Comment Alain Soral ose-t-il arborer les symboles du Parti Communiste ? Comment ose-t-il porter l’Etoile Rouge, le Marteau, la Faucille ? Comment a-t-il osé se montrer avec la tenue pénitentiaire gris-rayée des déportés NN, avec le triangle rouge des Résistants Communistes dans les camps de concentration nazis ?
Lui qui n’est ni un marxiste, ni même de gauche, lui qui représente si complètement l’imposture petit-bourgeoise de cette fausse « gauche du travail » ? Comment la gauche sincère peut-elle tolérer l’existence d’un tel espace d’expression pour ce qu’il représente ?
C’est bien que l’audience d’Alain Soral et son envergure même sont le signe de la faillite de la gauche à assumer ses valeurs, à valoriser son héritage, à batailler sans compromission pour la démocratie, au service de notre peuple.
Mais cette faillite est heureusement temporaire, Alain Soral ne peut pas réussir ce véritable braquage de la gauche qu’il tente dans sa vaine tentative, car ce qu’il représente est tout simplement ignoble, relève de la capitulation et ne peut séduire que par le désarroi de l’absence d’une gauche audible, structurée et identifiée.
Ce qui signifie rejeter sans aucune hésitation, sans aucune tergiversation possible toute les immondes soupes populistes, tous les vains bricolages « rouge-bruns » qui trahissent l’esprit et l’honneur de la gauche.
Mais même ce qualificatif de « rouge-brun » est encore trop d’honneur à rendre à Alain Soral, lui qui sous le prétexte de se « réconcilier » avec la « droite des valeurs » pousse l’ineptie de son populisme jusqu’à l’alliance avec les milieux les plus réactionnaires du catholicisme national, verse dans une complète mystique, rejoignant en cela le « chavisme » ou le soutien aux régimes militaristes et corrompus de l’Orient (Lybie de Kadhafi, Iran d’Ahmadinejad…) et autres idéologies frelatées.
Toutes propres à séduire la petite-bourgeoise paniquée de notre pays, prête à tous les paravents anti-révolutionnaires en se donnant un contenu si ridiculement radical, auto-proclamé « dissidence », (à visage découvert, bien sûr), et en se revendiquant de la République.
Comment ne pas être fou de rage de voir cette imposture petite-bourgeoise se réclamer du marxisme, de la Révolution, se donner des airs d’une gauche authentique pour soi-disant mieux la dépasser dans la synthèse bouillie et re-bouillie du populisme ?
Car en pratique qu’est-ce qui sépare la « FI » de « ER » ? Rien. Si ce n’est une affirmation plus assumée de la part des seconds à l’antisémitisme. Mais cela est encore un fossé qui a du sens pour beaucoup de personnes engagées sincèrement à gauche, mais qui tombent dans les nasses de la fausse gauche populiste, suivent les élans de son « combat » des « gens » contre « l’oligarchie » avec un vague sentiment de doute.
Ni droite, ni gauche, gauche du travail/droite des valeurs, populisme de « droite » ou de « gauche »… tout cela est exactement la même chose, mais à des degrés différents, avec des formes différentes.
Depuis les travaux de Zeev Sternhel, les personnes qui pensent, les personnes de gauche savent à quel point notre pays est un bouillon de culture pour ces courants petits-bourgeois tentant à chaque crise de cycle du capitalisme de formuler une synthèse propre à tenter de dévier l’inévitable marche à l’impérialisme et à la guerre, l’inévitable lutte des classes qui en découle chaque jour un peu plus, en leur propre faveur, pour le statu quo, pour « geler » notre pays dans un arrière-monde mythifié.
Alain Soral incarne donc tout ce que doit exécrer une personne sincèrement de gauche, une personne authentiquement progressiste. Encore faut-il clairement identifier ce qu’il représente.
Commençons donc par un ouvrage produit par Alain Soral en 2006, au début de son ascension politique. Il quitte alors formellement la scène des grands médias télévisuels et du Paris mondain, milieu dans lequel il gravitait depuis les années 1980 et entre dans ce qu’il qualifie de « dissidence », de manière ouverte.
C’est-à-dire qu’il va rejoindre le Front National de Jean-Marie Le Pen pour tenter d’en devenir un des principaux inspirateurs, avant de soutenir l’élan parallèle de Dieudonné, tout en fondant son propre mouvement, Égalité et Réconciliation. Celui-ci devient assez rapidement dans les années qui suivent un point central dans les courants poussant au populisme et même ouvertement au fascisme, entendant se situer comme le lieu de la synthèse de la « dissidence » et de la formation de ses cadres.
Voilà pour le contexte. Le livre en question est donc un roman qui marque en quelque sorte la transition entre ce que Alain Soral était jusque-là, une espèce d’esprit maudit de la bourgeoisie parisienne, vivant dans son style décadent avec une sorte de morgue soi-disant intellectuelle et « populaire », en ce qu’il se présente alors comme un « provincial » déclassé.
Le titre même du roman dit tout du contenu. Chute ! est une sorte de confession des désillusions et des errements adressée par un avatar de l’auteur, du nom de Robert Gros, prénom pris pour faire « français » selon Alain Soral, après avoir hésité avec « Oussama Joseph-Maximilien » pour simplement verser davantage dans la pure provocation gratuite et superficielle.
Le récit n’épargne au lecteur aucune forme de la vie décadente et sinistre que mena Alain Soral au sein de ce milieu « branché » de la bourgeoisie parisienne. En cela, il est en quelque sorte le double aboutissement des ouvrages précédents, ce qui justifie le choix de commencer à présenter Alain Soral par cet opus.
Jusque-là Alain Soral s’était mis en tête de dénoncer le libéralisme, qui lui apparaissait surtout en l’espèce sous la forme du féminisme bourgeois, confondus bien sûr avec les légitimes luttes du féminisme en tant que mouvement émancipateur du patriarcat, et celle des lobbys communautaires, ce qui lui permettait d’introduire la question de l’antisémitisme, mais alors encore de manière plutôt indirecte.
La lecture pose immédiatement une question. Peut-on avoir vécu une vie décadente au sein de la bourgeoisie parisienne, pratiquant la zoophilie, consommant de la drogue, multipliant les « expériences » décadentes et la baise et finalement être de gauche ?
A vrai dire, cela dépend du rapport que l’on a avec ce passé, si tant est qu’il en soit devenu un, pour commencer. Une personne de gauche présentera cela de manière critique, et si elle veut le faire sous une forme littéraire, elle le fera en pesant soigneusement ses termes et en construisant impeccablement son récit, de son mieux, pour ne pas verser dans le scabreux, le glauque ou le racoleur.
Il est évident que ce n’est pas là la démarche d’Alain Soral. Prolongeant le titre, le roman a l’aspect tout hypocrite d’une confession où l’on sent que si Alain Soral entend « rompre » formellement avec cette vie en affirmant d’en assumer la vérité, il n’y a pas là matière à regret.
Alain Soral, en digne petit-bourgeois surfant sur la décadence sexuelle post-68, s’est bien amusé. « Quel mec ! », voudrait-il qu’on pense ! Certes, il a mené la vie d’un « vaurien », mais il a tant appris de cette « école » et cela, subjectivement, fait d’autant plus de lui un « vrai mâle dominant » qu’il en assume totalement l’exposition publique. Voilà le premier aspect des choses.
Le second aspect, part apparemment dans l’exacte direction inverse. Toutes ces expériences sont une « Chute » au sens biblique du terme, rappelant ce célèbre passage de la Genèse, où l’Homme et la Femme (sous la forme d’Adam et Eve) après avoir cédé à la Tentation (d’ailleurs en dernière instance sous la pression d’Eve), sont chassés de l’Eden, ce paradis terrestre, mais non sans avoir goûté au fruit défendu de l’Arbre de la Connaissance.
Le parcours de Robert/Alain Soral est donc aussi l’expérience de cette Chute, une tombée en décadence, mais qui produit en quelque sorte la conversion, la connaissance ou la prise de conscience, « l’Eveil » et l’absolution qui légitime le combat à venir. Alain Soral a certes vécu cette décadence, et perdu son Eden, mais comme Adam, le voilà désormais prêt à chercher le Christ pour la rédemption. De la Chute, naît la Résurrection.
Toute la perspective est donc catholique-traditionnelle et la morale hypocrite du catholicisme, en effet, laisse un espace pour produire cette confession paradoxale où Alain Soral avoue si sincèrement, si hypocritement, tout à la fois pour reconnaître là ses fautes et en même temps se faire admirer pour ses transgressions en les exposant de cette façon « authentiquement virile » et « assumée ».
Dans cette perspective, il est donc attendu notamment que la sodomie soit rangée au rayon des transgressions comme le reste des turpitudes d’Alain Soral, car dans cette perspective catholique, l’homosexualité reste une forme de transgression et pas autre chose. Pour couronner le tout pour ainsi dire, ajoutons que l’éditeur du roman, Franck Splenger et sa maison Blanche, sont spécialisés dans la littérature érotique.
Morale hypocrite, décadence sexuelle, « expériences » individuelles exposées narcissiquement comme une initiation. Et surtout, aucun esprit positif, rien qu’un étalage verbieux et glauque. Rien en tout cas là de compatible avec le style et les valeurs de la gauche, pour ne même rien dire du marxisme.
Même au niveau du style littéraire, l’écriture soit disant acerbe et tranchée, le fond même du récit, rappelant par certains passages les ouvrages précédent d’Alain Soral sur la « drague de rue » ou sa prétendue « vie de vaurien » ne sont que des compilations qui se répètent de manière lassante. Et celles-ci d’ailleurs font penser à une libre inspiration, si ce n’est pas même un plagiat, de la vie de l’intellectuel nationaliste russe Édouard Limonov et de son C’est moi Eddie (connu aussi sous le titre directement traduit du russe Le poète russe préfère les grands nègres).
Le parcours d’Alain Soral ainsi présenté par lui-même dans cet ouvrage comme une série quasiment initiatique et mystique, mais aussi assumé ailleurs, relève donc d’une posture petite-bourgeoise, tournée d’ailleurs vers les valeurs bourgeoises elles-mêmes, tant sous leurs formes décadentes, cosmopolites et métropolitaines de manière faussement coupable, que sous leur forme de la pseudo-morale nationale-catholique.
Comme tout cela est loin des valeurs de la gauche, que tout cet esprit borné et décadent, narcissique et hypocrite n’a rien à faire avec le combat pour la démocratie, pour le socialisme, comme nous sommes loin de la lutte des classes et de son contenu, de ses exigences, de sa morale et de son honneur !
Il faut donc au moins laisser à Alain Soral le fait d’avoir « honnêtement » témoigné de ce qu’il représente, un hypocrite décadent qui se rêve en révolutionnaire petit-bourgeois du haut de ses prétentions populistes.