souverainement ses délégué·e·s à un niveau plus large, non pas pour diriger mais pour coordonner l’action et pour s’y exprimer au nom du Parti. Mais toutes les décisions qui y sont nécessaires doivent être prises par l’ensemble des participant·e·s aux collectifs « de base » engagés dans l’action, en recourant lorsque c’est nécessaire au débat et au vote électronique, ou en organisant des congrès locaux qui peuvent être rapides et consacrés à du travail précis sur des ordres du jour limités.
C. Construire le commun de bas en haut
Le principe fondamental de souveraineté des femmes et des hommes engagés dans l’action pourra donc avoir pour conséquences des choix différents d’une lutte à l’autre, d’un endroit à l’autre, en fonction des circonstances, des enjeux et des expériences. La cohérence d’ensemble relève de l’exigences de respect des orientations décidées nationalement lors des congrès. Et la diversité des choix locaux, dans la limite du respect du cadre national, doit aussi permettre de construire de l’expérience et de la réflexion communes, ainsi que des choix communs.
En toutes circonstances, ce commun doit se construire du bas vers le haut. Là où la direction du Parti (Conseil, Comité exécutif ou Secrétariat national) dirigeait avec l’aide de commissions qu’elle-même désignait dans les différents domaines (économie, éducation, culture, politique extérieure, etc.), toutes les décisions doivent désormais être prises par l’ensemble des communistes, soit par des congrès nationaux qui peuvent être des réunions de travail sur des objets précis et limités, soit par des votes de tous les adhérent.e.s.
Dès lors, les « commissions nationales » doivent être remplacées par des collectifs spécialisés composés de délégués démocratiquement désignés par les collectifs locaux équivalents. Ces collectifs seront chargés non pas de conseiller la direction mais de préparer la prise de décisions des communistes et d’en organiser la mise en œuvre. Les « dirigeants·e·s » doivent laisser la place à des porte-paroles élu·e·s (et le cas échéant révoquables) par les collectifs spécialisés. Comme dans le cas de l’activité des sections, l’unité du Parti sera assurée par la constitution d’un socle de choix et d’orientations communes que les communistes élaborent en congrès nationaux et qu’elles et ils s’engagent à respecter.
Cette dynamique demande à ce que l’horizontalité soit appuyée par des outils nouveaux, simples et accessibles, rendus possibles par la révolution numérique. Celle-ci doit contribuer à la transformation de notre Parti pour œuvrer à un communisme 2.0.
D. Pour un parti plus ouvert aux non adhérent·e·s
Lorque l’appareil du Parti avait pour fonction essentielle de faire partager des orientations décidées « en haut », la qualité d’adhérent·e — et plus encore des responsables aux différents niveaux — a longtemps été soumise à des conditions et contrôlée par les directions. Aujourd’hui, il suffit de décider d’adhérer et de payer une cotisation pour disposer des « droits de l’adhérent·e ». Pour autant, le Parti reste encore une organisation relativement fermée dont toutes les décisions sont réservées à celles et ceux qui en ont la carte et payent leur cotisation.
Or, si l’émancipation des travailleurs et travailleuses doit être l’œuvre des travailleurs et travailleuses elles-mêmes, on ne peut réserver la conduite du mouvement de transformation sociale aux seul·e·s travailleur·euse·s qui décident, à un moment donné, d’être membres du Parti. Toutes celles et ceux qui décident de participer à une action politique, même limitée à un sujet particulier, doivent pouvoir, adhérent·e ou pas, participer aux choix relatifs à l’action menée. Cela signifie que les collectifs de base doivent être en permanence ouverts aux citoyen·ne·s qui veulent agir avec les communistes, et qu’elles et ils doivent pouvoir participer à tous les choix liés à leur action.
En revanche, en application du principe général selon lequel chacun·e participe aux choix relatifs aux actions qu’il ou elle mène concrètement, les décisions concernant, d’une part, l’organisation même du Parti communiste — son fonctionnement, sa vie matérielle et financière, la désignation de ses porte-paroles, etc. — et, d’autre part, les structures du Parti — section, fédération, conseil national —, relèvent de la souveraineté des adhérent·e·s qui font vivre le Parti par leur cotisations.
E. Donner aux communistes les moyens pour agir
Dans un monde de plus en plus complexe, où tout va de plus en plus vite, il faut être en capacité d’aider les communistes à être tout à la fois réactifs et utiles dans le débat public et dans la prise d’initiative.
Cela passe par un effort sans précédent pour atteindre les objectifs suivants :
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Rendre lisibles et audibles nos propositions. L’exhaustivité en la matière est l’ennemi de la visibilité. Nous dégagerons quelques propositions-phares qui puissent identifier et donner à voir l’ambition des communistes.
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Engager un vaste travail d’éducation populaire avec des outils adaptés (argumentaires, supports vidéos comme « On vous fait un dessin », etc.)
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Retrouver un savoir-faire militant via un dispositif de formations, d’appropriation des nouveaux supports et d’animation de l’activité militante.
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Il y a plus d’un siècle le mouvement ouvrier, dans sa diversité, n’a eu de cesse d’essayer de créer un média de masse. L’Humanité est la traduction de cette volonté. Aujourd’hui dans les conditions actuelles, avec le développement des réseaux sociaux et des médias numériques, la question se pose de l’existence d’un média internet nouant un rapport existentiel de même nature que celui qui nous lie à l’Humanité. En lien avec l’Humanité, ce défi nous voulons le relever !
F- Rassembler la force communiste
Avec plusieurs dizaines de milliers d’adhérent.e.s, le collectif militant du Parti est encore une force qui compte. Mais il n’y aura pas de « printemps du communisme » si les adhésions à notre Parti ne se renforce pas considérablement. La profonde transformation de nous-mêmes que nous engageons doit donc s’accompagner d’une vaste campagne d’adhésions qui devra se développer en s’appuyant sur la mise en pratique concrète de nos changements. Dans ce sens, nous devons en particulier lancer un appel aux très nombreux camarades qui, démotivé·e·s et parfois désespéré·e·s, ont quitté le Parti dans les années et même les décennies passées. C’est dans le dialogue avec elles et eux, comme avec celles et ceux — notament les jeunes — qui ne voient pas aujourd’hui en nous le cadre attractif qui pourrait répondre à leur besoins d’engagement, que nous trouverons les moyens de répondre à leurs attentes. Et de rassembler ainsi la force communiste dont notre peuple a besoin.
Conclusion
Les communistes s’apprêtent à faire un choix crucial. Très affaibli, notre Parti est maintenant confronté à une nouvelle situation puisque la France Insoumise, qui se réclame du populisme, a réussi à rassembler l’essentiel de l’électorat qui nous faisait confiance voici 40 ans. Cette force politique est bien différente de nous et ne saurait jouer le rôle qui devrait être le nôtre. Mais l’Histoire ne repasse pas les plats. Ou bien nous réagissons maintenant, alors qu’il est encore temps, pour retrouver une place importante dans la vie politique de notre pays ; ou bien nous nous condamnons à ne plus compter, et le communisme risque fort d’être absent du combat politique pour de nombreuses années, au moment où le besoin en est le plus grand.
Nous sommes des communistes divers, et n’avons pas ces dernières années toujours fait les mêmes choix. Mais nous pensons toutes et tous, comme l’avait décidé le congrès de 2008, que la nouvelle époque dans laquelle nous sommes entré·e·s exige un travail de réinvention de nos analyses, de notre projet et de notre Parti. C’est pourquoi nous proposons avec cette « base commune » alternative une nouvelle conception du communisme, du processus révolutionnaire, de la stratégie et de notre organisation. Elle se donne des objectifs précis et ambitieux pour les années à venir, et nous pensons qu’une grande majorité de communistes peut s’y retrouver. Nous avons la ferme volonté de travailler dans ce sens avec toutes et tous les communistes, jusqu’au congrès et évidemment au-delà, à sortir notre Parti de l’ornière et à ouvrir un nouveau chemin pour notre combat.
Les communistes ne doivent pas baisser les bras. Ils doivent au contraire avoir confiance en elles et en eux. L’histoire est en train de prendre un nouveau cours. Derrière les allures jupitériennes de l’aventure Macron, le rejet des politiques libérales est profond. En France comme en Allemagne, en Italie et ailleurs, ni la droite ni la gauche « de gouvernement » ne peut plus gouverner à elle seule. Ce rejet ira en s’approfondissant, et nous avons la conviction que seules des ruptures avec les logiques capitalistes au profit de logiques communistes permettront de dénouer cette crise politique majeure. C’est à nous de porter haut et fort cette perspective. En nous donnant les moyens de jouer le rôle historique de faire renaître l’espoir dans la pratique et la théorie communistes, notre Parti peut avoir un plus grand avenir que jamais.
Réinventons-nous !