Sans violence contrairement au samedi précédent, le 19e samedi a témoigné d’une énième modification dans la substance des gilets jaunes. Le mouvement est en effet cette fois devenu un abcès de fixation.
Le 19e samedi des gilets jaunes était très attendu, après la dévastation des boutiques des Champs-Élysées la semaine précédente. L’État a d’ailleurs voulu électriser l’ambiance justement en fermant l’avenue parisienne aux manifestants et en en appelant à l’Armée pour « sécuriser » des bâtiments. Une militarisation apparente visant à jouer des épaules pour montrer que l’État était bien en place.
Le préfet de Paris Michel Delpuech a également été éjecté, celui de Bordeaux, Didier Lallement, un « dur », prenant sa place, alors que la police exerçait en général de nombreux contrôles dans le pays autour des manifestations (8 545 contrôles préventifs rien qu’à Paris) et que de nombreuses zones avec interdiction de manifester avaient été mises en place, parfois de taille significative comme à Nice.
C’est dans ce climat donc relativement tendu qu’un peu plus de 41 000 personnes se sont mobilisés, dont plusieurs milliers à Paris, Toulouse, Lille ou Montpellier. C’est plus que le samedi précédent et c’est surtout cela qui compte. Ce qui reste des gilets jaunes, c’est désormais une sorte de « nuit debout » tous les samedis. Un mouvement de protestation où n’importe qui dit n’importe quoi, du moment que cela reste dans un esprit anti-Macron et que cela possède une dimension sociale.
C’est une sorte de variante néo-syndicaliste qui s’est affirmé avec ce 19e acte et on peut dire qu’il y en a trois qui ont du nez : Jean-Luc Mélenchon, Olivier Besancenot et Philippe Poutou ont en effet été présents dans le cortège parisien, ce qui est la démonstration d’un grand changement de mentalité. À la ligne revendicative anti-politique initiale s’est substitué un esprit réformiste radical.
C’est que la politique a horreur du vide et après avoir été une très violente charge d’extrême-droite, les gilets jaunes s’enlisent et ne peuvent donc que s’amalgamer à une pseudo-protestation sociale avec une forte résonance chauvine. On en revient à des revendications para-syndicales, même s’il faut noter qu’il y avait trois fois moins de monde qu’à l’initiative de la CGT quelques jours auparavant.
La Droite l’a également bien compris et se déchaîne désormais à l’encontre des gilets jaunes. Le soutien initial a disparu, car il a été bien vu que ce qui reste des gilets jaunes est d’une substance nouvelle, irrécupérable par la Droite. Le fait qu’au congrès des chasseurs, le président de leur fédération nationale dénonce ouvertement les gilets jaunes montre également qu’un cap était passé. Même s’il les avait toujours rejetés, le fait de se permettre de l’affirmer au congrès reflète le changement de situation.
Certains diront que c’était ce qu’il fallait attendre depuis le début et que c’est pour cela que la Gauche devait participer aux gilets jaunes. Il aurait été juste de participer pour ne pas rater le train, de virer l’extrême-droite puis d’être présents jusqu’au bout, en sachant que personne d’autre ne pourrait suivre. Mais c’est là prendre ses rêves pour la réalité.
En réalité, les gilets jaunes ont connu des changements importants lors de plusieurs tournants, comme une étude de chaque samedi le montre bien. Parler des gilets jaunes « en général » et croire qu’il s’agit du peuple est une abstraction. Leur nombre a également toujours été restreint. Et, et c’est là le principal, la matrice des gilets jaunes était nationaliste, anti-politique, anti-parlementaire, et c’est cela qui a traversé les samedis, de manière plus ou moins forte.
En ce sens, les gilets jaunes n’ont jamais été qu’un mouvement réactionnaire. Cela ne veut pas dire qu’il ne fallait pas travailler sa base populaire, mais certainement pas en faisant des gilets jaunes un nouveau mode d’expression adéquat, en appelant à les soutenir, en leur donnant une aura de gauche ou révolutionnaire. Les gilets jaunes sont un mouvement contre le drapeau rouge, contre la Gauche en général et on peut se douter à quoi ressemblerait une « gauche » qui se reconnaît dans les restes des gilets jaunes.