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Culture & esthétique

Après Belmondo, Delon: la fin du mec viril seul réel acteur

La disparition d’Alain Delon le 18 août 2024 met un terme à toute une longue période de l’Histoire de France. Ce n’est pas seulement du 20e siècle dont on parle, mais de la France telle qu’elle s’est définie en tant que République.

Alain Delon, c’est en effet celui qui vient des classes populaires, qui a fait l’armée pour se donner une perspective, dont le passé est trouble (la mafia), qui arrive par hasard dans le monde du cinéma et joue les beaux ténébreux dont la fin est souvent tragique.

Naturellement, il a du contenu : il est de droite.

La Piscine

Il y a son inverse, Jean-Paul Belmondo, décédé en 2021. Il est éduqué et a fait des études de théâtre, c’est un bourgeois qui amuse la galerie, dont le père est le sculpteur Paul Belmondo (qui a collaboré avec les nazis et dont la sculpture est typique de l’idéalisme).

Il joue les beaux gosses et le type ouvert, populaire, costaud. Il n’a pas de contenu, c’est une grosse gueule qui entend réussir ce qu’il fait, avec un sens de la justice, donc rétif aux autorités, à la hiérarchie.

Il a toujours eu d’ailleurs le souci de ne jamais donner son opinion politique, chacun pensant par lui-même, etc.

C’est typiquement comme ça que s’imaginent être les gens de gauche.

Ces deux définitions viennent du 19e siècle : l’homme de droite est solitaire, sombre dans son esprit, loyal, obsédé par des valeurs. Il irradie quelque chose et c’est le sens des (quelques vrais) films où l’on a Alain Delon, notamment ou surtout Plein Soleil (1960) et La Piscine (1968).

Plein soleil

L’homme de gauche, lui, rue dans les brancards en permanence, il a un esprit « barricades ». Il n’est pas intéressant, mais on peut compter sur lui, il y va.

Si on regarde le 20e siècle, cette opposition culturelle joue totalement. C’est vrai partout, jusque la littérature : vous écrivez bien, en respectant les classiques, vous êtes de droite. Vous êtes un moderne, bouleversez les règles, vous êtes de gauche.

Tous les problèmes historiques de la révolution en France viennent de là. La Gauche réelle est celle assumant la civilisation, pas la « révolte ».

Ce qui est révolutionnaire avec le film À bout de souffle de Jean-Luc Godard, en 1960, c’est que l’approche de droite commence justement à être renversée dans une perspective de gauche. La tentative fut refaite avec Pierrot le fou, en 1965.

Mais on reste cependant dans la logique de l’aventurisme, que Jean-Paul Belmondo ne quittera plus, avec d’immenses succès populaires : Le Cerveau (1969), Peur sur la ville (1975), L’Animal (1977), L’As des as (1982).

Tout cela a été dit dans « Jean-Paul Belmondo, allégorie commerciale des années 1960-1980« , qui explique comment il est passé de pionnier de la culture à figure pop beauf.

Et si on regarde, tant Alain Delon que Jean-Paul Belmondo ont joué dans une immense liste de films. Ils sont alors des figures délavés d’eux-mêmes, à différents degrés (de la Tulipe noire au Guépard pour Alain Delon, de Ho ! à Week-end à Zuydcoote pour Jean-Paul Belmondo).

C’est en ça qu’ils reflètent également leur alignement sur l’opposition Droite / Gauche à la française. Les deux acteurs ont été présents en permanence dans une industrie du cinéma qui a massivement influencé l’opinion publique, pendant des décennies.

Et, comme toujours, l’anti-conformisme de « gauche » contribuait à l’individualisme consumériste, tandis que l’élitisme de droite contribuait au conservatisme. Les deux films suivants de 1974 sont exemplaires de cela.

En mars sortait Les valseuses, avec notamment Gérard Depardieu et Patrick Dewaere, un film nihiliste faisant l’apologie de la violence et du viol, l’ensemble présenté comme une rébellion. Frédéric Bonnaud, directeur général de la Cinémathèque française, en dit sur France inter en 2016 :

« Finie la France de Papa. L’esprit de révolte et de liberté ne se limite plus au seul quartier latin mais imprègne désormais toute la société. »

Ce monsieur Bonnaud serait bien en peine de défendre le film aujourd’hui, d’ailleurs malgré son succès culte, aucun média n’a osé le rediffuser pour ses cinquante ans.

Et début avril sortait La Race des seigneurs avec Alain Delon, dont voici le résumé de Wikipédia :

« Député du Parti républicain unifié (PRU), Julien Dandieu est susceptible de prendre part au gouvernement qui se met en place. À sa carrière, il sacrifie sa famille tout comme sa maîtresse, la jeune mannequin Creezy. Ainsi, son épouse est internée pour dépression, alors que son fils de dix-sept ans ne parvient jamais à le joindre. Dandieu va jusqu’à trahir ses amis pour accéder au pouvoir. Mais une fois obtenu le poste tant convoité, il apprend que Creezy s’est donné la mort par sa faute. »

L’homme de gauche est ouvert et libéral, l’homme de droite est entreprenant et solitaire. Des propos célèbres d’Alain Delon résument très bien cette opposition Droite/Gauche.

« Ma carrière n’a rien à voir avec le métier de comédien. Comédien, c’est une vocation.

C’est la différence essentielle – et il n’y a rien de péjoratif ici – entre Belmondo et Delon.

Je suis un acteur, Jean-Paul est un comédien.

Un comédien joue, il passe des années à apprendre, alors que l’acteur vit. Moi, j’ai toujours vécu mes rôles. Je n’ai jamais joué. Un acteur est un accident.

Je suis un accident. Ma vie est un accident. Ma carrière est un accident ».

Mais cela va plus loin.

Somme toute, Alain Delon et Jean-Paul Belmondo ont représenté une grande limite historique, facile à comprendre : celle d’une idéologie patriarcale qui considère qu’un homme qui rentre dedans ou qui se replie sur lui-même suffit pour donner de la valeur à la réalité.

« J’arrive, et comme je suis ce que je suis, même si je n’ai été nulle part auparavant, je vais tout résoudre. » C’est typiquement patriarcal.

Ce culte de l’homme qui insiste lourdement sur lui-même a toujours été anti-révolutionnaire par définition et seules les femmes en furie, levant le drapeau du Socialisme, peuvent nous débarrasser de tels cultes de l’homme viril brutal ou isolé, dont l’exemple le plus fameux sans doute est Le Samouraï, de Jean-Pierre Melville, sorti en 1967.

Le Samouraï

Ce remake avec Alain Delon d’un film américain sur un tueur à gages a comme pendant direct John Wick, avec Keanu Reeves. Il résume à lui tout seul le culte bourgeois de l’individu viril dont Alain Delon et Jean-Paul Belmondo ont été des outils.

Est-ce à dire qu’il faut « déconstruire » les hommes de manière LGBT ? Pas du tout. Cela veut dire que ce qui compte, c’est la dialectique homme-femme, où les hommes sont des hommes, les femmes des femmes, dans la compréhension de l’identité et de la différence.

Rien ne peut être fait les uns sans les autres, c’est là d’ailleurs le sens même du principe du socialisme comme compréhension de la dimension collective.