À l’occasion du premier mai, Netflix a sorti un documentaire présentant l’arrivée en politique de quatre femmes américaines très à Gauche, dont la figure new-yorkaise Alexandria Ocasio-Cortez, plus jeune élue de l’histoire du Congrès. Intitulé Knock Down The House, il est traduit en français sous le nom de Cap sur le Congrès.
Le documentaire montre la campagne électorale de quatre femmes ayant brigué l’investiture démocrate pour le Congrès dans leur circonscription en vue des élections de mi-mandat à l’automne dernier. Leur candidature s’opposait directement à des figures du Parti démocrate très ancrées, mais n’assumant plus les valeurs démocratiques fondamentales.
Ce qui s’est passé est très simple. Dans la foulée des succès obtenus par Bernie Sanders contre Hilary Clinton lors de la primaire démocrate en 2016, des organisations de la Gauche américaine sont allées puiser directement dans les classes populaires pour faire émerger de nouvelles figures. Il y avait la possibilité pour des novices de s’inscrire pour briguer l’investiture aux primaires démocrates dans diverses circonscriptions, afin de se présenter ensuite aux élections législatives.
Les gens des associations en question, Brand New Congress et Justice Democrats, sont montrés dans le documentaire comme des jeunes assumant l’engagement politique et voulant faire élire des travailleurs pour représenter le peuple, à la place de gens riches et déconnectés des préoccupations populaires, en lançant une grande vague démocratique.
Les quatre femmes présentées dans le documentaire de Rachel Lears y mènent leur première campagne et sont issues des classes populaires, avec des préoccupations se voulant ancrées dans le quotidien.
Amy Vilela ( image ci-dessus ), candidate dans le Nevada, milite notamment pour l’accès populaire à la santé. Le système américain est une véritable horreur pour les gens qui ne sont pas riches – sa propre fille est morte de ne pas avoir été prise en charge en raison d’un défaut d’assurance.
Cori Bush ( image ci-dessous ), candidate dans le Missouri, habite tout près de Ferguson, là où le jeune noir Michael Brown avait été tué par la Police – elle a elle-même aidée les jeunes émeutiers, en proposant des soins médicaux, car elle est infirmière et souhaitait que justice soit faite.
Paula Jean Swearengin ( image ci-dessous ) de Virginie de l’Ouest s’inscrit pour sa part directement dans la tradition de la classe ouvrière et mène un combat pour la reconnaissance des maladies liées aux mines. Fille d’une famille de mineurs depuis plusieurs générations, elle porte la dignité et la révolte des habitants de sa région, l’une des plus pauvres du pays dont elle dit qu’on pense avec mépris que les gens n’y ont ni dents, ni chaussure, ni cerveau.
Sur des images très jolies et très denses, on l’entend expliquer de manière saisissante comment la classe ouvrière est le « dommage collatéral » de la société, mais que cela va changer.
Elle puise directement dans la combativité historique de la classe ouvrière locale, en rappelant les grands combats des mineurs.
Alexandria Ocasio-Cortez ( image ci-dessous ) est quant à elle la figure de proue du documentaire, et de l’initiative démocrate elle-même. Le succès de sa campagne puis son investiture ont été très suivis dans les couches intellectuelles du pays. Il y a donc un grand intérêt pour connaître ses débuts et c’est pour cela que Netflix a dépensé 10 millions de dollars pour les droits du reportage, ce qui est une somme très élevée pour un tel sujet.
On la voit dès ses débuts, lors de la réunion de sélection des candidats par les associations, puis dans son petit appartement du Bronx et à son travail dans un bar l’année dernière. Membre du Democratic Socialists of America, une scission de Gauche du Parti socialiste d’Amérique, elle assume un discours social-démocrate très appuyé :
« On se présente contre un candidat qui a reçu trois millions de dollars par an de Wall Street, de sociétés immobilières et pharmaceutiques. On doit avoir le courage de défendre les travailleurs et de lutter contre les intérêts des grandes entreprises. »
C’est qu’une partie de la Gauche américaine a saisie que la question du travail était centrale, traumatisée qu’elle est par la victoire de Donald Trump ayant justement fait la différence grâce au vote ouvrier.
Il est donc beaucoup question de la « working class », que l’ont traduit souvent par « classe ouvrière » mais qui a un sens plus générique, évoquant plutôt les travailleurs salariés dans leur ensemble, la classe laborieuse : « On nous appelle la classe ouvrière, car nous travaillons non-stop », dit Alexandria Ocasio-Cortez.
Elle est devenue en quelques mois une figure populaire new-yorkaise et nationale, apportant une grande fraîcheur en même temps qu’une véritable vigueur politique. Sa réussite a été d’assumer un discours très à Gauche tout en étant profondément ancrée dans la réalité populaire locale, bénéficiant alors de la vigueur de la société civile américaine et de sa grande culture démocratique.
Il ne s’agirait pas en France de recopier son style abstraitement, comme l’a fait le candidat Ian Brossat du PCF aux Européennes en recopiant littéralement son affiche de campagne, ce qui relève ni plus ni moins que de l’escroquerie politique. Son parcours doit néanmoins être connu car c’est un marqueur politique évident pour les générations de Gauche à venir.
Le documentaire est lui-même très intéressant, car provenant de l’intérieur, tout en ne commettant pas l’erreur de focaliser uniquement sur la réussite d’Alexandria Ocasio-Cortez. Ce sont des femmes très calmes, organisées, qui sont montrées en train de mener un travail de fond, long et fastidieux. Ce qui est mis en avant n’est pas la gloire et la réussite personnelle, mais un combat de longue haleine, presque aride, avec sur les images souvent très peu de monde autour des candidates.
Comme en Europe, la Gauche américaine s’est depuis longtemps effacée au profit d’opportunistes assumant le libéralisme et un style bourgeois, totalement déconnectés des classes populaires. Il y a maintenant un retour de bâton venant de la base, qui exprime le besoin d’un retour aux fondamentaux de Gauche et de ses valeurs liées au mouvement ouvrier.