L’Histoire se présente toujours de manière tortueuse, ce qui demande un effort intellectuel pour en saisir correctement les contours et ses dynamiques. En ce début d’été 2024, la poussée inouïe du Rassemblement national aux élections législatives anticipées interroge quant à la nature de sa dynamique.
Car rien n’est très clair quant à la nature du phénomène selon que l’on prend le programme présenté, la dynamique sous-jacente, les alliances politiques effectuées ou bien encore les discours tenus par certains de ses principaux dirigeants.
Il est aisé de renvoyer aux origines du Front national pour le qualifier de « fasciste », ce qui n’est par ailleurs pas forcément justifié puisqu’il était surtout, dans cette époque donnée, un pôle de la droite anticommuniste.
Dans les années 1980-1990, Jean-Marie Le Pen va essentiellement représenter un réflexe bourgeois face à la Gauche au pouvoir, dans une dynamique anticommuniste et libérale. Il était de ce point de vue une option d’extrême-Droite, au sens d’un parti bourgeois radicalisé face aux prétentions de la Gauche.
C’est la raison pour laquelle les places fortes de la percée du Front national de Jean-Marie Le Pen aux élections législatives de 1986 se situent dans les grandes villes. Tout comme la tentative de mettre sur pied des syndicats Front national au milieu des années 1990 relevait d’une stratégie de barrage de la lutte des classes, d’opposition droitière au mouvement ouvrier organisé et non pas d’une tentative d’assécher son terrain pour en faire basculer ses éléments vers le « camp national ».
Cette perspective droitière anticommuniste et libérale a eu comme point d’orgue l’accession de Jean-Marie Le Pen au second tour de l’élection présidentielle de 2002, disqualifiant Lionel Jospin, premier ministre sortant d’un gouvernement de « gauche plurielle » en cohabitation avec Jacques Chirac.
Comme on le sait, cette orientation a changé alors que Nicolas Sarkozy avait pu récupérer l’électorat droitier lepéniste de 2002 à l’élection présidentielle de 2007 en fondant cette même année une « Union pour une majorité présidentielle » devenue « Union pour un mouvement populaire » (UMP).
À la fin des années 2000 lorsque Marine Le Pen progresse dans les instances du pouvoir du parti jusqu’à en prendre les reines en 2012, elle impose comme on le sait une nouvelle orientation qui a pris le nom de « dédiabolisation ». En fait de « dédiabolisation », il y avait une transformation en un sens fasciste avec le fait d’assumer l’option « ni de droite, ni de gauche » avec une forte prétention sociale.
C’est l’époque où Alain Soral est proche du Front national et où est effectué un travail de sape de la Gauche historique pour proposer une option littéralement national-socialiste. De la même manière que c’est la décennie où, notamment après l’élection présidentielle de 2012, le Front national emporte des pans entiers des couches populaires anciennement acquises à la Gauche. Une Gauche qui, en parallèle, s’éloigne de son héritage historique pour devenir une Gauche américaine fondée sur les valeurs libérales-libertaires et l’idéologie postmoderne.
À la différence de Jean-Marie Le Pen, la perspective de Marine Le Pen n’était pas de se heurter frontalement aux restes du mouvement ouvrier, mais d’en assécher le terrain pour en récupérer des grappes, et notamment certains de ses cadres. Cela a relativement fonctionné comme l’a prouvé les ralliements d’anciennes figures de la gauche de la gauche au Front National : Davy Rodriguez passé du Front de gauche au FN en 2015, Aurélien Legrand issu des rangs de la LCR/NPA et passé au FN en 2014 ou bien encore André Kotarac passé du parti de gauche au Rassemblement National en 2019.
Et la stratégie de Marine Le Pen a elle aussi connu son point d’orgue quelque part entre 2017 et 2019 avec Florian Philippot, élu vice-président du parti en 2012 et défendant le « Frexit » comme vecteur de cette orientation national-socialiste, avant d’être expulsé du parti après l’échec de la présidentielle de 2017.
Le mouvement des gilets jaunes qui est apparu comme une sorte de petit 6 février 1934 aurait pu provoquer une tentative de coup de force avec un front populiste de nature national-social. Mais son anti-parlemantarisme n’a surtout donné qu’un rejet de la politique, bloquant toute perspective de ce type, alors même que le FN devenait le Rassemblement National pour mieux mettre de côté ses origines.
Qu’est-il aujourd’hui ? Jordan Bardella devenu président du RN en 2021 se rapproche bien plus d’une figure de la Droite populaire telle qu’elle existait dans les années 1990 avec par-exemple le RPF de Charles Pasqua. Aussi n’est-il n’est plus nécessaire d’aller assécher le terrain de la Gauche, puisqu’elle-même a fini de muter en une fausse gauche américaine réfugiée dans les grandes villes comptant électoralement sur des communautés identitaires.
Reste que Jordan Bardella peut bénéficier de tout l’apport des années 2010 en termes d’électorat et de dynamiques populaires, alors que la ligne national-socialiste a échoué en 2017-2018 face au fameux « plafond de verre ». Depuis elle a été rabotée voir carrément abolie, notamment avec l’abandon de la sortie de l’Union européenne et de la monnaie unique. Sans même parler de l’acceptation totale de l’Otan et de la guerre à la Russie, évidemment!
Alors que représente en 2024 le RN ? Ni vraiment un parti d’extrême-Droite affichant une volonté de s’opposer à la lutte des classes, pour l’instant au point mort, ni un parti fasciste visant à faire de la France une grande puissance en mode cavalier seul.
Historiquement, il apparaît en réalité comme l’expression torturée et déformée d’une partie du peuple pour s’émanciper d’une société bourgeoise en décadence. Mais l’échec de la ligne national-socialiste des années 2010 fait qu’il va se heurter à sa propre incapacité historique, puisqu’il soulève un problème bien trop immense pour lui. Le poids de la dette, la récession économique et les nécessité de la guerre à la Russie forment les principaux moteurs de son échec annoncé.
Il en sortira demain ou bien un retour en force de l’option nationaliste-révolutionnaire, ou bien l’option de la Gauche historique, celle que nous portons, en première ligne. Agauche.org est au service de l’avenir inéluctable, du drapeau rouge !