Une partie significative des chasseurs trouve la chasse à courre abjecte. Pourtant, les fédérations de chasseurs la soutiennent unanimement et sans conditions. Cela reflète le sens même de la démarche de la chasse et les chasseurs sont prisonniers d’une profonde incohérence.
La chasse à courre est une démarche en apparence et dans sa substance fondamentalement différente de la chasse en général. En effet, la chasse se pratique comme une sorte de communion individuelle ou entre amis, alors que la chasse à courre existe sous la forme d’un rituel à la fois conventionnel et profondément hiérarchisé.
La chasse se veut plus amicale, davantage conviviale ; le rapport à la nature se veut plus naturel que culturel, puisque la chasse à courre exige elle tout un code vestimentaire, d’attitudes, de comportements, etc. C’est pour cela que les chasseurs apprécient, d’une manière ou d’une autre sans forcément la cautionner, la figure romantique du braconnier.
Cependant, force est de constater et cela est indiscutable, que l’ensemble des représentants des chasseurs soutient de manière catégorique la chasse à courre. Les chasseurs doivent prendre conscience de la signification de cela. Il ne s’agit pas en effet simplement du fait que la « direction » des chasseurs soit composée de bourgeois conservateurs coupés de la base, etc.
Non, cela va bien plus loin. Il existe bien une passerelle tout à fait solide et logique entre la chasse et la chasse à courre. Les chasseurs ne peuvent souvent l’admettre, et pourtant les faits parlent d’eux-mêmes. La complexité du problème vient du fait que cette passerelle ne consiste justement pas en les chasseurs, mais en la chasse elle-même.
La manière dont les chasseurs voient leur démarche est une chose. La manière dont elle se pratique en est une autre. Il existe un gigantesque décalage entre comment les chasseurs s’imaginent être et comment ils sont en réalité. La chasse à courre est la révélation de ce décalage, elle montre que le principe de chasser consiste précisément en le fait de chasser, et que les motivations pour cela sont les mêmes dans leur fondement pour la chasse comme pour la chasse à courre.
Les chasseurs pensent se distinguer des pratiquants de la chasse à courre, car leur attitude psychologique n’est pas ce harcèlement, et pourtant dans sa base elle est similaire, elle est bien une terreur pratiquée dans un environnement naturel. Cette communion sympathique que le chasseur croit pratiquer, c’est en réalité une attitude de guerre.
Les chasseurs sont obligés d’admettre par ailleurs ici que tout le folklore de la guerre pullule dans la chasse. Que ce soit au niveau des vêtements, du principe du camouflage, des pièges et des appâts, il y a bien l’idée d’une militarisation, d’une stratégie militaire, d’un ennemi à vaincre. Si tous les chasseurs n’adoptent une telle démarche, il n’en reste pas moins que cette dimension est présente et partagée par beaucoup.
Les chasseurs doivent donc comprendre la différence qui existe entre comment eux se voient et voient les choses, et la réalité concrète. Sans nul doute que si l’on suit le vrai sens de beaucoup de chasseurs, alors le fusil serait traqué contre l’appareil photo. Car la chasse, dans son existence, est façonnée par le rapport perverti de l’humanité avec la nature. Elle exprime en soi également un profond malaise par rapport à un monde urbanisé, sans âme et anonyme, froid et stérile, rapide et vide.
Si les chasseurs prennent conscience de tout cela, ils peuvent faire un véritable apport à la société, en dépassant la chasse et en affirmant le besoin d’un rapport réel à la nature. Et si cette autocritique de leur part est forcément malaisée, la question de la chasse à courre est un véritable levier devant les aider.