Il faut bien trouver une image pour montrer ce qui risque d’advenir à la Gauche si elle ne parvient pas à l’unité. Ce sera l’éparpillement façon puzzle.
L’expression est douteuse, car elle relève d’une logique mafieuse et de ce grave travers français du goût gratuit pour le pittoresque. Il n’empêche qu’elle est ici adéquate : si la Gauche n’est pas unie aux élections européennes de 2019, elle va se retrouver éparpillée façon puzzle. Rappelons d’où vient cette étrange image, à savoir du film culte (mais qu’on peut ne pas aimer) Les tontons flingueurs, où Bernard Blier alias « Raoul Volfoni » dit la chose suivante :
« J’vais lui faire une ordonnance et une sévère… J’vais lui montrer qui c’est Raoul. Aux quatre coins d’Paris qu’on va l’retrouver éparpillé par petits bouts, façon puzzle. Moi, quand on m’en fait trop j’correctionne plus : j’dynamite, j’disperse, j’ventile. »
En 2019, point de Raoul : c’est la Gauche elle-même qui s’auto-dynamite, se disperse elle-même, se ventile par choix. Parce que les gens de Gauche se croient dans les années 1990 ou 2000, dans une société stable où il est suffit de gérer en disant vaguement le contraire de la Droite. Les carriéristes ont bien compris que tout avait changé et ont pris la poudre d’escampette, passant souvent dans le camp d’Emmanuel Macron.
D’autres, sincères, se sont retrouvés désorientés et ont capitulé. Ceux et celles qui avaient des idéaux se sont noyés dans l’amertume et d’autres, plus friables sur le plan des idées, ont rejoint le populisme de Jean-Luc Mélenchon. Tout cela pour dire que ce qui reste ne pèse pas lourd ; il n’y a plus grand monde.
Et il y en aura encore moins si on rate les « millenials ». Cependant, encore faut-ils que ceux-ci sachent que la Gauche existe et dans l’état actuel des choses, c’est l’unité où l’éparpillement façon puzzle. Et tout le monde y a intérêt, pour survivre.
Le Parti socialiste ne peut pas se présenter sous son propre nom, tellement il est dévalorisé dans l’opinion publique. Génération-s est inconnu d’une vaste partie de la population y compris de secteurs pouvant sympathiser. Le PCF est travaillé par tellement de courants internes que s’il part tout seul et qu’il fait un score misérable, il se fractionne.
Europe Écologie – Les Verts a un dirigeant qui pousse, mais rien comme structures derrière lui : il suffit de lui donner la tête de liste et les volontés de parcours solitaire cesseront d’elles-mêmes.
Il serait donc logique de s’unir, pour résister ensemble à une vague de Droite, et il serait parfaitement cohérent aussi de s’ouvrir à toute la Gauche en général, y compris l’extrême-gauche dans la mesure où celle-ci n’est pas devenue une ultra-gauche historique. Il suffirait d’un drapeau rouge et du mot ouvrier pour réinscrire plein de monde dans une démarche politique réelle.
Comme ce sont de plus les élections européennes, les valeurs servant de dénominateur commun sont vraiment faciles à trouver et ce serait un premier pas pour la suite. Autrement, ce sera un premier pas pour une traversée du désert… Voire une traversée du désert avec qui plus est une brutale répression de Droite, voire d’extrême-droite, voire du militarisme, du fascisme, vu comment tout va vite.
Car c’est là le fond de la question. On sait à quel point la Gauche, historiquement, n’a saisi son identité commune malheureusement bien souvent qu’alors que la menace fasciste planait ou qu’il avait déjà pris une forme monstrueuse très concrète. Et si on doit avoir un critère pour savoir qui est de Gauche aujourd’hui, ce serait la réponse « oui » à la question « Le fascisme est-il une menace réelle, et non une fantasmagorie ? ».
Il faut donc assumer l’unité, car sans cela, à l’échec succéderait la honte sur le plan des responsabilités face à l’Histoire. Il faut l’unité pour protéger la Gauche et prévoir les choses positives de demain, mais aussi pour former un avertissement au peuple de France : si celui-ci cède à la démagogie, au populisme, ce sera la catastrophe !