Cet appel de Baudelaire, écrit dans son journal intime, est en soi un appel à la révolution à notre époque vidé de son cœur et de son esprit. La bataille pour la sensibilité est un pas nécessaire pour tout un chacun pour s’arracher à l’asséchement imposé par le capitalisme.
On peut reprocher beaucoup de choses à l’esprit romantique, tant sa complaisance pour le moi que sa fascination pour les mauvais génies, comme le royalisme, le fascisme, la religion, le passé idéalisé. Seulement il ne faut pas le prendre au pied de la lettre et ici quelqu’un à la démarche unilatérale ne révèle qu’une incompréhension de la dialectique de la vie.
La vie est d’une richesse extrême, et si le capitalisme n’effaçait pas toute la gamme de la sensibilité, pour les résumer à quelques attitudes allant dans le sens de la consommation, l’humanité serait bien différente. Eh oui il faut encore admettre avec la vieille Gauche, celle qui n’est pas post-moderne, qu’après la Révolution, on aura droit à l’Homme nouveau !
En ce sens, quand on a compris cela, on retrouve chez les romantiques des éléments qui résonnent à cet avenir prometteur. Prenons Baudelaire, qu’on ne saurait résumer aux Fleurs du mal qui ne sont par ailleurs qu’un exercice de style, souvent pompeux et faible. L’immense auteur du Spleen de Paris écrit dans son journal intime ces lignes si confondantes dans leur candeur et si touchantes par leur vérité :
« Ne méprisez la sensibilité de personne. La sensibilité de chacun, c’est son génie. »
Y a-t-il plus révolutionnaire que ces lignes aujourd’hui, à une époque où exprimer sa sensibilité est considérée comme un risque, une agression, une insupportable faiblesse, une atteinte au conformisme ?
On ne peut que se prendre la tête entre les mains et se dire : quoi, à notre époque, nos n’avons même pas de romantiques, nous n’avons que des zadistes et des salafistes fuyant le monde et leur propre sensibilité ? Avec des LGBT pour qui la sensibilité ne devrait se lire que par la subjectivité et avec comme seul critère le corps ?
C’est odieux et s’il n’était pas la classe ouvrière, mieux vaudrait se contenter de lire Baudelaire et Goethe, les grands poètes anglais du romantisme et les grands auteurs russes. Or, là, comme il y a la classe ouvrière, cela signifie qu’on peut les lire et avoir en tête que l’exigence de transformation de la réalité, pour l’affirmation de la sensibilité, est tout à fait possible. Le sens tragique du romantisme, obnubilé par l’échec individuel, s’efface devant le sens épique du socialisme, intéressé par le développement personnel.
Seul le socialisme peut reconnaître la personnalité, en rejetant l’individu qui n’est qu’une abstraction, car rien n’existe de manière isolée, entièrement différente, sans appartenance à l’ensemble. L’individu ne cultive que son petit moi, avec aigreur, là où la personnalité affirmée connaît un rapport vivant et productif avec la nature et la culture, qui elles-même sont fondamentalement liées.
Chaque personne ne saurait être un génie, car les génies n’existent pas, mais chaque personne a du génie, consistant non pas en le moi, sa pensée ou on ne sait quelle absurdité cartésienne, mais dans sa sensibilité. C’est ce qui fait qu’on admire tel oiseau, tel chat, tel poisson, tel insecte, de par sa sensibilité qu’on remarque, qu’on saisit comme on bond, tel un écho de notre propre sensibilité.
Le socialisme sera le monde où la sensibilité prédominera, et finalement le communisme rêvé par la Gauche historique n’est-il pas le triomphe complet de celle-ci ?