Le Musée Vodou, ouvert depuis 2014 à Strasbourg, a la particularité de présenter la plus importante collection d’objets au monde du culte vodou, originaire d’Afrique de l’Ouest (Togo, Ghana, Bénin, Nigéria dans une moindre mesure). En tout 1060 pièces répertoriées, pour un total de 220 présentées.
L’intérêt et la curiosité pour les cultures africaines sont bien sûr une excellente chose que partagent toutes les personnes progressistes, à la fois en raison des profonds et anciens liens historiques que notre pays partage avec une grande partie de ce continent, de l’importance de la francophonie en Afrique et de celle de la présence au sein des masses françaises de nombreux immigrés venant pour la majeure partie justement des pays dits francophones d’Afrique.
A Strasbourg en particulier, de nombreux migrants africains viennent d’Afrique de l’Ouest et concernant ce sujet, notamment du Togo et du Bénin.
Le musée en lui-même a été installé dans un ancien château d’eau de l’époque du Reich allemand, construit au début des années 1880 par l’architecte berlinois Johann Eduard Jacobsthal (1839-1902), qui a réalisé les plans des gares berlinoises de l’Alexanderplatz et de Bellevue, et à qui l’Etat impérial allemand confia la réalisation des gares de Strasbourg et de Metz (qui sera ensuite revue plus grande au début du XXe siècle).
Il se présente sous la forme d’une haute tour octogonale, massive, de style « néo-roman », couronnée d’un ouvrage en brique jaune orné de croisillons de métal et de verrières géométriques, s’inspirant des bâtiments de la Renaissance rhénane des XVe-XVIe sièscles.
Le soubassement de grès rose est un écho à la fois à la gare de Strasbourg justement et aussi à la cathédrale. Outre sa fonction technique de ravitailler en eau les machines à vapeur du réseau ferré de la Reichbahn, le château était aussi un lieu de vie des ouvriers de cette entreprise et après eux des sociétés françaises qui en ont pris le relais jusqu’aux années 1950.
En particulier avant la généralisation de l’eau courante dans les logements populaires, il y était possible d’y faire sa toilette après le travail notamment. En conséquence, ce lieu a fini, après son abandon lamentable dans les années 1950, par être inscrit sur la liste de l’inventaire des Monuments Historiques en 1983, sans toutefois faire l’objet de rénovations.
Jusqu’à son rachat par l’ancien PDG des brasseries Fischer et Adelshoffen Marc Arbogast, soutenu par son épouse Marie-Luce Arbogast pour un faire un musée exposant leur collection personnelle.
La rénovation a été confiée à un architecte strasbourgeois d’envergure : Michel Moretti, qui a aussi notamment réalisé les plans de l’ENA de Strasbourg en 1995 et de l’Ecole d’Architecture (ENSAS) en 1987.
La requalification du lieu en musée est une belle réussite de ce point de vue, et le travail muséographique réalisée par des salariés et des bénévoles de l’association qui gère le musée sur la base du droit local (maintenu après la réannexion de l’Alsace et de la Moselle à la France), est aussi une réalisation esthétiquement agréable, notamment en terme de présentation. Le musée étant formellement plaisant et accessible à visiter.
La démarche même de la collection suinte cependant l’esprit bourgeois de toutes part, dans une perspective agressive colonial-impérialiste à l’ancienne. En dépit de son objectif de rencontre des cultures, le malaise raciste ne quitte pas le visiteur, si celui-ci à une culture de gauche développée.
Le ton est donné par le propriétaire même du lieu : « Le Château Vodou est l’aboutissement de ma passion pour l’Afrique, qui combine une curiosité pour les savoirs traditionnels, la chimie et la chasse. »
On ne saurait mieux dire. Marc Arbogast et son épouse Marie-Luce ne sont pourtant pas eux-mêmes des personnes racistes au sens strict. Marie-Luce se présente comme une ancienne volontaire aux Médecins du Monde, et le couple souligne à l’envie la passion commune et ancienne pour l’Afrique qui les unit, depuis leur jeunesse.
Le musée est d’ailleurs fortement et ouvertement marqué par leur présence et leur promotion, on y apprend rapidement plus sur eux que sur n’importe quelle personne qu’ils auraient rencontré en Afrique. Leur promotion individuelle écrase littéralement tout le reste.
La performance de réaliser un musée sur l’Afrique sans qu’on puisse identifier d’Africains, ne semblent pas leur avoir traversé l’esprit. Il n’est question que de leur expérience, que nous sommes invités à partager sous leur propre prisme. On a vite l’impression de parcourir plus une vulgaire page FaceBook qu’un musée en tant que tel.
C’est ainsi que de leur propre aveu, leur intérêt pour l’Afrique s’est construit comme une fascination propre à l’époque coloniale :
« Je me souviens de ma mère, petite-fille de pasteur, qui n’avait de cesse de me parler d’Albert Schweitzer, dont nous admirions l’éthique du « respect de la vie », et aussi de mon père, fasciné par Tarzan et l’image d’une Afrique mythique qu’il partagea avec moi. À cette époque, pourtant, aucun de nous n’y avait mis les pieds ! ».
Cette vision « mythique » de l’Afrique aurait nécessité pour le moins depuis un conséquent exercice d’autocritique et de révision. Mais Marc et Marie-Luce Arbogast n’ont en pas été capables, en raison de leurs préjugés de classe et ont fini en outre par verser dans un complet mysticisme, malgré leurs indéniables aspirations progressistes.
C’est ainsi que Marc Arbogast relit son enfance pour y justifier son goût pour le vodou en précisant
qu’il avait l’habitude de côtoyer une « sorcière » lors de ses séjours dans une maison secondaire
avec ses parents dans les Vosges.
Le portrait et les valeurs de ce couple sont des élément repérables dans bon nombre de familles bourgeoises ou petites-bourgeoises alsaciennes, notamment celles liées à ce protestantisme philanthrope, ouvert au monde mais miné par une fascination pour le mysticisme et le religieux.
C’est ainsi que ce couple, connaisseur des cultures d’Afrique de l’Ouest de par leurs nombreux voyages, n’ont néanmoins pas vu l’Afrique dans sa dimension populaire, ni même les cultures africaines dans leur esprit. Ils ont en revanche « expérimenté » le vodou et ils en ont déduit que ces séries d’expériences leurs avaient appris quelque chose qui valait la peine de partager, dans une démarche d’individualisme bourgeois tout ce qu’il y a de plus caricatural.
On ne s’étonnera pas que parmi tous les soutiens médiatiques du musée, on trouve bien sûr en bonne place la catholique Société des Missions Africaines de Strasbourg, avec le curé Jacques Varoqui, qui
entretient lui-même à Haguenau un « espace africain » dédié aux missions en Afrique de l’Ouest.
La première chose auquel le visiteur est confronté, c’est la première chose que fit Marc Arbogast a
son arrivée en Afrique : chasser. Tout est ici dit de son rapport à la « vie » et à la nature.
Tout le premier niveau n’est rien de moins qu’une glaçante salle de trophée de chasse, exposant les cornes de dizaines d’animaux abattus au cours des multiples parties de chasse livrées par le propriétaire en Afrique. On y voit même un lion entièrement empaillé pour servir de lieux de photographies souvenir.
Le reste du musée est ensuite à l’avenant, une galerie d’objets exposés avec une réflexion sur leur fabrication matérielle et leurs usages, sans chronologie, sans mise en perspective sociale de la moindre forme. Le rapport avec l’Islam ou la Traite sont à peine mentionné.
En un mot, aucune mise en histoire, aucun mouvement. Une Afrique immobile et rongée par le mysticisme, vue par des yeux complaisants qui ne veulent voir de l’Afrique que cela.
Viennent enfin les « divinités masquées », ici on a directement des éléments de cultures populaires, mais rien n’est franchement creusé, analysé, relié. Même le lien avec les pratiques vodou du niveau précédent n’est pas clair.
Faut-il alors s’étonner que des institutions comme le Musée du Quai Branly, ou des chercheurs comme Bernard Müller (IRIS-EHESS) associés au Musée Vodou lors de son lancement, se soient depuis désolidarisés à la fois pour des raisons de fonds concernant les expositions et de formes concernant l’esprit de management boutiquier du couple Arbogast.
Outre ce désaveu scientifique,d’institutions bourgeois pourtant initialement bienveillantes, le Musée a aussi été rejeté par les associations comme Curio, qui milite pour la dignité et l’expression des cultures nationales du Togo en Alsace et en Franche-Comté.
Captif de la vision mystique et égocentrée de ce couple bourgeois, la tentative de ce musée est donc un échec, porté à bout de bras par la fondation qui le finance et le dense réseau religieux et bourgeois qui le soutien. Ce musée est donc à la connaissance de l’Afrique, et même du Vodou, ce que la Fondation
Vuitton est à l’art : une appropriation bourgeoise frisant le délire.
Strasbourg a certes besoin et a du coup presque une sorte de base avec ce musée pour affirmer les cultures africaines, très vivantes dans la métropole, dans un esprit démocratique (avec la participation des éléments des masses originaires de ces pays), populaire (en l’ouvrant sur la curiosité des masses alsaciennes, désireuses de mieux connaître une part de l’Afrique au-delà des clichés éculés entretenus par ce musée) et scientifique (en dépassant la seule question des cultes et du vodou et en développant une vraie perspective matérialiste historique, qui ne fétichise pas les cultures d’Afrique mais permet leur connaissance et leur métissage).
En un mot, on attend la confiscation populaire de ce lieu !