Amine Kessaci apparaît à rebours de notre époque qui a transformé les individus en zombies refusant toute implication morale, toute notion d’engagement collectif.
Il incarne une figure de combat contre le renoncement, et non des moindres, puisqu’il ose ne pas baisser la tête devant les narcotrafiquants, ces agents de terreur qui veulent faire tourner la roue de l’Histoire à l’envers en voulant nous ramener dans les vieux ténèbres du féodalisme, voire de l’esclavagisme.
Son appel à une mobilisation populaire contre le narcotrafic doublé d’une volonté énoncé dans sa tribune dans Le Monde que « mille voix s’épanouissent » est juste, avec un sens démocratique avéré. C’est là tout l’intérêt des marches blanches du 22 novembre 2025, à Marseille bien sûr mais aussi Montreuil, Paris, Nantes, Poitiers, Vénissieux, Lyon, Rive-de-Gier et d’autres villes encore.
Mais, il faut aussi prendre conscience du chemin politique qu’il faut suivre. Et lorsqu’on parle du narcotrafic, il faut d’emblée poser la question de la consommation de drogues comme condition essentielle à son déferlement dans le pays.
Cela, Amine Kessaci en parle avec de très bons mots dans son livre « Marseille, essuie tes larmes. Vivre et mourir en terre de narcotrafic » publié le 2 octobre 2025 et qui est un dialogue plein de sensibilité avec son frère Brahim, décédé en décembre 2020 dans un règlement de compte.
Voici ses propos :
« Le deal n’est pas une affaire de banlieue mais une affaire de civilisation. Pas moins.
On ne peut plus parler du trafic sans parler de la société qui le rend possible.
On dit que le narcotrafic gangrène la République, mais on oublie que cette gangrène trouve sa source bien plus haut, bien plus large, dans les veines ouvertes de nos sociétés malades.
La France découvre peu à peu que la demande de stupéfiants explose partout. Loin d’être marginale, elle est massive.
Elle ne vient pas d’un écart mais d’un déséquilibre généralisé.
La France ne sait plus dormir sans cannabis, plus faire la fête sans cacheton, plus affronter une réunion sans ligne.
On s’automédicamente dans les bureaux comme on se shoote dans les squats. La géographie du narcotrafic s’étend maintenant à des zones que l’on n’imaginait pas devoir mettre sur la carte des territoires convoités par les marchands de drogues. (…)
La montée du mal-être et la croissance du trafic ne sont pas des lignes parallèles. Le marché narco prospère sur le mal-être généralisé.
La drogue est devenue une réponse chimique à un mal-être systémique.
Le capitalisme broie, la solitude asphyxie, l’anxiété ronge.
Le marché narco prospère sur cette ruine intérieure.
Il vend des antidotes à un monde sans remède. Il remplit les trous. Il apaise les crises. II vend du calme aux uns, de l’excitation aux autres.
La place prise par le narcotrafic est le fruit d`’un abandon général : celui de l’État. celui de la solidarité, celui du soin.
Le narcotrafic prospère sur le désengagement des institutions protectrices.
Il s’installe dans les brèches du système, remplace ce qui a vacillé. »

Oui il faut en finir avec la drogue, ce paradis artificiel, résidu d’un passé dans lequel l’Humanité était prisonnière de mystifications car ne disposant ni de l’abondance des biens, ni d’un rapport conscient, scientifique, à l’Univers.
Pour cela, on l’aura alors compris, il faut une Utopie qui emporte le cœur et l’esprit du peuple ! Mais de quelle nature ? Faut-il relancer l’utopie républicaine comme le propose Amine Kessaci ou abattre le capitalisme et construire un nouvel ordre socialiste ?
En effet, dans son livre « Marseille, essuie tes larmes », Amine Kessaci revient régulièrement sur la « République », ses « promesses non tenues », sa « trahison », etc. En fait, Amine Kessaci propose un positionnement de type social-républicain, dans la lignée de ce que pouvait dire Jean Jaurès, avec des constats sociaux toujours justes comme par-exemple ici :
« Ils [narcos] n’ont pas besoin de convaincre : l’échec scolaire, le chômage, le mépris social suffisent. Ils n’ont pas besoin d’avoir raison : ils ont le temps. (…)
Le plus violent dans tout cela, c’est que rien n’est ignoré, mon frère. Il n’y a pas d’aveuglement, de surprise. Les inégalités scolaires ne sont pas un accident, ce sont des choix. La République ne traite pas l’école comme une priorité. On dit « perte de repères » comme si nos repères n’avaient pas été méthodiquement effacés année après année budget après budget. Les profs pleurent dans leur voiture. Les familles s’épuisent en silence. À force de gérer l’école comme une variable comptable, on a tué ce qu’elle avait de plus précieux : la promesse méritocratique. »
Il est surprenant que ce discours républicain refasse surface tant il est rabâché depuis plusieurs décennies à ces mêmes quartiers pour mieux neutraliser la question sociale. Or, comme le dit Amine Kessaci, il faut une « Révolution sociale ».

Alors il faut aller au-delà du discours républicain et le prendre pour ce qu’il est réellement : un prétexte à pour toujours apaiser les choses et renvoyer la balle à plus tard au nom de « l’idéal à atteindre ».
Il faut en finir avec le capitalisme par la lutte des classes en se battant pour une nouvelle société débarrassée de l’oppression et l’exploitation de classe qui ont comme corollaire d’aliéner, d’abrutir, de désensibiliser les êtres nageant dans les fractions les plus paupérisées de la classe ouvrière.
Oui l’État est en déliquescence complète et a faillit à sa mission de civilisation pour tout le monde. Mais cela ne résulte pas de mauvais choix, d’un diagnostic erroné, cela provient de la reproduction des classes sociales par le mode de production capitaliste, dont l’école est un instrument essentiel.
Quand on dit cela, on parle du niveau de conscience qui doit progresser pour aller vers la compréhension non pas simplement du « capitalisme » mais aussi et surtout du mode de production capitaliste.
Cela peut sembler abstrait mais c’est capital pour sortir de l’illusion de la République comme promesse non tenue alors qu’en réalité elle n’est rien d’autre qu’un voile lancé par la bourgeoisie sur les yeux du prolétariat pour le dévier justement de la lutte des classes au profit de la lutte des places.
À ce titre, pour le capitalisme, les éléments les plus paupérisés qui vivent dans les cités HLM doivent ou bien tomber dans le lumpenprolétariat qui fournira tous les magouilleurs et dealers, ou bien tomber dans les fractions plus stables de l’armée de réserve industrielle, en liaison avec le prolétariat.
Or, Amine Kessaci a justement la bonne intuition pour une telle compréhension du capitalisme comme il le dit ici avec une très grande finesse.
« Refuser d’attendre sagement que la guillotine sociale coupe la tête à nos rêves. Les sociologues parleraient de refus de l’assignation sociale.
Moi, je dis : juste refuser d’être là où on nous attend. C’est ça que je te reproche, frangin.
Tu as décidé de prendre ta vie en main mais en suivant la pire des voies, celle qu’on réserve aux gamins des quartiers : la délinquance.
Un Arabe qui fait des trucs pas clairs, qui magouille, c’est ce qu’ils adorent. Un dealer en survêt Lacoste, c’est ce qu’ils veulent faire de nous.
Un mec servant les bobos qui ne viennent dans nos quartiers que pour chercher de quoi pimenter leur vie.
C’est comme ça qu’on aime nous voir : soumis à un destin de chien, la laisse de notre résignation »
Maintenant il faut aller au-delà de ce constat en transformant cette bonne intuition en une conscience scientifique grâce à la critique de l’économie politique porté par le marxisme. Et il y a terreau favorable pour une conscience de classe, assumée, revendiquée :
« Connais-tu notre vérité ? Sais-tu ce que nous sommes. Brahim ? Nous sommes des gens d’en bas.
Ceux et celles qu’on ne calcule pas, qu’on ne veut pas voir. Nous appartenons au peuple des humiliés, des proscrits, des exploités.
Le dire, ce n’est pas faire du misérabilisme. C’est affirmer une solidarité C’est choisir un camp.
Plus personne ne parle de lutte des classes, ce n’est plus à la mode, mais nos luttes ne viennent pas de nulle part.
Nous sommes des enfants de prolétaires. de parents immigrés qui travaillaient de leurs mains, qui engageaient leur corps dans leur travail, avec tout ce que ça veut dire.
Je sais bien que nous n’avons pas le monopole de la souffrance et que si nos vies sont dures, elles demeurent dignes.
Mais je prends la parole parce qu’on ne l’a pas donnée à nos parents. Pour dire qu’on ne veut plus, qu’on ne peut plus vivre entre colère et résignation.
Notre combat dépasse les murs de nos quartiers, dépasse même les limites de Marseille pour embrasser la cause de tous ceux qu’on condamne à vivre dans des conditions inacceptables. »
Il faut prolonger ce positionnement pour aller jusqu’à la reconnaissance que la seule issue possible est la prise en main du peuple jusqu’à la construction d’un nouvel État, à son image, pour servir ses propres besoins.
Car il n’y aura pas de « police de proximité », de « retour de la République » dans une France rongée par la crise du capitalisme l’ayant fait basculée dans une crise de régime et dont la classe bourgeoisie dirigeante n’a plus que comme seul objectif de faire la guerre à la Russie pour s’en sortir.
De même que la « légalisation du cannabis » dans un tel contexte n’offrira rien de bon, car il est trop tard, bien trop tard. Non, il ne faut rien encadrer, il faut tout changer !
Il faut en finir avec la violence anti-sociale produit du capitalisme en crise, en finir avec son idéologie libérale-récréative qui promeut la drogue pour tenir coûte que coûte le rythme ou bien s’enfuir dans l’artifice. Il faut en finir avec la désensibilisation individualiste des gens par la société de consommation.
Là aussi, Amine Kessaci a un ressenti juste lorsqu’il parle de son engagement en faveur de l’écologie :
« Je l’aime, ma cité, mais j’aime me savoir vivant d’une autre manière, en sentant que je fais partie d’un ensemble plus vaste, en me rappelant que nous appartenons au cosmos. C’est presque une question spirituelle. La terre n’appartient pas à ceux qui la détruisent. Et personne ne devrait être privée du droit à la nature. »
Il faut prolonger et approfondir toute cette armature spirituelle, aller de l’avant en puisant tout à la fois dans le Socialisme et la sensibilité envers la nature et les animaux, clefs pour développer une culture positive, productive en antagonisme complet avec les agents de morts que sont les narcos.
L’État de la bourgeoisie française n’est plus capable de prendre en charge tout le monde, il n’est plus en mesure de maintenir un niveau de civilisation pour tous, à commencer par sa condition élémentaire qu’est un cadre de vie pacifié.
Face à cette défaillance historique, sans retour en arrière possible, Amine Kessaci est la croisée des chemins. D’autant plus qu’il y a une tradition du mouvement ouvrier ancrée dans la conscience populaire et que l’on est en 2025 : le narcotrafic n’est plus une marge dans les cités, mais un phénomène généralisé qui touche tout le monde ou presque.
Porter ce combat en assumant le drapeau rouge, c’est forcément porter un combat populaire. Oui, le peuple sait tout, est partout, il peut tout ! Y compris vaincre ses oppresseurs, y compris vaincre le narcotrafic !
Face à la violence sociale, la violence d’une société décadente en raison du capitalisme, il faut la violence du peuple. C’est incontournable historiquement. Les choses commencent à basculer. C’est au camp du Socialisme de faire en sorte que cela parte du bon côté.
