Avec l’essor de la commande en ligne et des livraisons à domicile (ou points relais), le capitalisme s’enfonce tout en essayant de résoudre ses propres contradictions. La décadence d’un mode de production est justement complet quand même les solutions aux problèmes sont de nouveaux problèmes.
Depuis les années 1950, la société marchande a connu un véritable bond en avant, développant une multitudes de possibilités de consommation. D’un côté cela veut dire que l’abondance des biens est un progrès immense qui permet de vivre confortablement, si l’on vit dans un pays développé. D’un autre côté, cela signifie que la tendance au monopole et la mise en concurrence produisent un éparpillement. En pratique, pour trouver ce que l’on cherche il faut se rendre dans plusieurs enseignes au lieu d’une seule et souvent cela veut dire faire des kilomètres, perdre du temps et ne plus s’y retrouver.
Cela est particulièrement palpable au moment des fêtes dans la mesure où l’on veut mettre la barre haute, que ce soit en faisant des cadeaux ou préparant des repas conviviaux, mais c’est surtout une réalité qui pèse toute l’année pour ses courses au quotidien.
Dans un magasin A on trouve de la nourriture pour animaux correcte, dans un magasin B comment s’alimenter sainement de manière vegan, dans un magasin C le meilleur rapport qualité prix pour des produits de base, dans un magasin D l’ambiance sera moins oppressante que le magasin C mais on ne trouvera que peu de choses, ainsi de suite. C’est un vrai casse-tête du quotidien qui se multiplie dans tous les domaines de consommation.
Il ne faut pas négliger cet aspect dans la tendance à l’augmentation des achats en ligne, du recours au « drive » ou à la livraison de ses courses à domicile : il y a une tentative de résolution de ce chaos à l’échelle individuelle. Et comme cela touche l’organisation du quotidien, ce sont principalement les femmes qui ont recours à ces services.
Certes beaucoup apprécieront de faire les boutiques, mais au quotidien naviguer de zones commerciales en supermarchés en zones piétonnes, de tours de ronds-points en embouteillages et recherche d’une place de parking, c’est tout bonnement intenable.
Dans ce cadre, il faut maintenir un certain rythme, un certain standing et avec le développement anarchique des enseignes et des produits visant simplement à satisfaire des niches, rien n’est uniformisé, homogénéisé, centralisé, simplifié et surtout rendu plus agréable. Le temps libre se transforme en un long cauchemar quand il faut se confronter à ces espaces labyrinthiques d’une grande laideur. À ce titre on voit bien l’évolution esthétique de la bourgeoisie rien qu’en comparant un centre commercial d’après les années 1970 avec une galerie marchande de la fin du XIXe siècle. Entre vecteur de beauté et décadence capitaliste.
Les centre commerciaux ont été imaginés chacun comme une flânerie à l’abri des intempéries, mais dès qu’une agglomération dépasse quelques milliers d’habitants ce sont plusieurs centres commerciaux, voire zones commerciales qui se font concurrence, et alors cela se transforme en course contre la montre quotidienne. À moins d’être chanceux, il faut choisir entre rationaliser ses lieux de consommation avec ses trajets domicile travail ou faire de choix plus culturels ou sain au prix de beaucoup de temps et d’argent.
En soi cela ne pose aucun problème pour le capitalisme que le temps libre du travailleur soit dédié à ce genre de course à la consommation. Mais le besoin de sérénité et surtout de rationalité trouve toujours un chemin !
Celui-ci pourrait être celui de remettre en question une vie quotidienne dictée par les lois du profit et sa laideur. Mais en l’absence de perspectives la remise en question est remplacée par un repli sur soi et une participation à l’extension de la consommation capitaliste à la sphère privée.
Avec le développement des plateformes d’achats en ligne, de la livraison et des « drive », le capitalisme exploite ses propres failles en compensant l’absence de l’objet convoité par un « parcours client » virtuel amenant à la compulsivité.
Là où en allant en ligne on pensait gagner en tranquillité tout en supprimant la tentation des packaging et de la mise en rayon en faisant son panier en ligne, les publicités ciblées se chargent de rappeler qu’on ne s’est mis à l’écart de rien du tout, que la capitalisme se glisse dans la moindre pensée de manière perfide.
La seule échappatoire est politique et sur ce sujet là, il n’est pas compliqué d’avoir un minimum d’utopie car on peut faire beaucoup mieux. Alors, que serait un lieu de distribution de la marchandise tout à fait socialiste ?
Tout d’abord, le socialisme permet d’unifier les différents monopoles et ainsi de supprimer l’éparpillement des produits tout en réduisant le volume de l’inutile grâce à la planification. Il est donc possible de rendre la distribution des produits plus claire. Surtout cela permet de satisfaire la qualité des produits dans l’abondance générale. Car à y regarder de près, le capitalisme prétend à l’abondance en ne parvenant pas à répondre à la qualité, sauf à appartenir aux classes les plus riches de la société.
La « publicité » doit être limitée à promouvoir des bonnes habitudes de salubrité et à présenter les nouveaux produits élaborés dans ce sens. Cela diminue le stress psychique au quotidien et au moment des courses. Ainsi, les dépenses compulsives en raison de prétendues promotions sont éliminées.
Le moment des courses est replacé au centre de la vie quotidienne et doit pouvoir s’effectuer à moins de dix minutes de chez soi, sans prendre la voiture puisque les voitures sont bannies du quotidien du plus grand nombre.
La fin des voitures étant nécessaire pour réduire l’étalement urbain, il est évident que les zones commerciales seront repensées soit pour ramener la nature dans et aux abords des villes, soit pour créer de nouveaux centres-villes là où les grandes villes et zones commerciales avaient absorbés l’activité des bourgs secondaires. Dans le cas de cette seconde option, les nouveaux magasins socialistes sont une structure centrale pour reconstruire la vie collective dans les déserts urbains capitalistes.
On trouve une halle dans chaque quartier dans les grandes villes, celles-ci sont adaptées au nombre d’habitants par leurs dimensions et la quantité de produits, mais le choix est aussi large dans les bourgs modeste que les grandes villes. Les halles participent à l’attractivité et ainsi au rééquilibrage démographique entre ville et campagne.
La forme du lieu où faire ses courses pourrait être empruntée aux halles ou galeries marchandes puisque cela permet d’éviter les « parcours clients » des hypermarchés de la société actuelle au milieux de rayons de marchandises dont l’achat n’est pas prévu. Les galeries sont un ensemble de boutiques thématiques approvisionnées essentiellement de la marque issue des monopoles précédemment socialisés.
Ainsi, on a d’une part l’alimentaire sec, de l’autre les fruits et légumes, ou encore la parapharmacie, les produits d’entretien, etc. La qualité est mise en avant car mise à disposition du peuple tout entier, que cela concerne l’alimentation, l’habillement, l’ameublement, etc.
Les galeries sont couvertes et il est possible de ramener les chariots jusque chez soi, jusqu’aux prochaines courses. Pour les personnes âgées et le parent faisant les courses en présence d’enfants en bas âge, les halles emploient des personnes affectées à l’aide aux course et à la restauration du lien social.
Le beau redevient un critère essentiel aux nouvelles constructions, y compris pour les halles. Leur architecture se réfère au classicisme et les ornements empruntent à différents courants figuratifs du classicisme à l’art nouveau.
Les halles socialistes sont réellement des lieux de flâneries où l’on se croise aussi bien à faire ses courses qu’à admirer les bas reliefs, tableaux, vitraux et statues représentant la Nature, les animaux ou des moments clefs de l’Histoire de l’humanité. Ce lieu, comme le reste des villes et communes populaires sont décorés avec goût pour fêter les solstices et les dates clefs de l’Histoire mondiale du mouvement ouvrier.
En somme une halle socialiste se doit d’être un carrefour entre le musée, l’architecture et la satisfaction des besoins humains. La halle a comme aspect principal de mettre en exergue le contrôle par le peuple des forces productives permettant de satisfaire les besoins. Contrairement aux grands magasins bourgeois, les halles socialistes ne font pas dans la démesure, l’objectif est de faire du beau simplement, et néanmoins répandu sur tout le territoire.
Retrouver des lieux de consommation agréables ne pourra se faire qu’avec le socialisme puisque les modalités d’accumulation du capital poussent à réduire le bâtis au fonctionnel et poussent ceux-ci en dehors des villes. Cette incapacité à faire du beau, de la qualité et de l’écologique est d’ailleurs une des choses qui va pousser inéluctablement l’Humanité dans l’ère du Socialisme.