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Effondrement de la France

La dette abyssale de la France

Une dette consiste en le fait de s’engager à rendre de l’argent qui a été emprunté. Il y a en général une échéance pour le remboursement, ainsi qu’un taux d’intérêt qui est défini.

Si l’on emprunte 100 euros et que l’on doit rendre 100 euros, le taux est de 0 %.

Si l’on emprunte 100 euros et que l’on doit rendre 105 euros, le taux est de 5 %.

Si l’on a honoré tous ses emprunts, on n’est plus endetté. Si l’on doit de l’argent, on a une dette. L’État français doit énormément d’argent, il est très endetté.

Quel est le montant de la dette de l’État français ?

Au 31 août 2024, l’encours de la dette négociable de l’État français est de 2 579 258 332 885 euros (2 600 milliards d’euros). Le terme  « négociable » a ici un sens technique, mais cela n’a rien à voir avec le fait de pouvoir négocier a posteriori le montant ou l’échéance des remboursements.

L’État français doit concrètement rembourser chaque centime de cette somme.

Quand l’État français doit-il rendre cet argent ?

Il n’y a pas une échéance générale pour tout rembourser, mais plusieurs échéances, car l’argent est emprunté au fur et à mesure, à des créanciers différents.

Une petite partie de la dette a une échéance à court terme (moins d’un an) ; les sommes doivent être remboursées en moyenne en 118 jours.

La majorité de la dette est contractée à moyen ou long terme ; les sommes doivent être remboursées en moyenne en 9 ans et 55 jours.

Cet aspect est très important, car cela explique en grande partie pourquoi, et surtout comment l’État français a pu s’endetter à ce point. Il y a ici un effet de roulement, avec un instant T qui est gérable (les sommes à rembourser tel jour, ou même telle année, sont abordables), qui fait que l’engrenage de la dette a pu continuer sans qu’il n’y ait de faillite.

Quel est le taux d’intérêt de la dette française ?

Comme pour les échéances, il n’y a pas un taux d’intérêt général, mais des taux d’intérêts qui peuvent être différents à chaque emprunt. Cela dépend directement du marché, en l’occurrence des marchés financiers où cela est négocié.

C’est actuellement un enjeu très important.

La dette d’aujourd’hui est en fait la dette d’hier. Globalement, les dettes à rembourser aujourd’hui sont celles contractées dans les dix dernières années ; elles l’ont été à des taux d’intérêt plutôt bas, car la France était en capacité de négocier cela.

Cela fait qu’aujourd’hui, la France rembourse ce qu’elle a emprunté avec des intérêts contenus. Mais c’est de moins en moins le cas.

La France emprunte maintenant avec un taux d’intérêt moyen autour de 3 %. Pour chaque millier d’euros emprunté, il faudra en plus du remboursement, donner 30 euros. Pour chaque million emprunté, il faudra donner 30 000 euros et pour chaque milliard, ce sera 30 millions d’euros.

Puisqu’il y a un roulement, comme on l’a vu plus haut, on comprend que la dette qui est actuellement de 2 600 milliards euros est en train de se renégocier avec 78 milliards d’euros d’intérêts. On parle de charge de la dette pour désigner cela.

La charge de la dette telle que prévue pour l’instant au budget 2025 est de 54,9 milliards d’euros. Elle était de 50,9 milliards d’euros sur le budget 2024.

À tire de comparaison, le budget de l’Éducation nationale 2025 est prévu à 65 milliards d’euros.

Comment expliquer que la France a pu emprunter auparavant à des taux faibles ?

On touche ici au cœur de la question des marchés financiers. Ce qu’il faut toujours garder en tête, c’est cette notion de roulement.

Cela ne concerne pas que les États comme la France, qui font rouler leur dette, mais c’est en fait la règle de fonctionnement générale des marchés financiers, que ce soit pour les dettes ou les placements (les dettes étant de toutes façons considérées comme des investissements).

Rien n’est figé, mais tout est en mouvement perpétuel : il y a en permanence une multitude d’échanges, et les calculs sont toujours effectués par rapport à l’avenir, plus précisément en misant sur l’avenir.

À notre époque, on ne peut plus imaginer la richesse financière avec l’idée d’un coffre-fort rempli d’or, verrouillé et caché. La richesse financière consiste surtout en le fait d’avoir des placements financiers.

Ceux-ci sont effectués par des professionnels, de manière plus ou moins automatique, mais toujours avec des objectifs très précis. Parmi les objectifs, il y en a un qui est déterminant : le risque.

Concrètement, les acteurs sur les marchés financiers disposent de portefeuilles de placements et pour chaque portefeuille est décidé un niveau de risque acceptable.

Si le but est de faire beaucoup d’argent à court terme, alors un risque élevé peut être acceptable. Au contraire, s’il s’agit de faire fructifier lentement mais sûrement un capital, alors le risque doit être réduit le plus possible.

En pratique, il y a surtout un mélange de plusieurs niveaux de risque, pour atteindre l’objectif donné. Et c’est là qu’on retrouve les dettes des États avec des taux d’intérêts faibles, voir négatifs !

Si un État peut se permettre d’emprunter avec un taux d’intérêt faible (voir négatif), c’est qu’il est considéré comme extrêmement fiable. En prêtant de l’argent à un État considéré comme extrêmement fiable, de surcroît dans une monnaie telle que l’euro, considérée comme extrêmement fiable, on peut facilement diminuer le risque moyen sur un portefeuille et sécuriser sa mise. C’est aussi simple que cela.

Et c’est ainsi qu’en 2020, la France a pu emprunter en moyenne sur l’année à un taux de -0,3 %.

Notons toutefois que ce chiffre extrême est surtout le produit d’un bricolage financier très dangereux de la part de la Banque centrale européenne, mais cela n’enlève rien à la compréhension de la dynamique des taux bas.

Concrètement, comment la France emprunte de l’argent sur les marchés financiers ?

Tout simplement avec une poignée de fonctionnaires (une cinquantaine) qui travaillent au sein du ministère des Finances à Bercy. Il s’agit de l’Agence France Trésor. Régulièrement, elle met en vente des morceaux de dette de l’État français. On parle d’obligations assimilables du Trésor (OAT) et de bons du Trésor à taux fixe (BTF) ; ce sont des titres dont la coupure nominale est de 1 euro.

Si on dit que ces obligations et ces bons sont « vendus », c’est précisément car ils ont de la valeur en soi. Ce sont des reconnaissances de dette à échéance. En général, il s’agit d’obligation à 10 ans et de bons pour plusieurs semaines.

Ces obligations et ces bons sont des marchandises, qui peuvent tout à fait être revendues sur le marché secondaire (un grand marché de l’occasion pour les titres financiers), faisant l’objet de spéculation. Comme on l’a vu précédemment, ces obligations et ces bons sont des produits composant des portefeuilles financiers.

Quelques jours avant une adjudication, l’Agence France Trésor annonce qu’elle mettra en vente un volume avec certaines échéances. Par exemple, le 27 septembre 2024 elle a annoncé qu’elle emmétrait le 3 octobre 2024 des OAT à long terme pour un volume compris entre 10 000 millions d’euros et 12 000 millions d’euros, avec des échéances allant de 2034 (10 ans) à 2055 (31 ans).

Le jour dit, la vente a lieu avec comme règle que les offres dont les prix sont les plus élevés sont servies en premier. En l’occurrence, le 3 octobre 2024, l’Agence France Trésor a vendu :

  • 2 485 millions d’euros d’OAT à 1,25 %, payables le 7 octobre 2024 (la France reçoit l’argent) et remboursable le 25 mai 2034 (la France rembourse l’argent avec des intérêts) ;
  • 6 165 millions d’euros d’OAT à 3 %, payables le 7 octobre 2024 (la France reçoit l’argent) et remboursable le 25 novembre 2034 (la France rembourse l’argent avec des intérêts) ;
  • 1 917 millions d’euros d’OAT à 3 %, payables le 7 octobre 2024 (la France reçoit l’argent) et remboursable le 25 juin 2049 (la France rembourse l’argent avec des intérêts) ;
  • 1 415 millions d’euros d’OAT à 3,25 %, payables le 7 octobre 2024 (la France reçoit l’argent) et remboursable le 25 mai 2055 (la France rembourse l’argent avec des intérêts).

Le 7 octobre 2024, l’État français a donc rentré dans ses caisses 11 982 millions d’euros (12 milliards d’euros), qu’il ne commencera à rembourser que le 25 mai 2034.

Combien d’argent l’État français emprunte-il ?

Ce sont 285 milliards d’euros d’émissions qui ont été prévues par le budget 2024 (l’Agence France Trésor ne peut travailler que par rapport à ce qui a été décidé en amont par la loi budgétaire).

Pour le budget 2025, l’estimation est pour l’instant de 306,7 milliards d’euros à emprunter sur les marchés financiers. C’est un record.

Qui prête de l’argent à l’État français ?

Personne ne le sait en détail, car les achats sont effectués par des investisseurs professionnels n’agissant pas pour leur propre compte, mais pour le compte de particuliers ou d’entreprises (ou même un mélange des deux). Il peut s’agir de fonds de pensions, de fonds souverains, de banques, d’assurances, etc.

Ce que l’on sait par contre, c’est que (au 2e trimestre 2024), pratiquement 55 % de la dette française est détenue par des « non-résidents », c’est-à-dire des organismes ou individus étrangers (ou en tous cas domiciliés à l’étranger).

Pour le reste, la Banque de France considère que les titres sont détenus à 26 % par des particuliers français (via des investisseurs professionnels la plupart du temps), à 8,7 % par des établissements de crédit français, à 9,2 % par des compagnies d’assurance françaises et à 1,5 % par des organismes de placement collectif en valeurs mobilières.

Comment l’État français rembourse ses dettes ?

C’est très simple : à échéance des titres, l’État français rembourse conformément à ce qui a été prévu. Il faut pour cela que l’État, en l’occurrence le Trésor, dispose de la trésorerie nécessaire en temps voulu pour payer (il s’agit ni plus ni moins que de virements bancaires).

L’Agence France Trésor emprunte donc en grande partie pour… rembourser. Probablement aux mêmes personnes, d’ailleurs.

Sur les 306,7 milliards d’euros qu’elle devrait emprunter en 2025, il est prévu que l’Agence France Trésor en utilise 174,8 (plus de la moitié !) pour rembourser des titres arrivant à échéance.

Ce serait pratiquement 20 milliards de plus qu’en 2024.

Pourquoi est-il question ici de 2 600 milliards d’euros de dette, alors qu’on entend plutôt parler de 3 000 milliards d’euros ?

Nous n’avons parlé que de la dette de l’État français. Les 3 000 milliards d’euros consistent en la dette publique française, c’est-à-dire la dette de l’État français à laquelle on ajoute celle de la Sécurité sociale, des organismes divers d’administration centrale (Météo-France, l’IGN, le CNRS, les Musées nationaux, etc.), ainsi que celle des collectivités territoriales (départements, municipalités, etc.).

L’Agence France Trésor ne gère que la dette de l’État français, les autres organisent eux-mêmes leurs emprunts. Toutefois, la santé financière de la France est évaluée par rapport à sa dette publique, et non pas seulement la dette de l’État.

À quoi correspond le déficit public, censé être contenu à 3% pour répondre aux règles de l’Union européenne ?

Il s’agit du fait d’avoir plus de dépenses que de recettes. Le budget de l’État français n’étant pas équilibré, il est en déficit. Cela creuse la dette puisqu’il faut emprunter pour honorer ses dépenses, alors qu’au contraire un budget excédentaire permettrait de réduire la dette en remboursant plus qu’il n’est emprunté.

En 1992, le Traité de Maastricht a fixé des critères de discipline budgétaire pour les États, pour éviter des dérives qui feraient perdre de la valeur à l’euro, ou en tous cas abimerait la fiabilité de cette monnaie.

Il a été décidé qu’il ne fallait pas que le déficit public soit supérieur à 3% du PIB (une façon de calculer la richesse produite dans le pays chaque année).

Le projet de loi de finance 2024 prévoyait un déficit public de 4,4%, mais il est établi maintenant qu’il dépassera les 6% (les comptes seront fait l’année prochaine, par définition).

Cela signifie… soit que le budget présenté par le gouvernement était insincère (ils ont volontairement menti sur les dépenses et les recettes), soit qu’il n’a pas pu être maîtrisé, soit que le calcul du PIB a été surestimé. C’est en fait probablement un mélange des trois.

Le projet de loi 2025 prévoit pour l’instant un déficit de 5% du PIB, bien qu’il y ait des doutes sur la capacité du gouvernement à réaliser cela (c’est le Haut Conseil des finances publiques qui le dit).

La France est-elle en faillite ?

Il est difficile à la vue de ces chiffres de comprendre comment et pourquoi l’État français ne s’effondre pas.

Il faut savoir que le Traité de Maastricht prévoit également que la dette publique soit contenue, au plus à 60% du PIB.

Selon le projet de loi de finance 2025, la dette publique doit atteindre 115% du PIB. Cela signifie tout simplement que la France a plus de dettes que ce qu’elle ne produit comme richesse chaque année.  

Bien entendu, ces dettes sont lissées sur plusieurs années, et leurs remboursements sont bricolés par l’Agence France Trésor en organisant un roulement (on emprunte pour rembourser).

Toutefois, la véritable mesure de la santé financière d’un pays consiste en la notation par les trois principales agences de notation que sont Standard & Poor’s, Moody’s et Fitch.

De manière générale, les investisseurs ne peuvent pas agir comme ils veulent, mais doivent se baser sur les notes de ces agences pour établir leurs placements (en fait, se couvrir par rapport aux risques).

Le 11 octobre 2024, l’agence Fitch a annoncé maintenir la note AA- (soit 17/20) à la France. Bien qu’elle y ajoute une une perspective négative (elle pourrait dévaluer cette note prochainement), cela reste une très bonne note permettant d’emprunter facilement et avec peu d’intérêts.

Voilà pourquoi les finances françaises ne s’effondrent pas.

De fait, l’État français n’est pas en faillite, car non seulement il honore toujours ses dettes lorsqu’elles arrivent à échéance, mais surtout il arrive bon an mal an à établir un budget et à fonctionner.

Pour le dire autrement, l’État français est extrêmement endetté, mais il arrive toujours à repousser la poussière sous le tapis.

Néanmoins, la situation est précaire et le risque est très grand d’un emballement négatif menant à l’effondrement. La crise de régime, avec un budget 2025 qui peine à être établi, participe directement de ce risque.

Avec sa dette abyssale, la France est un maillon faible des puissances occidentales, elle pourrait facilement devenir la première grande victime de la crise du capitalisme.

La France est tout sauf à l’abri d’un choc important, et d’ailleurs il suffit de regarder autour de nous : on voit bien que les gens ont une mentalité sociale-impérialiste, qu’ils aimeraient bien que la France reste un îlot de prospérité capitaliste.

Que ce soit le Rassemblement national ou La France Insoumise, et évidemment tant les socialistes que les partisans d’Emmanuel Macron, tous ont une hantise : la perte de vitesse du capitalisme français, la perte du rang de la France dans la distribution du profit dans le cadre de l’ordre mondial favorable à l’occident.

Du point de vue par contre du Socialisme, tout cet affaiblissement de la France est une bonne chose, cela montre que le capitalisme vacille, et à travers ce décrochage vont se lever des forces populaires en rupture.