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Refus de l’hégémonie

80e anniversaire du débarquement: encore l’escalade

La préparation du 80e anniversaire du débarquement avait causé un grand trouble diplomatique en France, en raison de la nécessité traditionnelle d’inviter la Russie, qui assume la mémoire de la contribution, principale, de l’URSS contre l’Allemagne nazie et ses alliés.

Et quand on dit ses alliés… Il y a les nationalistes ukrainiens. Qui ont désormais, depuis 2014, l’hégémonie sur l’Ukraine, où ils détruisent systématiquement tous les monuments soviétiques de la victoire sur le nazisme. Ce qui veut tout dire sur le plan des valeurs.

Pourtant, on a donc eu le 6 juin 2024 cette incohérence d’une cérémonie en Normandie sans représentant russe, mais avec le président ukrainien Volodymyr Zelensky, qui ne parle désormais qu’en ukrainien, lui qui était auparavant un… humoriste russophone.

Mais les incohérences ne comptent pas puisqu’il s’agit de la « liberté », avec une continuité censée aller de 1944 À 2024, la Russie étant désormais présentée comme la grande et seule menace (en attendant la Chine), comme l’a rappelé Emmanuel Macron.

« Aujourd’hui, l’Ukraine est une nation qui résiste et, ce faisant, la Russie a un peu trahi le message de la Libération et du Débarquement (…). Parce que qui dit que la Russie s’arrêtera là ? Nous sommes sûrs du contraire et la Russie est à nos frontières. »

La mise en scène a d’ailleurs été très réussie. Le film « Il faut sauver le soldat Ryan », une production hybride Pentagone – Hollywood, ressortait dans 300 salles de cinéma en France le même jour, alors que l’acteur Tom Hanks et le réalisateur Steven Spielberg étaient eux-mêmes en Normandie.Volodymyr Zelensky est tombé dans les bras d’un vétéran qui l’a qualifié de « sauveur », dans la continuité d’un storytelling à l’américaine ininterrompu depuis deux ans.

Au cimetière américain de Colleville-sur-Mer, le président américain a mis en valeur « la bataille entre la liberté et la tyrannie », assimilant le président russe Vladimir Poutine à un « tyran » et appelant à soutenir le régime ukrainien, car:

« Nous ne pouvons pas abandonner devant des dictateurs, c’est inimaginable ».

Puis il est allé à Paris, avec le quartier de l’opéra bloqué autour de son hôtel, ainsi que le périphérique et quatre autoroutes, alors qu’en même temps, une déclaration commune a été signée par les représentants de toute une série de pays, expression d’allégeance à la superpuissance américaine.

Elle a été signée par les pays suivants: Allemagne, Australie, Belgique, Canada, Danemark, Etats-Unis, France, Grèce, Italie, Luxembourg, Monaco, Norvège, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Pologne, République tchèque, Royaume-Uni, Slovaquie, Ukraine. En voici le noyau dur.

« Nous plaidons en faveur d’échanges économiques pacifiques, des liens entre les peuples et de la coopération internationale afin de promouvoir la sécurité et la prospérité en Europe et dans le reste du monde.

Ces principes universels se trouvent au cœur de notre engagement collectif en faveur de la paix et de la sécurité. Ils sont depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale la pierre angulaire de l’alliance nouée entre les États-Unis, le Canada et les pays européens, ainsi que des partenariats mondiaux établis de longue date.

Aujourd’hui, ils demeurent au cœur de notre action dans le monde, alors que nous nous efforçons de favoriser l’établissement de normes mondiales, de promouvoir des valeurs et de soutenir le développement durable pour tous.

Ils nous guident dans la détermination sans faille que nous déployons pour aider l’Ukraine à se défendre contre la guerre d’agression russe, et que nous continuerons de déployer aussi longtemps que nécessaire pour rétablir la paix en Europe.

Alors que les événements nous rappellent de façon dramatique que la paix n’est pas éternelle et que la sécurité n’est pas une évidence, il est plus que jamais nécessaire de redoubler d’efforts pour renforcer notre défense collective, notre capacité de dissuasion et notre résilience.

Nous réaffirmons le rôle central que joue l’OTAN dans la sécurité du continent européen et l’importance d’une défense européenne plus solide et plus performante qui contribue activement à la sécurité mondiale et transatlantique. Nous reconnaissons qu’il reste encore beaucoup à faire. »

Difficile d’exprimer davantage l’hégémonie américaine sur l’ordre mondial.

Puis, il y a eu un grand interview d’Emmanuel Macron, sur différents thèmes. Sur la Palestine, la France prône le statu quo et les négociations, et c’est pareil dans tous les domaines, car c’est le moyen de tirer son épingle de jeu que d’apparaître intelligente, plus subtile que les Américains, plus libérale que les Chinois, etc.

Sur l’Ukraine, par contre, le diktat américain est là et la France est à la tête de la coalition anti-Russie. Le problème, c’est que les moyens ne sont pas là. La France est un pays qui se déclasse, c’est d’ailleurs pour ça qu’elle est autant agressive. Et ce n’est pas facile de faire beaucoup avec peu.

Le président français a donc annoncé que la France fournirait à l’Ukraine des avions de chasse Mirage 2000-5. Les pilotes ukrainiens seront formés en France.

Sauf que ces avions sont en fin de vie, et qu’il faut au moins cinq mois pour une formation (il faudrait même plutôt compter en années pour être réellement expérimenté). De tels avions, il n’y en a également qu’une quarantaine, plus concrètement autour d’une petite vingtaine, même si Emmanuel Macron a précisé que:

« Nous allons bâtir une coalition avec d’autres partenaires. »

Toutefois, on en voit mal les contours, à moins d’échanger de tels avions vendus contre des avions américains nouveaux (par exemple pour la Grèce ou le Qatar).

Le régime ukrainien se voit donc accorder un soutien dans six mois, et sans réelle envergure, à part celle de lancer des missiles SCALP fournis par la France. On est surtout dans le service après-vente de l’industrie de l’armement français.

Et cela accroît en même temps la présence française, car pour maintenir ces avions, il faut des techniciens… Et là, on ne forme pas des gens en six mois. Cela implique forcément la présence de soldats français.

Une autre mesure annoncée a plus de poids. « Dans la zone libre, à l’ouest de l’Ukraine », explique Emmanuel Macron, la France va se charger « former 4500 soldats ukrainiens et donc de les équiper, les entrainer, leur apporter les munitions, les armes ». Ce serait en quelque sorte une « brigade française » a-t-il dit. On est là dans une forme de sponsoring morbide, avec l’armée ukrainienne clairement là pour servir de chair à canon.

C’est là un premier pas. En soi, ce n’est rien, mais il suffit de lire la chronologie depuis le 26 février 204 pour comprendre l’engrenage.

Le régime ukrainien commence d’ailleurs à chercher à récupérer les hommes de 17 à 60 ans qui ont quitté le pays pour ne pas être mobilisé. La pression commence à s’exercer sur eux, de manière administrative, mais certains pays dont la Pologne sont déjà dans l’optique d’entraîner des régiments ukrainiens nouveaux au moyens de mobilisés ukrainiens enrôlés de force sur leur territoire.

Malgré tout cela, Emmanuel Macron a prétendu que:

« Nous ne voulons pas d’escalade de la guerre et en aucun cas, nous sommes en guerre contre la Russie et son peuple. »

On est là dans la totale continuité. D’où, par exemple, l’appui du groupe PS du Sénat, Patrick Kanner.

« Sur le fond, je partage complètement l’idée que défendre l’Ukraine, c’est nous défendre. Je suis totalement opposé à toute tendance qui reviendrait à dire, en négociant maintenant, on va calmer les appétits de l’ogre Russe (…). Il faut continuer à aider l’Ukraine et que les armes arrivent en temps et en heure. »

Il suffit d’ailleurs de voir les votes, en France comme au parlement européen, pour voir que le soutien au régime ukrainien est total, que les appels à démanteler la Russie sont toujours unanimes.

Cependant, l’interview d’Emmanuel Macron trois jours avant les élections européennes aboutit forcément à des accusations d’instrumentalisation par les candidats. C’est de l’opportunisme électoral inévitable. En voici un exemple.

Le secrétaire national du PCF Fabien Roussel sur X s’est plaint des décisions. Ce qui est de la démagogie, puisque le PCF approuve les livraisons d’armes au régime ukrainien!

« Le Président de la République annonce, sans débat avec le Parlement, accroître notre présence en Ukraine. Il prend le risque, seul, de faire entrer la France en guerre contre la Russie. L’heure est grave, la démocratie est bafouée. Je demande un débat au Parlement en urgence. »

Le PCF est ici trompeur, puisque s’il appelle à des négociations entre la Russie et l’Ukraine, il présente toujours la Russie comme le seul pays agresseur et soutient le régime ukrainien.

Qui plus est, Léon Deffontaines, tête de liste pour le PCF aux élections européennes du 9 juin 2024, qui déplore pareillement que le Parlement français n’ait pas été consulté à propos de l’envoi d’avions de chasse Mirage 2000-5, avait dit ouvertement que, oui, il fallait fournir des F-16 au régime ukrainien…

Il l’a dit le 5 avril 2024 à Franceinfo. Il dit explicitement que si le régime ukrainien a besoin d’avions, il faut les lui fournir. Il dit également que:

« Moi, je suis favorable, et on l’a toujours dit, à aider les Ukrainiens militairement, à se défendre, et il faut regarder bien sûr les besoins qu’ils ont, et il faut qu’on regarde bien évidemment en fonction des besoins du front ukrainien. Il faut cesser à tout prix, à tout prix, que les Russes continuent d’avancer. »

C’est bien clair : « à tout prix ». Et c’est la ligne générale de la France. Encore une fois la chronologie que nous fournissons est ici l’arme politique suprême, c’est elle qui permet de voir les faits, de les comprendre, d’analyser adéquatement, de ne pas se faire piéger par l’opportunisme. Guerre à la guerre!