Delphine Batho devrait présenter aujourd’hui sa candidature à la tête du Parti Socialiste. Elle assume son opposition face à la direction du parti et dénonce une mafia avec des manœuvres antidémocratiques. Sa candidature sera normalement rejetée pour non respect des nouvelles règles qu’elle conteste, à savoir le fait de devoir être parrainé par 16 membres du Conseil National du parti.
Son positionnement politique est lui aussi assez tranché par rapport à la ligne générale du parti. Elle est très à gauche, avec une réelle vision écologiste. L’entretien qu’elle a accordé à la revue Esprit et intitulé « Sur le Front de l’Écologie » est un bon aperçu.
Delphine Batho y explique que :
« Il y a une confrontation de plus en plus tendue entre la recherche du profit immédiat et l’intérêt général de l’humanité sur la planète.
Cette contradiction fondamentale du système capitaliste aurait logiquement dû être au cœur du combat de la gauche française et internationale depuis des années. »
Elle précise ensuite que :
« Il y a toujours cette croyance que si les résultats économiques du pays s’améliorent, alors le reste suivra. Pourtant, un taux de croissance ne fait pas un projet de société pour une nation comme la France. »
En d’autre terme, c’est une volonté de véritablement changer la vie, et pas seulement prétendre à des aménagements sectoriels.
Elle fait partie des rares personnes qui affirment le caractère absolument urgent de la question écologique :
« Cette question du rapport au temps est cruciale. Le réchauffement climatique s’accélère, les destructions irréversibles de la biodiversité et la crise sanitaire liée aux produits chimiques aussi.
Quinze mille scientifiques alertent : « Bientôt il sera trop tard », il reste peut-être cinq ou dix ans pour inverser la trajectoire. Et nous répondrions à cette situation en décrivant le monde idéal que nous imaginons pour 2050?
Tant que l’on évoque l’horizon, en général, tout le monde est d’accord. Mais il faut en finir avec ce faux consensus, qui se fait au détriment des décisions concrètes immédiates et du courage politique. Pour la planète, ce qui compte, c’est ce qui est fait maintenant. L’écologie ne doit plus être appréhendée comme une question de long terme ; elle doit se conjuguer au présent. »
C’est une vision globale qui est proposée, avec la conscience du fait que l’enjeu est celui d’une « transformation civilisationnelle » :
« L’écologie est la nouvelle question historique pour l’humanité, comme le socialisme a pu l’être au XIXe siècle. Aujourd’hui, l’accélération inouïe de la capacité de destruction des écosystèmes par l’espèce humaine entraîne une baisse tendancielle de la qualité de vie.
Le défi fondamental de l’anthropocène, c’est de savoir si nous sommes capables de reprendre le contrôle de nos destins, de changer l’architecture de la consommation et de la production. L’écologie porte un nouveau projet global de société. »
On peut regretter cependant le manque de cohérence idéologique par rapport à la compréhension de ce qu’est le capitalisme
C’est insuffisant d’expliquer d’un côté que « l’écologie est la nouvelle ligne d’affrontement avec le capitalisme » et de regretter de l’autre que « la France a des savoir-faire dans de nombreux domaines mais les grands groupes, qui devraient être à l’avant-garde, traînent souvent les pieds. »
C’est une chose d’avoir une vision économique et d’expliquer par exemple que :
« Pour organiser le basculement de nos modes de production, il faudrait quasiment fusionner les ministères de l’Écologie et de l’Industrie.
En fait, la France n’a pas de politique industrielle : il y a des ministres de l’Industrie qui jouent les pompiers sur telle ou telle fermeture de site, mais il n’y a pas de stratégie sur la reconstruction d’un appareil productif tourné vers les technologies de demain. »
Cela en est une autre de savoir qui doit être à la tête de cette industrie justement.
Delphine Batho explique en quelque sorte que la sociale-démocratie a réussi sa mission historique. Selon elle, la plupart des pays sont maintenant démocratiques et les questions sociales y sont posées de manières aboutie, équilibrée, ou du moins peuvent l’être.
Cela n’est pas exact car justement, et c’est là le grand apport historique de la sociale-démocratie, la question démocratique ne peut être dissociée de la question sociale. Cela change tout de savoir qui détient les moyens de productions.
Soit ce sont des groupements privés, soit c’est la collectivité.
Delphine Batho semble penser que cela ne change pas grand-chose puisque selon elle, des entreprises et des grandes entreprises pourraient mener le changement.
Elle dit ainsi :
« Il faut mener la bataille de la crédibilité, économique et sociale, du projet de transformation écologique. Sur ce front, les chefs d’entreprise qui sont à la pointe de l’innovation doivent enfin donner de la voix.
Au moment de la discussion parlementaire sur la loi sur les hydro-carbures, encore une fois, tous les parlementaires ont reçu les argumentaires des industries pétrolières : où étaient ceux des entreprises qui ont tout à gagner à la sortie des énergies fossiles ? »
Cela aboutit au fait qu’elle pense que des choses sont possibles à l’intérieur même des institutions :
« Il faut détruire la légende selon laquelle rien n’est possible. Au gouvernement, j’ai obtenu, par exemple, en 2012, à une époque où pas grand monde pariait sur sa réussite, que la France décide d’accueillir la COP 21.
J’avais également empêché le retour du gaz de schiste, interdit le barrage de Sivens (finalement autorisé par mes successeurs), instauré un moratoire sur les retenues artificielles d’irrigation, baissé la TVA sur les travaux d’efficacité énergétique dans le bâtiment. »
Il y a bien sûr la volonté d’être constructif, efficace. Et c’est assurément une bonne chose. Mais c’est contradictoire avec les constats qui sont faits sur la recherche du profit.
On ne peut pas se satisfaire d’un côté de la COP 21 (« un succès historique ») tout en remarquant de l’autre qu’aucun État n’assume le caractère urgent de la question ni n’envisage de suivre les recommandations des scientifiques pour limiter le changement climatique.
Elle le dit d’ailleurs elle-même :
« Certes, l’accord de Paris reste notre meilleur point d’appui pour une action de la communauté internationale la plus large possible, mais il s’avère insuffisant au regard des réalités scientifiques : les seuls engagements volontaires des États ne permettent pas de contenir le réchauffement sous les 2°C.
L’engagement déterminé et unilatéral d’un groupe de nations pionnières doit pousser les feux de toutes les solutions permettant de sortir des énergies fossiles. »
Sa position est alors compliquée à comprendre.
En quoi la COP 21 est-elle une bonne chose si finalement elle n’a aucune efficacité ?
Pour autant, à côté de ce qui apparaît comme une naïveté par rapport aux possibilités de changer les choses sans bouleverser l’ordre politique, Delphine Batho n’a pas d’illusion quant à la situation.
Elle est assez critique par rapport à la fiction d’une grande stabilité du système, fiction qui était finalement le grand thème de François Hollande, et qui est plus encore maintenant celui d’Emmanuel Macron.
Elle explique très bien que :
« La politique industrielle de l’État est pleine d’ambiguïtés : la France organise la COP 21 et, « en même temps », François Hollande se rend en Alberta pour proposer le concours des entreprises françaises pour l’extraction des hydrocarbures les plus polluants du monde, les sables bitumineux.
La France organise le One Planet Summit et, « en même temps », Emmanuel Macron veut ratifier le Ceta ou encore autoriser la Montagne d’or en Guyane qui va détruire la forêt amazonienne à proximité immédiate de deux réserves de biosphère. Ce n’est plus possible. »
Seulement, le manque de clarté idéologique conduit à une mauvaise interprétation des choses, malgré des constats justes. Il est erroné de répondre ainsi à la question « Comment qualifieriez-vous aujourd’hui la situation de l’écologie en France ? » :
« Forte culturellement, mais faible politiquement. Le hiatus va grandissant entre l’aspiration de plus en plus forte des citoyens à une alimentation saine, au respect du climat et de la biodiversité d’un côté, et la représentation politique de l’autre. »
Cela n’est pas vrai. Globalement, et particulièrement dans la jeunesse, il n’y a pas de véritable mouvement de masse en faveur d’une alimentation saine, de la lutte contre le changement climatique et de la question écologique.
Les jeunes français mangent en masse dans les fast-food et n’envisagent nullement de se passer de l’automobile, pour ne prendre que ces deux exemples typiques.
Delphine Batho souhaite se « consacrer patiemment à l’unification des forces de progrès sur un programme écologique afin de proposer un chemin d’espérance crédible. »
Cette unification est une étape fondamentale, indispensable. Cela d’autant plus que, comme elle le dit, « les forces conservatrices et réactionnaires partout dans le monde sont un obstacle. »
La contribution de Delphine Batho pour faire avancer la gauche sur le plan de l’écologie est indéniable.
Mais pour que cela aboutisse, il faudra de la clarté sur le plan idéologique ainsi qu’une véritable volonté de mener la bataille sur le plan culturel.
En d’autres termes, les constats faits pas Delphine Batho sont bons mais il y a mégarde quant à la nature du mode de production capitaliste ainsi qu’un certain relativisme par rapport au niveau culturel de la société française.