Quel coup de tonnerre ce fut !Le lundi 13 novembre 2023, la CGT s’est fait ravir la première place des organisations syndicales représentatives chez EDF, son bastion parmi les bastions.
Avec 30,31 % des voix, elle est passée derrière la CFE-CGC qui en a recueilli 33,08 %. C’est indéniablement une page de l’Histoire de France qui se tourne, la fin de toute une époque.
En pratique, on peut dire que c’est la CGT qui a fait EDF depuis sa fondation en 1946 par Marcel Paul, et à laquelle était rattachée GDF.
On parle ici de quelque chose de très particulier, une expérience sociale extrêmement puissante. Cela a consisté en deux aspects.
D’abord, sur le lieu de travail, la CGT avait son mot à dire sur toutes les grandes décisions et sur toutes les affaires courantes, à commencer par les embauches. Rien ne pouvait être fait sans la CGT et comme la CGT était partout, c’est en fait elle qui faisait tout.
Chaque travailleur, chaque « électricien » ou « gazier » pouvant très facilement rejoindre la CGT, cela faisait que des ouvriers embauchés très jeunes et sans diplômes pouvaient très rapidement et facilement gravir les échelons (tout en restant ouvrier, d’ailleurs). L’intégration des ouvriers à l’entreprise a donc été immense, voire totale. Bien au-delà du corporatisme d’ailleurs, car il y avait de manière sous-jacente toute une vision de la société et du « service public ».
L’autre chose, c’est le comité d’entreprise, la CCAS. Dès l’origine en 1946, il a été négocié quelque chose de fondamental : la CCAS (Caisse centrale des activités sociales) ne devait pas être financée à hauteur d’1 % de la masse salariale, comme c’est le cas partout ailleurs, mais avec 1 % du chiffre d’affaires. Qui plus est, c’est exclusivement aux représentants du personnel, donc à la CGT, qu’en est revenue la gestion.
On comprend toute de suite la manne que cela a pu représenter durant toute la seconde moitié du 20e siècle. La Caisse centrale d’activités sociales a été extrêmement puissante, proposant un accompagnement social exceptionnel aux travailleurs, en plus de gigantesques services de loisirs et de vacances .
Être ouvrier chez EDF ou GDF, c’était l’assurance de trouver un logement, d’être aidé pour les enfants, en cas de coup dur ou de handicap, de partir à la mer chaque été et d’envoyer les enfants au ski chaque hiver, etc.
C’était des « arbres de Noël » (fêtes de Noël) avec de grands moyens culturels en termes de spectacles et de jolis cadeaux pour les enfants, à choisir dans un large catalogue. Pour ce qui est de la culture, il y avait (il y a encore, d’ailleurs), des œuvres culturelles toute l’année, que ce soit des sorties sportives ou touristiques, ou bien des spectacles. À la fin du 20e siècle, à son apogée, la CCAS était devenue l’un des plus gros programmateur culturel estival de France, avec au moins un spectacle gratuit et de qualité par semaine dans chaque centre de vacances.
Dès 1950, la CCAS accueillait 20 000 jeunes répartis dans 62 colonies de vacances. Dès les années 1970, elle mettait en place les premières expériences d’intégration d’enfants handicapés. Depuis, elle a acquis un savoir-faire important et avec des moyens pour accueillir les enfants et adultes handicapés en vacances.
Au tournant des années 2000, la CCAS était propriétaire de plus de 200 centres de vacances, tous de qualité, dont beaucoup situés dans des endroits parmi les plus prisés de France.
Seulement voilà, cela n’a jamais consisté en le Socialisme et la lutte des classes, mais uniquement en de la cogestion du capitalisme. La CGT à EDF, c’était pour la bourgeoisie française un compromis très intéressant : des miettes en or contre la paix sociale, ainsi qu’une productivité électrique énorme et fiable.
La CGT a en ce sens entièrement et consciemment participé à cette horreur qu’est le nucléaire.
Au 21e siècle, tout cela n’a évidemment plus de sens. Le capitalisme est maintenant à son apogée, la consommation est partout, la classe ouvrière est broyée psychologiquement et éparpillée socialement. La CGT est devenue un boulet au pied d’EDF, elle-même un monstre.
Alors il y a eu la dérégulation du marché, puis l’ouverture aux capitaux privés (puis la re-nationalisation en raison de la crise). Tout ce en quoi la CGT a cru pendant plus de 50 années, ou fait semblant d’y croire pour justifier sa corruption, a fini par s’effriter.
La CGT chez EDF a donc perdu sa raison d’être, malgré un ancrage gigantesque. Les employés, qui sont maintenant surtout des cadres supérieurs et des ingénieurs, ont acté le tournant, en reléguant la CGT derrière la CFE-CGC, le « syndicat » des cadres par nature.
Pour ce qui est des ouvriers restant chez EDF, ils sont surtout chez Enedis (filiale d’EDF) et ont un travail en général très qualifié et bien payé, avec du bon matériel, des bonnes conditions. Ce sont ceux par exemple qui escaladent les pylônes pour rétablir le courant après une tempête.
Ces ouvriers sont bien loin de la CGT et de son style gueulard, merguez-saucisse et sa pratique odieuse des coupures volontaires de courant en cas de protestation.
La CGT chez EDF est maintenant clairement une relique du passé, un passé d’autant plus proche qu’il est fui à tout prix. C’est vraiment un contre-exemple sur le plan moral et culturel, et un véritable exemple de comment le capitalisme a une incroyable force de corruption.