C’est à la fois anecdotique et extrêmement riche d’enseignements.
Apparu en 2016, le collectif « 269 Libération animale » a connu son heure de gloire médiatique en France avec des blocages d’abattoirs. Le mouvement, qui prône la désobéissance civile, a été à la pointe d’une mode « antispéciste » ayant marqué la fin des années 2010.
Le collectif recrutait de nombreux activistes pour des actions ponctuelles de ce type, avant d’affronter la répression et de totalement péricliter. Depuis sa chute, il tente de maintenir son existence en se posant comme faction d’ultra-gauche, mais sans succès. Il propose un discours intellectuel « ultra » mêlant « antispécisme », « anticolonialisme », écriture inclusive et anarchisme exigeant la défense totale des « individus », chaque animal étant lui-même un « individu ».
Un tel collectif ne pouvait pas ne pas prendre une position « ultra » au sujet de la guerre Israël-Hamas. Les choses sont ce qu’elles sont et ainsi sont les boutiquiers valorisant leur fonds de commence. Le souci ici, c’est que le mouvement de désobéissance civile pour les animaux de type « 269 » est à la base… israélien. Ce qui n’est bien évidemment pas dit.
Ce passage sous silence de l’origine de 269 est lourd de sens, bien entendu. Il ne doit rien au hasard. Il est bien difficile de tenir un discours « ultra » sur Israël, tout en ayant son origine directement dans la société israélienne…
Car « 269 », né en 2012, est typiquement israélien, dans ses fondements. Un veau « numéro 269 », avait été libéré d’un abattoir en Israël par quelques personnes, qui se firent marquer le chiffre au fer rouge ou tatouer sur leur peau. Une dimension auto-sacrificielle qui se voulait en écho à la question de l’Holocauste omniprésente dans ce pays. Le véganisme y est d’ailleurs extrêmement fort en raison de sa portée morale justement. C’est l’idée que les animaux connaissent un « éternel Treblinka ».
L’initiative israélienne a déclenché le mouvement « 269 life » dans plusieurs pays, dont la France ; « 269 libération animale » est une scission de « 269 life France ». Et voilà donc que, pour la beauté d’un discours « ultra », l’origine israélienne du principe de « 269 » – qui n’aurait pu naître nulle part ailleurs sous cette forme – est « effacée ».
C’est un premier souci. Mais à la limite, une telle hypocrisie n’a rien d’étonnant. Pour la question animale par contre, le second souci doit être souligné.
L’histoire est en effet réécrite, dans la mesure où « 269 libération animale » dit que depuis le départ le mouvement « 269 » a une dimension « politique » et que les défenseurs des animaux doivent s’aligner sur les causes ultra. C’est totalement faux : le mouvement « 269 » considérait justement que les humains font n’importe quoi et que la vraie question, c’est la question animale.
Et il y a une grande part de vérité là-dedans. Il faut voir les choses en termes d’époque, de civilisation. L’assemblage artificiel de luttes, le bricolage intellectuel sur les « opprimés », l’alignement sur tout et n’importe quoi (comme le Hamas)… tout cela ne rime à rien historiquement, n’apporte pas de la hauteur.
Sous prétexte de « politiser » les défenseurs des animaux, « 269 libération animale » veut en fait les mettre à la remorque de gens n’ayant strictement rien à faire des animaux. C’est de l’escroquerie, et en ce sens c’est un danger pour la question animale.
La question animale est incontournable, elle ne doit pas relever d’une hypothétique « convergence des luttes », qui n’est qu’un mythe d’ultra-gauche. La question animale doit être consciente, et assumée ! Ou bien elle n’est pas là, et alors c’est erroné.
Le Socialisme, c’est la résolution de tous les problèmes dans un même mouvement de fond. A bas l’anarchisme et ses prétentions vaines, qui prétend tout résoudre à partir d’assemblages et de bricolages d’ailleurs la plupart du temps fictif!
Voici le communiqué de « 269 libération animale », avec « l’oubli » de son origine historique et son appel « ultra ».
269 Libération Animale : Nous ne voulons pas d’un monde construit sur les cadavres des opprimé.e.s
« Je ne me souviens pas de mon enfance sans soldats, leurs bottes, leurs armes, la couleur kaki de leurs uniformes »,(Asmaa Alghoul, féministe gazaouie, L’Insoumise de Gaza.)
Un nettoyage ethnique a cours sous nos yeux. Ne pas le dire c’est y prendre part, et l’indifférence du milieu antispéciste – ou du moins de ses associations les plus connues – nous interpelle autant qu’il nous révolte.
Parce que « les animaux avec nous, nous avec les animaux » comme l’écrit Kaoutar Harchi, est la vision que porte 269 Libération Animale depuis toujours, nous ne pouvons rester silencieux.ses face au massacre du peuple palestinien et la répression qui s’abat sur les camarades qui expriment leur solidarité.
Cela nous concerne. Et nous concerne en tant que miltant.e.s engagé.e.s dans un combat contre l’exploitation animale. C’est pourquoi face aux crimes coloniaux d’Israël, les antispécistes ne peuvent rester silencieux.ses.
Depuis 2 semaines, le gouvernement israélien a décidé le siège complet de Gaza : pas d’eau, pas de nourriture, pas d’électricité ni de médicaments.
Le bombardement ininterrompu auquel est soumis la bande de Gaza, le territoire le plus densément peuplé du monde, a causé la mort de plus de 3875 palestiniens et palestiniennes, dont plus de 1500 enfants, détruit un grand nombre d’infrastructures nécessaires à la vie et blessé plus de 13500 personnes.
Les déclarations des dirigeants israéliens ont des tonalités nettement génocidaires : Yoav Galant, le ministre israélien de la Guerre, a déclaré que les palestiniens étaient des animaux, et le président israélien Isaac Herzog, a rendu responsable toute la nation palestinienne pour les crimes du Hamas, estimant que la population civile de Gaza était consciente et impliquée dans les attaques du 7 octobre. L’ordre d’évacuation donné par l’armée israélienne, fait craindre à la population palestinienne une seconde Nakba et l’ONU ainsi que de nombreuses organisations de défense des droits humains alertent sur le risque d’un nettoyage ethnique.
Israël cherche à justifier ce projet mortifère par les nombreux meurtres perpétrés par le Hamas, des meurtres que nous condamnons. Les centaines de vies israéliennes arrachées nous meurtrissent aussi et méritent notre compassion.
Il s’agit donc de parler droit, à l’instar de Rima Hassan, fondatrice franco-palestinienne de l’Observatoire des camps de réfugiés : « Que ça soit clair, il est moralement inacceptable de se réjouir de la mort de civils ». Et de préciser : « Le faire c’est oublier les principes qui nous engagent dans la perspective d’une paix qui doit nous sauver ».
On ne saurait, tant s’en faut, réduire la question palestinienne à celle du Hamas.
Le point central, c’est l’occupation. C’est l’apartheid qui ne cesse de progresser en Cisjordanie, accompagné par les meurtres de palestiniens par l’armée ou les colons. C’est, depuis 1948, la spoliation sans fin du peuple palestinien, expulsé de ses terres et parqués dans des camps de réfugiés. C’est, depuis 16 ans, l’ignoble blocus sur Gaza.
La souffrance des palestinien.ne.s est invisible depuis des décennies. Car avant le 7 octobre, le « calme » semblait régner, puisque les israéliens vivaient apparemment en paix, et la violence quotidienne que subissaient les palestinien.nes était noyée dans une profonde apathie. Quand elles et ils manifestaient pacifiquement pour leurs droits, comme lors de la « Marche du retour » de 2018-2019 le long de la clôture de Gaza, les snipers de l’armée israélienne les abattaient et les mutilaient dans l’indifférence générale.
Alors il faut le redire : les crimes odieux du Hamas ne peuvent en aucun cas justifier le génocide du peuple palestinien et rien ne doit nous faire oublier que c’est bien la situation coloniale en Palestine et l’apartheid qui dure depuis 75 ans qui est à la racine de toute cette violence.
Aux quatre coins du monde les rues se dressent contre le massacre du peuple palestinien en cours ; pourtant, en France, on doit marcher en rang avec les massacreurs puisque se trouve interdite toute expression de solidarité avec le peuple palestinien. Les rassemblements ont été interdits, les étrangers menacés de se voir retirer leur tire de séjour, des amendes ont été distribués pour le simple port d’un keffieh et de nombreuses organisations ont été poursuivies pour apologie du terrorisme.
Comment pouvons-nous tolérer que tout soutien au peuple palestinien soit désormais assimilé à un soutien au terrorisme, ce qui interdit toute mobilisation pour faire cesser les crimes et l’injustice ?
Comment pouvons-nous tolérer le soutien des puissances occidentales au « droit d’Israël à se défendre », donnant ainsi feu vert à un véritable massacre ?
Prétextant se soucier de la sécurité des civils israéliens, certaines voix en France réclament qu’on taise les injustices et l’hécatombe subies par les Palestiniens, qu’on criminalise leur dénonciation.
Nous affirmons au contraire que le chemin le plus court vers la sécurité des israéliens passe par la reconnaissance des droits des palestiniens. Seule la fin de l’occupation et de la colonisation peut assurer la sécurité pour tou.te.s.
Dans cette offensive idéologique, l’amalgame qui est fait entre critique du projet colonial israélien et antisémitisme nous terrifie car nous sommes convaincu.e.s avec Joseph Andras que « l’antisémitisme est une triple trahison : de la cause humaine, palestinienne et révolutionnaire. ».
Devant la gravité de cette situation, le silence des organisations animalistes est assourdissant. L’ensemble des militant.e.s qui œuvrent pour un monde plus juste ont su prendre position : les camarades syndicalistes comme Jean-Paul Delescaut, secrétaire départemental CGT du Nord, placé en garde à vue pour un tract de soutien au peuple palestinien, les militantEs antiracistes, féministes, antifascistes jusqu’à Greta Thunberg, toutes et tous ont exprimé leur solidarité.
Car elles et ils ont compris que si toute solidarité avec le peuple palestinien peut être taxée de terrorisme, leurs luttes peuvent l’être aussi, comme le seront et le sont déjà parfois les luttes de libération animale.
Elles et ils ont aussi compris que tant qu’existera l’injustice infligée au peuple palestinien par la colonisation israélienne, aucun principe et aucune lutte ne pourra obtenir gain de cause.
À quoi sert de se battre pour obtenir que le droit reconnaisse les autres animaux comme des personnes si on peut bafouer dans l’impunité la plus totale l’ensemble des droits humains ?
Si le mouvement animaliste s’enlise dans un horizon individualiste cantonné au « changer de mode de vie », c’est bien « changer le monde » qui nous préoccupe. Ce monde que nous partageons avec les animaux.
Et dans cette perspective, nous devons marteler que la lutte antispéciste n’est pas à part, qu’elle est traversée par ce qui arrive dans le monde et porte un projet politique qui est celui du refus du colonialisme, de l’impérialisme, de l’oppression, pour tou.te.s les individu.e.s de toutes espèces.
Comme le disait Louise Michel : « c’est que tout va ensemble » et les animaux de Palestine paient évidemment aussi le prix de ce massacre, malgré les efforts et l’incroyable courage des organisations comme la PALESTINIAN ANIMAL LEAGUE à laquelle nous apportons tout notre soutien.
Les organisations animalistes se replient sur leur propre introversion et pensent qu’éviter le positionnement et le clivage leur permettra d’élargir leur audience.
Elles n’ont pas compris, au stade infantile de développement qu’est le leur, que c’est par le clivage et les positionnements du côté de la justice que l’on gagne la possibilité de devenir majoritaires.
La question animale n’existe pas parallèlement à notre société, elle porte en elle une critique révolutionnaire de celle-ci et le mouvement ne peut pas vivre en vase clos.
En défendant les animaux, nous faisons aussi trembler les cachots pour toutes celles et ceux qui ne sont pas censé.e.s survivre dans ce monde !
Les systèmes de domination ont construit des catégories sociales de corps « tuables », de corps illégitimes.
Alors notre travail militant consiste à remettre en cause, tant théoriquement que concrètement, ces systèmes qui trient entre les vies qui comptent et celles qui ne comptent pas ; entre les corps qui ont le droit d’être protégés, réchauffés, soignés et ceux qui sont exposés aux coups, à la mort, au déni.
La lutte antispéciste implique de lutter contre toutes les oppressions et il est de notre devoir politique d’inscrire notre combat en solidarité avec les luttes contre l’impérialisme, le colonialisme, la ségrégation raciale et l’apartheid.
269 Libération Animale tient à réaffirmer sa solidarité avec le peuple palestinien, son opposition à toutes les entreprises coloniales et son soutien à la lutte des peuples pour leur autodétermination.
Nous appelons l’ensemble des militant.e.s antispécistes à se joindre à la mobilisation contre le génocide palestinien et à boycotter les produits israéliens et les entreprises qui participent à la spoliation du peuple palestinien, conformément à la campagne BDS.
La lutte du peuple palestinien est notre espoir, leur libération sera notre libération.
« La société israélienne se sentira dans l’obligation de changer de paradigme à partir du moment où les moyens par lesquels elle se maintient dans sa position de supériorité ne seront plus en place. Lorsque les Israéliens ne pourront plus se regarder en face lorsqu’ils voyagent, lorsque le monde leur renverra d’une manière suffisamment forte au visage l’horreur de l’entreprise sioniste, ils se résigneront, peu à peu, à renoncer à leurs privilèges, comme les Blancs de l’Afrique du Sud l’ont fait. » Eyal Sivan