Benoit Hamon a publié un appel à cinq « grands patrons » pour venir « débattre » avec cinq « citoyen.nes » le 19 mars à Montreuil. Cela n’a aucune chance d’aboutir et est en contradiction totale avec les valeurs de la Gauche historique, avec la tradition liée au mouvement ouvrier.
L’information est passée quasiment inaperçue, tellement cela paraît loufoque. Dans une lettre rendue publique sur les réseaux sociaux de son mouvement, le leader de Génération-s appel les PDG de Carrefour, de Total et de Vinci, l’Administrateur-Directeur général de la BNP ainsi que le Président de Bayer France à venir débattre contre « cinq représentants de la France qui travaille pour [eux] : infirmière du service public, agriculteur, caissière de supermarché, retraité ou cadre ».
Ces derniers sont bien sûr censés faire partie des gilets jaunes – quitte à être dans le populisme – pour mener ce débat nommé de manière grandiloquente « Grands patrons VS citoyen.nes ». On a même une date et un lieu, le 19 mars à 20h à la Marbrerie de Montreuil, cette ville de plus en plus petite-bourgeoisie « bobo » qui n’a rien de très « gilets jaunes ».
Cela n’aura jamais lieu bien sûr, car on imagine très bien que ces « grands patrons » ont bien d’autres préoccupations que de venir discuter avec un petit mouvement de la Gauche post-moderne, crédités de 2 % dans les sondages. Il s’agit surtout pour Génération-s d’une sorte de coup marketing, ou plutôt d’une tentative de coup, car on se demande bien ce qui a pu passer par la tête des personnes qui ont pensé que c’était une bonne idée.
Mais le problème justement, c’est qu’il n’y a plus d’idées. Il n’y a que de vagues « valeurs » qui seraient « sociales », « humanistes » ou « citoyennes », mais plus rien qui se rapproche de la Gauche historique, de ses réelles valeurs, et surtout de ses idées. Sans ça, jamais une telle initiative n’aurait-été possible.
En l’occurrence, la Gauche, c’est-à-dire la tradition liée au mouvement ouvrier, n’a jamais pensé qu’il fallait d’une manière ou d’une autre « convaincre » les patrons. Ce qui compte est le rapport de force, car il s’agit d’une lutte des classes. Que l’on soit plutôt social-démocrate, en imaginant une transition lente et institutionnelle, ou plutôt communiste, en pensant à une révolution modifiant le régime, dans tous les cas il s’agit d’arracher le pouvoir à la bourgeoisie. La question de « débattre » avec ses représentants les plus symboliques ne se pose même-pas, car elle est absurde par nature.
Insistons d’ailleurs ici sur cette notion de « représentants les plus symboliques », parce que ces grands PDG convoqués par Benoît Hamon ne résument aucunement la réalité sociale, culturelle, économique, idéologique, politique, de la bourgeoisie. Tout au plus en est-ce qu’un aspect partiel.
Résumer le problème de la répartition des richesses à quelques grands patrons, ou autres « 1 % », ce n’est ni plus ni moins que du populisme. C’est un moyen de paraître radical, avec un discours « ultra », alors qu’en vérité cela fait l’impasse sur la grande majorité de la bourgeoisie.
Le problème des classes populaires, ce n’est pas seulement la minorité d’ultra-riches qui vit de manière parasitaire dans une quasi-bulle au-dessus de la société. Le problème des classes populaires est que la domination de la bourgeoisie, c’est-à-dire des centaines de milliers de personnes en France, voir quelques millions suivant ce que l’on considère, est érigée en norme, avec un système de valeurs et d’idées qui leur permettent de s’accaparer les richesses sans être remis en cause.
Tout cela est une question de mode de production, qu’il faut changer à la base, pour planifier la production des marchandises dans un sens conforme aux intérêts des classes laborieuses et de la planète, ce qui en fin de compte revient au même.
Si l’on pense cela, alors on se fiche bien de l’avis des dirigeants de Carrefour, Total, Vinci, BNP ou Bayer France, dont la mission n’est que de faire tourner la machine à profit, au détriment justement des classes laborieuses et de la planète.
Benoît Hamon est censé savoir cela, car il vient du Parti socialiste où l’on s’appelle « camarades » et dont le nom contient le mot « socialisme », qui signifie justement ce que l’on vient de rappeler. Le problème est que Benoît Hamon et les gens qu’il représente n’ont plus aucune confiance dans les traditions de la Gauche et dans le mouvement ouvrier.
Ce qui leur reste n’est plus qu’une vaine tentative d’apparaître démocratique, en imaginant que cela suffira pour être populaire, car les classes populaires sauraient reconnaître leurs intérêts si les choses sont présentées suffisamment démocratiquement. On imagine que c’est pour cela qu’il propose aux cinq « grands patrons » qu’il convoque de venir exposer leur démarche :
« Plutôt que de sombrer dans une invective stérile, afin de dissiper les fausses informations quand elles existent, pour défendre votre entreprise, votre politique salariale et sociale, expliquer vos investissements dans les énergies fossiles mais aussi vos initiatives philanthropiques en faveur de l’écologie ou de l’éducation, votre conception de l’intérêt général et pour vous permettre de participer au débat national, je vous invite à un échange inédit. »
Sauf que cela n’a aucun sens, d’abord parce que ce débat n’aura jamais lieu, mais surtout parce que la question ne se pose pas en ces termes. Avec ce non-débat, Génération-s se met en fait au niveau des gilets jaunes, qui n’auront eu de cesse en dix-sept week-ends d’affilée de râler, sans jamais se donner les moyens de changer le monde pour de vrai.