Plus de soixante-dix rassemblements ont eu lieu hier contre l’antisémitisme. Même si ce ne fut pas une mobilisation populaire, par en bas, et encore moins portée par la jeunesse, ce fut un marqueur de plus dans une longue bataille. Cette dernière n’est par ailleurs pas tant politique que culturelle.
Les rassemblements d’hier soir contre l’antisémitisme se sont déroulés dans de nombreuses villes, avec des foules de plusieurs centaines ou quelques milliers de gens à Paris, Marseille, Strasbourg, Annecy, Nantes, Pau, Nice, Lille, Lyon, La Rochelle, Dijon, Cherbourg ou encore la Roche-sur-Yon.
Du côté du Rassemblement National, qui a été ostracisé pour les rassemblements, Marine Le Pen est allée avec Jordan Bardella à Bagneux (Hauts-de-Seine) devant une plaque en hommage à Ilan Halimi. Jean-Luc Mélenchon, qui n’est pas du tout antisémite mais a eu un positionnement très oscillant en raison de son populisme outrancier, a participé au rassemblement à Marseille.
S’il faut porter son regard sur les chiffres, cela n’a pas été un succès, cela reste dans la dimension très restreinte des rassemblements de 2012, à la suite des meurtres commis par Mohammed Merah. Cependant, cette fois, il y a une profonde insistance sur le refus général de l’antisémitisme de la part des institutions et du personnel politique. C’est un écho direct du mouvement « Je suis Charlie », qui le premier a mis la question de l’antisémitisme et de son refus sur la table.
Car l’antisémitisme est redevenu un fléau en France ; largement battu en brèche dans les années 1980-1990, il a réémergé de manière virulente par l’intermédiaire de la théologie islamique, du djihadisme et des différents discours nationaux-sociaux, dont Alain Soral est le principal représentant, aux côtés d’un « antisionisme » factice ne s’intéressant aux Palestiniens que comme vecteur d’un fantasme antisémite bien européen.
C’est donc une bonne nouvelle que d’avoir eu une série de rassemblements contre l’antisémitisme dans tout le pays, c’est un marqueur d’envergure nationale et les antisémites ont bien compris cela, d’où leur initiative criminelle et provocatrice de la profanation du cimetière juif de Quatzenheim, dans le Bas-Rhin.
Emmanuel Macron en a bien compris la portée symbolique et s’est rendu sur place ; il est par la suite allé au mémorial de la Shoah. Il est en phase avec le profond rejet de l’antisémitisme de la part des couches éduquées, qui se demandent bien comment cela peut encore exister et qui ne voient pas du tout comme éradiquer un tel irrationalisme. Même la bourgeoisie catholique-réactionnaire a balancé l’antisémitisme par-dessus bord, à l’instar de Georges Bernanos qui a eu ce mot à la fois odieux et révélateur disant qu’Hitler aurait déshonoré l’antisémitisme.
En ce sens, les rassemblements sont également une preuve d’échec de la part de la société française, qui pensait s’être débarrassé d’une infamie et qui la voit réapparaître, avec des traits virulents. Elle s’aperçoit que ses prétentions à disposer d’une éducation avancée à l’échelle du peuple tout entier est un échec complet en ce domaine. La fuite des enfants juifs du système scolaire public en témoigne, dans une proportion massive. On assiste concrètement à une ghettoïsation des Juifs de France et cela est d’autant plus terrible que les Juifs de France s’imaginent « choisir » ce repli communautaire, alors qu’il est littéralement forcé.
Cela correspond à ce grand changement historique : l’antisémitisme, hier d’origine catholique et aristocratique, est désormais populaire et « anticapitaliste romantique », au sens d’une révolte contre les élites. Cela signifie que le national-socialisme, un courant qui n’a jamais réussi à avoir un ancrage de masse en France, émerge finalement… en 2019.
La question de savoir si les gilets jaunes sont antisémites n’a ainsi pas de sens : c’est simplement qu’ils ont la même matrice « nationale-sociale ». Ils sont à la fois concurrents et convergents ; ils correspondent à la même « révolte contre le monde moderne » portée par une petite-bourgeoisie s’agitant en raison de la pression capitaliste toujours plus grande.
Il n’est clairement pas possible aujourd’hui de comprendre l’antisémitisme en France sans cette dimension national-socialiste, et c’est vraiment très inquiétant pour l’avenir !