Quiconque s’est intéressé un tant soit peu aux mouvements élémentaires comme les chemises noires ou les SA ne peut pas manquer de voir chez les gilets jaunes des similarités très nettes. Si l’idéalisme manque, la dynamique reste la volonté de « restauration » communautaire, au-delà des classes sociales.
La victoire du Front populaire a malheureusement fait oublier l’importance dans les années 1930 en France du Fascisme comme mouvement élémentaire, avec surtout le Parti Social Français du colonel De La Rocque, issu des Croix de Feu. A cela s’ajoute la volonté des historiens des universités de masquer ce fascisme français, en prétendant qu’il n’a jamais existé…
Les Français voient les SA comme un mouvement de robots défilant au pas de l’oie, conformément à ce qu’est censé être l’esprit allemand, et ils voient les chemises noires comme une sorte de truc chaotique d’hurluberlus en chemise noire tapant dans tous les sens, en correspondance avec une sorte de caricature des Italiens. L’esprit français serait évidemment au-delà de telles choses primitives, le Français étant « cartésien » par principe et éloigné de tout extrémisme. N’a-t-on pas une franc-maçonnerie où discuter entre gens de gauche et de droite, de manière raisonnable ?
Si l’on sort de tels raccourcis et qu’on porte un regard en historien, c’est-à-dire qu’on regarde les faits et qu’on en généralise des concepts, on voit pourtant que les gilets jaunes ont, dans leur attitude et dans leur positionnement, un mode de fonctionnement très proche des chemises noires et des SA.
Le principe des chemises noires et des SA est en effet le suivant. Il faut exiger une remise à plat de la société, dans le bon sens. Il faut donc adopter un esprit d’unité totale, dans le sens de l’affirmation de l’intérêt de la communauté générale. Il ne s’agit pas de discuter ou d’élaborer des concepts, mais d’affirmer des slogans et une volonté commune. Pour cela, un symbole identitaire est adopté dans l’habillement.
Il n’y a pas d’assemblée générale, pas d’élections, pas de hiérarchie. Mais il y a des meneurs, des chefs, qui s’affirment « spontanément ». Cette non-hiérarchie hiérarchique se constitue « spontanément » en allant de plus en plus haut. Elle devient le point de repère d’un mouvement diffus à la base, où des gens vont, viennent, dans un turn-over relativement important, tout se maintenant uniquement par esprit affinitaire.
Là le Fascisme se distingue des gilets jaunes, car le premier a un idéalisme que le second n’a pas, ou pas encore. Le Fascisme propose une mobilisation pour affirmer une forme de restitution d’un idéal qui aurait été volé. Les gilets jaunes n’en sont pas loin, mais ils sont surtout dans une nostalgie des décennies précédentes, avec leur stabilité. Malgré tout le misérabilisme qu’on entend ici ou là, voire partout, la France n’est pas du tout l’Italie des années 1920 ni l’Allemagne des années 1930.
Un argument contre cette manière de voir les choses pourrait constituer à dire que les gilets jaunes n’ont pas choisi de camp et qu’on peut encore les pousser dans telle ou telle direction, alors que les fascistes sont par définition des ennemis de la Gauche. C’est là une grossière erreur. Toute l’autocritique des antifascistes italiens et allemands a justement consisté à dire qu’il aurait fallu chercher à faire décrocher la base fasciste du Fascisme.
Non pas qu’il n’y ait pas eu de tentatives en ce sens, par ailleurs : on doit imaginer le courage de ces communistes venant dans les meetings nazis pour apporter la contradiction. Ces gens-là sont des héros. Il fallait un cran terrible pour aller dans un meeting avec des centaines de personnes a priori fondamentalement hostiles, pour trouver la force de trouver des failles dans la démagogie fasciste, pour prendre alors la parole et taper là où ça fait mal, afin de retourner l’opinion.
Il y a de nombreux autres exemples d’une approche similaire justement après la défaite, comme « la lettre aux chemises noires » du Parti Communiste italien, visant à démolir les certitudes fascistes. Le Parti Communiste français a fait quelque chose d’équivalent d’ailleurs (« Nous te tendons la main… »).
Dans un même ordre d’idées, après la défaite, il a fallu également mettre son ego de côté et assumer d’infiltrer les organisations fascistes de masse, les organisations para-syndicales, pour miner le régime de l’intérieur, pour toucher un maximum de gens et les pousser dans le bon sens. Un travail harassant et horrible : être de Gauche et devoir s’habiller en fasciste, faire semblant de l’être… C’est dégradant, et pourtant…
Par conséquent, considérer que les gilets jaunes présentent des similarités très fortes avec le fascisme ne signifie pas le rejeter de manière unilatérale. Cependant, cela veut dire ne pas croire qu’il suffit d’y participer ou de le fréquenter pour l’appréhender de manière adéquate.