La sortie début août 2024 de l’album Vultures 2 de Kanye West a produit une unanimité des critiques. Ce serait une catastrophe et c’en serait définitivement fini de Kanye West comme artiste. Il faut se débarrasser de lui comme référence.
C’est de la part des critiques une réaction forcée, une démarche artificielle, qui – osons le dire – est de la même nature que les réactions qu’on a eu en France au vote du Rassemblement national. Le mot d’ordre bourgeois, c’est : il faut se débarrasser de ce qui est nouveau, complexe, sans cohérence apparente, brutalement contestataire.
En réalité, l’album de Kanye West est une incroyable réussite. Chaque chanson joue dans un registre différent, et Kanye West pratique littéralement ses gammes. Il mélange les genres, il combine les approches, bref il fait du Kanye West, ce pourquoi il est un artiste d’une importance massive au début du 21e siècle.
Vultures 2 est, très concrètement, l’ouverture de quelque chose de nouveau, après que l’album Utopia de Travis Scott ait fermé toute une époque dont Kanye West a justement été la figure majeure. Dans Vultures 2, il y a un effort d’harmonie, de mélodie qui est marquant, qui est l’aspect principal du nouveau contre l’ancien.
Un effort permanent : reprenant ce qu’il a déjà fait, Kanye West fait en sorte que les versions de l’album évoluent… La chanson « Maybe » a été renommée « Forever » et raccourcie. C’est un bijou.
Comme d’habitude également, Kanye West joue les maestros. Officiellement, il réalise cet album avec Ty Dolla Sign. En pratique, on a plein de gens différents tant pour la production que l’écriture de chaque chanson.
Et sur l’une d’elle, on trouve également les figures latinos Bad Bunny et Peso Pluma, dont le côté flamboyant et virevoltant s’associe à une dimension dépressive harassante. C’est la dimension universaliste de Kanye West, dont l’esprit de combinaison musicale est sans frontières.
Pour bien enfoncer le clou, il y a également une vidéo pour la chanson « Fried », qui à elle seule résume toute l’ambiance pesante de notre époque, tout le côté brutal et agressif qui commence à ressortir de partout.
Cette vidéo joue sur l’esprit qui frappe, qui asphyxie, toute notre époque y est résumée en s’appuyant sur l’esthétique hooligan (on y trouve notamment des chœurs des ultras de la Curva Nord, soit le secteur nord du stade, du club de football de l’Inter de Milan, comme dans Vultures 1 et plusieurs chansons de Vultures 2).
Cette vidéo est une réussite : c’est une pure terreur pour les bobos et leur esprit d’apaisement qui ne reflète que la peur de l’effondrement de leur monde égoïste.
Cette chanson ne reflète pas du tout le côté incroyablement créatif de l’album. Quant à l’accusation récurrente d’une production non terminée, elle est justement en dehors de l’époque et de Kanye West. À nôtre époque, si on n’a pas la perspective de la Gauche historique, que reste-t-il ?
Justement de vivre comme des vautours (« Vultures » en anglais, comme le titre de l’album), de grappiller, de faire avec des choses mal faites et non finies, de prendre à droite et à gauche, de tout mélanger, en avançant et en espérant ne pas tomber…
Ce que fait Kanye West musicalement. C’est là assumer une dimension inégale, c’est en rupture.
La dureté complète dans un monde où les échanges sont partout possibles, telle est la situation, et Vultures 2 en est le produit, le reflet. On n’échappe pas à la réalité ! Kanye West avance en mélangeant, quitte à forcer, et c’est là sa dignité. On est dans une période où les choses basculent, cela est clair !