Au printemps 2022, Jean-Luc Mélenchon et la France insoumise impulsaient la « Nouvelle union populaire écologique et sociale » consistant en un accord électoral des forces de la gauche gouvernementale en vue des élections législatives de juin 2022. Un accord qui débouchait alors sur la formation d’un inter-groupe parlementaire constitué de 150 députés.
Mais au-delà de cet accord électoral et de cet inter-groupe parlementaire, la France insoumise visait en tant que force dirigeante de la coalition une perspective politique à moyen-terme. C’était la perspective de réaliser la stratégie populiste de la Gauche d’Amérique latine tant étudiée par Jean-Luc Mélenchon, en unissant dans un magma politique le plus de forces politiques pour ensuite compter sur les vagues des mouvements sociaux pour « faire la bascule » vers le pouvoir.
Du point de vue particulier du contexte français, cela ramenait la gauche française dans sa situation d’avant 1905, avec un « socialisme » partant dans tous les sens, sans visée organisatrice tangible ni armature idéologique.
Du fait de la nature social-impérialiste de l’ensemble des composantes de la NUPES, il allait de soi que le conflit entre l’Ukraine et la Russie, impliquant la France à travers sa soumission aux États-Unis dans le cadre de l’Otan, ne pouvait pas fissurer l’union.
En revanche, il ne pouvait pas en être ainsi avec l’attaque du Hamas sur des civils israéliens qui rappelait trop nettement aux français les horreurs subies lors des attentats du 13 novembre 2015. Et qui suffit à révéler une contradiction entre le courant post-moderne « décolonial » bien établi à la France insoumise et la tradition sociale-républicaine historiquement liée au PS et au PCF.
En effet, le premier communiqué de la France insoumise parlait d « offensive armée de forces palestiniennes menée par le Hamas » pour qualifier une attaque terroriste sur des civils, y compris des jeunes d’un festival de musique Techno tournés vers la paix. Puis quelques jours plus tard, c’est sur une radio que Danièle Obono, députée LFI de Paris et cheffe d’orchestre de tout ce courant « décolonial », approuvait le fait d’intégrer le Hamas dans les « organisations de résistance palestinienne ».
Avec de telles déclarations, c’est l’héritage républicain, ainsi que rationaliste, qui a refait surface et est venu se heurter à une lecture ultra-populiste des évènements par la France insoumise, mettant de côté les enjeux démocratiques de la libération nationale palestinienne.
Dans cette dynamique, c’est le PCF qui a ouvert la boîte de pandore avec la tenue d’un conseil national votant le dimanche 15 octobre 2023 à près de 93 % une résolution dans laquelle il était dit que la NUPES « telle que constituée sous la volonté hégémonique de LFI, est une impasse ». Puis le Parti socialiste s’est prononcé en faveur d’un « moratoire » sur la participation à l’inter-groupe NUPES mardi 17 octobre 2023 au soir, EELV appelant à ce que l’ensemble des députés de la coalition se réunissent pour discuter de leurs « différends ».
Évidemment, et malheureusement, l’érosion de la NUPES ne peut se faire sur la base d’un débat démocratique réel puisque cette union renvoie à un accord électoral réalisé par en haut sans perspectives programmatiques. De ce fait l’érosion est lente et sans franchise… Le député Fabien Roussel et premier secrétaire du PCF allant même jusqu’à dire qu’il ne siégerait plus à l’inter-groupe NUPES tout en laissant les députés de son parti libre de faire ce qu’ils veulent !
Une chose est sûre, c’est que la Gauche française reste prisonnière de ses propres renoncements historiques. L’effritement de la NUPES nous renvoie dans la vieille opposition entre les « sociaux-républicains » et populistes, autrefois marquées par le syndicalisme révolutionnaire, et aujourd’hui se mélangeant avec les théories universitaires les plus farfelues.
La faillite de la NUPES en cet automne 2023 apparaît comme un évènement majeur, en négatif. En négatif car l’opposition « républicains »/populistes sonne creux par rapport aux enjeux de l’Histoire.
La Gauche française est ici, encore une fois, à mille lieux de la Gauche allemande.
À l’inverse, la démission officielle de Sahra Wagenknech, ainsi que de 9 députés, du parti« Die Linke » en Allemagne ce lundi 23 octobre 2023 se fonde sur une envergure programmatique. C’est pourquoi il est également laissé du temps entre l’officialisation du départ et l’annonce du futur parti en janvier 2024, le temps de bien élaborer et poser les choses.
De fait, la critique ne se fait pas spontanément, dans le creux d’une conjoncture, mais dans le prolongement d’une maturation politique et idéologique. Elle cible notamment la pensée libérale-libertaire ou LGBT, telle que le représentée outre-Rhin par les lois sur la légalisation du cannabis et l’ « auto-détermination de genre », comme des obstacles au redéploiement d’une Gauche populaire.
Si l’on veut s’orienter dans la décomposition politique actuelle de la Gauche française, il apparaît très nettement que c’est du côté de la démarche de l’allemande Sahra Wagenknecht qu’il faut regarder et s’inspirer.