Depuis les années 1970 et à un rythme accru depuis les années 1990, la question de la légalité de l’usage des drogues travaille la gauche.
Le vieux débat sur la dépénalisation du cannabis prend un tour nouveau ces derniers jours avec l’annonce d’un prochain débat parlementaire portant sur des peines d’amende se substituant à la prison pour les consommateurs de drogues illégales.
En fait, loin de constituer un débat démocratique ouvert, cette question est influencée par un courant dominant : l’abolitionnisme. Il s’agit d’un mouvement universitaire à la base, animé par des juristes, des politologues, des sociologues, des gestionnaires, des psychologues, des philosophes, etc.
Ce courant de la pensée libérale est influant aux plus hauts niveaux de pouvoirs, ceux des Etats et au delà, dans des instances interétatiques, comme le Conseil de l’Europe.
L’abolitionnisme propose de substituer la justice civile, c’est-à-dire celle des contrats, à la justice pénale chargée des crimes et des délits, chaque fois que cela est jugé possible.
S’appuyant sur une critique soi-disant radicale de la société dans les pays industrialisés, l’abolitionnisme apparait avant tout comme une critique de la prison, mais va en réalité bien au delà.
En premier lieu, il s’agit de dénoncer la souffrance produite par le système pénal. Privé de liberté de mouvement, le délinquant condamné serait placé dans une situation de dépendance mêlée de domination. Déresponsabilisé, le détenu serait alors privé de dignité et de tout espoir de progrès.
La victime éventuelle serait quant à elle -en même temps que le coupable- dépossédée du conflit qui lui échappe puisque la procédure pénale relève d’un monopole de l’Etat.
Alors apparaît le coeur de la pensée abolitionniste qui réside dans le rejet de la toute puissance de l’Etat. L’Etat, comme concept erroné, masquerait la réalité de la société humaine vue comme un ensemble de relations interpersonnelles fondamentales. L’Etat serait une menace permanente d’étouffement des groupes intermédiaires, les communautés informelles d’individus se formant de manière spontanée en vue de la satisfaction des intérêts personnels.
Contre l’Etat soupçonné de dérives autoritaires incessantes de par sa nature même, l’abolitionnisme propose de soumettre le règlement des conflits apparaissant entre les personnes à des procédures jugées non-répressives (des arbitrages) et de substituer le dédommagement des préjudices individuels à la peine privation de liberté.
Au travers de ces considérations, c’est l’existence même d’infraction qui est remise en cause. Les notions de crimes et de délits sont regardées comme relevant de la morale et par là déconsidérées. On leur préfère la notion de « situation-problème », dont l’occurrence sera évitée par des mesures de prévention et solutionnées au besoin en évitant l’instance répressive, par principe.
Chaque fois que l’occasion est donnée, en fonction des intérêts sociaux et politiques, la criminalité étant une construction sociale, l’abolitionnisme recommande aux gouvernements de faire basculer des pans entiers du droit pénal dans le droit civil.
Pour cela, Louk Hulsmann, qui doit être considéré comme le grand théoricien du courant, donne une grille de références.
Il affirme que le système pénal doit être écarté quand deux conditions sont remplies. D’une part, quand le comportement considéré n’est pas souhaitable, mais que l’Etat n’est pas compétent dans le domaine. D’autre part, quant les coûts de la criminalisation sont supérieurs aux profits de la mesure punitive sur la société.
Dans le débat technique qui concernent la consommation du cannabis, l’Etat recule ainsi.
Sans aller jusqu’à se déclarer incompétent, il renonce néanmoins à encadrer physiquement les toxicomanes. Le bilan comptable « coûts-profits » étant jugé défavorable au droit actuellement applicable, l’Etat s’apprête à renoncer à la prison et au lieu de cela, guidé par les libéraux, il s’apprête à prononcer des peines d’amende contre les drogués et ainsi à gagner de l’argent en sanctionnant les fumeurs de joints.
Sans considérer que la prison soit une solution, il n’en reste pas moins que le refus de toutes les drogues devrait être le b-a-BA des gens de gauche, à moins de considérer que le bonheur soit impossible ou résolument individuel, comme le pensent justement les libéraux, jusqu’à la fuite dans les paradis artificiels.