Guerre contre la Russie : Lutte ouvrière n’assume plus

20 décembre 2025

Lutte ouvrière a tenu son 55e congrès en région parisienne les 6 et 7 décembre 2025. On aurait pu s’attendre à une position très offensive contre l’intense vague de propagande qui submerge la France au sujet d’une guerre contre la Russie.

Et il y a bien une position qui tend en ce sens. Le souci est qu’en même temps, elle n’assume rien. Trois éléments le montrent.

Le premier élément, c’est que Lutte ouvrière affirme qu’il n’y a pas urgence. Cela contredit pourtant tous les éléments notés dans la chronologie que nous faisons concernant l’escalade militaire française contre la Russie, notamment les propos du Chef d’État-major des Armées françaises (CEMA).

Lutte ouvrière dit la chose suivante :

« La marche à la guerre se fait à petits pas. La guerre n’est pas imminente. Et cela fait partie des problèmes du gouvernement. Il se doit de maintenir une forme de tension alors même qu’il sait que la Russie ne va pas attaquer demain.

Il se sert de la menace russe et de la guerre en Ukraine pour préparer les esprits. Encore une fois, les kits de survie, les plans des agences régionales de santé et des hôpitaux pour accueillir les blessés, cela relève encore surtout de l’opération de propagande.

Le deuxième élément est censé justifier le premier. Ne comprenant pas comment les bourgeoisies européennes se coordonnent, et se focalisant uniquement sur l’industrie de guerre, Lutte ouvrière dit que la bourgeoisie n’a pas encore fait le grand saut vers la guerre.

Là encore, la chronologie indique chaque jour le contraire. Si on se fonde sur les principes de la guerre moderne – et sur le fait que les Ukrainiens, les Polonais et d’autres serviront de chair à canon – alors tout montre que la France marche à la guerre.

Voici ce que dit Lutte ouvrière :

Le secteur de la défense monte en cadence, les profits des marchands d’armes et leurs cours boursiers ont bondi, mais l’économie ne s’est pas du tout transformée en économie de guerre.

Rien à voir avec ce qui se passe en Russie, ni même en Ukraine.

L’État ne s’en donne pas encore réellement les moyens, même si le gouvernement a augmenté le budget militaire. Et la bourgeoisie ne va pas se mettre à investir massivement si elle n’est pas sûre des commandes et des profits à en attendre.

Le troisième élément est le plus grave. Il annonce déjà la capitulation de Lutte ouvrière. Il faut se souvenir ici qu’à gauche de la gauche, Lutte ouvrière est une structure qui à l’origine assumait de très nombreux principes du travail clandestin.

Les années 1970-1980 sont loin. Désormais, Lutte ouvrière « brûle » ses militants et ses sympathisants avec les listes électorales. Elle annonce déjà que les choses vont être « compliquées », au lieu de préparer les esprits à se forger et à être prêts à affronter la répression.

Les conditions de militantisme n’auront, elles non plus, rien à voir. Aujourd’hui, on peut encore répondre et opposer au discours de Mandon un tweet citant les paroles de L’Internationale : « S’ils s’obstinent, ces cannibales, à faire de nous des héros, ils sauront bientôt que nos balles sont pour nos propres généraux.« 

On peut le faire sans subir de poursuites pour haute trahison.

En cas de guerre, tout cela, ce sera du passé. Comment l’organisation tiendra-t-elle, comment pourrons-nous maintenir les liens militants, tiendrons-nous contre la vague patriotique ? C’est à cela qu’il faut aussi se préparer. »

Quand on va affronter une guerre impérialiste, on ne dit pas : « tiendrons-nous ? ». Sauf si on prépare déjà une porte de sortie.

En fait, les choses sont évidentes : Lutte ouvrière craque sous la pression. Jusque-là, la rhétorique restait très hostile au militarisme et à la tendance à la guerre.

Comme, cependant, la question de la guerre a touché tout le pays, c’est l’effondrement, la capitulation.

Le constat fait est d’ailleurs fondamentalement défaitiste :

« Ils travaillent les esprits, ils mettent en scène la menace russe, ils essayent de faire vibrer la corde patriotique, évoquent la défense de la patrie…

Ils travaillent, pour reprendre une expression de Rosa Luxemburg, à la « fabrication de la guerre » dans l’opinion publique.

Alors, est-ce que ça marche ? Sans doute en partie.

En tout cas – nous le mesurons dans nos discussions – le gouvernement, l’état-major, les médias ont réussi à installer l’idée de la guerre, l’idée que l’on doit avoir peur de la Russie et qu’il faut être capables de se défendre et cela inquiète.

Quant au retour d’un service militaire, il n’est pas du tout mal vu, tout comme l’augmentation du budget de l’armée. »

Bien entendu, la situation est désastreuse. Néanmoins, si on est dialectique on sait qu’à la guerre s’oppose la révolution. On ne peut pas simplement « constater » les choses sans voir la dimension inverse : le retour de la question historique du changement total.

Il est fort dommage que Lutte ouvrière n’assume plus ouvertement la confrontation avec la guerre. Surtout, qu’à gauche de la gauche, il n’y a pratiquement personne qui assume ne serait-ce que le thème de la guerre contre la Russie.