Il est à nouveau question du port du voile islamique à l’école. Cette question incontestablement dérange la Gauche en ce qu’elle la met face à de terribles contradictions qu’elle peine non seulement à surmonter, mais même à regarder en face.
Cette question a une portée significative en ce qu’elle illustre précisément les insuffisances et les défis que doit surmonter la Gauche de France : faut-il être contre au risque de se retrouver dans le même camp que les réactionnaires s’appuyant sur cette question dans une perspective populiste voire franchement raciste ?
Ou faut-il être du côté de ceux et celles qui militent pour le port du droit au nom de la diversité, de la liberté, au risque de se retrouver dans le même camp que les islamistes ? Mais précisément être de gauche c’est refuser ce choix cornélien et absurde comme les deux face d’une même pièce. Être de gauche c’est voir les chose à la base même et proposer d’avancer dans une perspective populaire et démocratique.
Le 15 mai 2019, le Sénat a adopté un amendement proposé par le groupe Les Républicains, notamment Jacqueline Eustache-Brini, sénatrice du Val d’Oise, qui a porté la proposition avec le soutien de l’Union centriste. En l’occurrence, cet amendement a peu de chance d’être voté par l’Assemblée nationale, le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, ayant affirmé clairement son refus de le valider.
De la part des députés de droite, il y a bien sûr là une dimension proprement réactionnaire. Il s’agit sous le couvert de défendre la laïcité de l’État et de ses institutions, notamment de l’école, de mener une agression raciste à l’égard d’une fraction du peuple en vue de soutenir plus largement une mobilisation populiste en faveur du parti Les Républicains, qui cherche ainsi à se poser en défenseur de la République, de sa sécurité, voire de son « identité », face aux islamistes. Typiquement, la sénatrice Sylvie Goy-Chavent a affirmé :
« Pourquoi porter un signe religieux ostentatoire pose problème ? Car cela rompt avec l’harmonie entre les Français, quelle que soit leur origine, parce que ça choque en réalité. Notre rôle n’est de pas d’autoriser par la loi ce qui alimente cette rupture d’harmonie et alimente les haines. »
Bien entendu, tout cela est totalement vain et hypocrite. Même si cet amendement était adopté, qui peut imaginer que cela affirmerait « l’harmonie » des français au-delà des appartenances religieuses ? Même plus profondément, qui peut sérieusement penser que cela porterait un coup décisif aux organisations islamistes, à leur propagande ou même simplement à leur prestige aux yeux d’une partie des populations concernées par une influence culturelle et religieuse de l’islam ?
C’est qu’il y a sur la question de la laïcité une hypocrisie encore plus grande. En effet, la situation est paralysée dans notre pays depuis la capitulation de la Gauche face à la réaction concernant l’école en 1984, quand le gouvernement socialiste a décidé ni plus ni moins d’abandonner face à la Droite son projet, dit de la Loi Savary, d’aller vers l’affirmation d’un service public scolaire unique, au moins à l’Université.
Depuis lors, la Gauche de notre pays à littéralement considéré qu’il était impossible de remettre en cause l’enseignement privé, majoritairement catholique. Le compromis s’en tient à contractualiser l’enseignement privé, c’est-à-dire de le financer très largement et de vérifier les programmes, sans interdire des ajouts supplémentaires.
Cela revient à dire que l’État organise donc lui-même un double système, où le privé dispose de marges de manoeuvre plus grandes que les établissement publics. Certaines écoles privées sont d’ailleurs de véritables bastions de la bourgeoisie et des fractions des « classes moyennes » en mesure d’y accéder pour échapper aux écoles publiques, disposer de meilleures conditions d’études ou tout simplement par snobisme.
Cela dynamite donc toute possibilité d’organiser la « mixité sociale » tant vantée comme projet et rend caduc d’ailleurs tout projet d’ensemble en matière éducative. Les enseignants eux-mêmes ne sont pas les derniers à participer à cette corruption du système éducatif lorsque cela concerne leurs propres enfants.
Concernant le voile, cela rend cette mesure ridicule. Cela revient à pousser des familles qui voudraient affirmer le port du voile vers l’enseignement privé, qui dispose sur ce sujet bien sûr des dérogations nécessaires. Voire même à organiser des écoles confessionnelles islamiques, qui devraient contractualiser pour assumer le programme certes.
Mais dans son contenu, celui-ci n’a rien pour faire face ni à l’islam, ni à aucune religion, dont de toute façon l’État reconnaît la pleine liberté. Une fois le contrat obtenu, l’école sera subventionnée et le port du voile y sera légal pour les mères accompagnants, comme pour les élèves, même mineures, sans même de limite d’âge. Cela est déjà le cas dans les écoles privés musulmanes existantes, mais cela est aussi vrai dans les autres écoles confessionnelles.
La Gauche post moderne ne perçoit pas toutes ces dimensions, car selon elle, la religion est une chose positive, si du moins elle accepte de céder au libéralisme, de relativiser. Ce qu’une partie des islamistes accepte soit par conviction soit par tactique.
Cette Gauche voit bien la dimension raciste de cette interdiction, mais non comme une mesure reflétant un cadre général. Elle voit cela comme une mesure particulière, segmentée, qu’elle croit devoir préciser comme « islamophobe ».
Cela lui permet de considérer le voile comme une liberté, sans contenu significatif, sinon comme affirmation individuelle de la dignité. Défendre le voile reviendrait donc à défendre un droit. Le droit d’abord de disposer de son corps en tant que femme, mais plus encore le droit de croire, puisqu’au fond, la science toute entière ne serait qu’un « discours » situé, tout comme la religion, et que supposer une valeur différente ou supérieure, à la science sur la religion, serait unilatéralement un racisme post colonial, une forme de discrimination ou de violence « symbolique ». Sophie Taillé-Polian, sénatrice Génération.s, a ainsi affirmé dans les débats :
« il faut faire en sorte que la diversité puisse s’exprimer, sans qu’il y ait de stigmatisation ».
On ne saurait mieux exprimer une position libérale, que partage d’ailleurs le Ministre LREM de l’Éducation Nationale, qui serait même prêt à aller encore plus loin dans la liberté accordée en matière d’établissement d’école privée comme il l’a annoncé au début de son mandat.
En fait, la question du voile telle qu’elle se pose est incontestablement une contradiction au sein du peuple. Les tentatives d’organiser ça et là des manifestations de soutiens aux « mamans voilées », c’est-à-dire de faire la promotion du projet islamiste, n’a pas rassemblé de grandes foules. Y compris même dans les quartiers supposés à « majorité musulmanes ».
C’est qu’il y a là une question qui ne touche pas qu’à la question de la supposée liberté de ces femmes de se voiler lors d’une sortie scolaire, ce qui n’est somme toute pas une chose essentielle ou significative au sein des masses, malgré toute la propagande islamiste ou post-moderne sur le sujet.
Il y a là en fait la question des enfants et de ce que l’on projette de leur transmettre. Et sur ce plan, bien peu de personnes continuent de penser franchement que les islamistes puissent sincèrement être des interlocuteurs de confiance.
Il y a une grande compréhension au sein des masses populaires tout comme d’une partie de la petite bourgeoisie culturelle touchée par les violences et les outrances des islamistes les plus radicaux, du fait qu’il se joue derrière cette question un enjeu bien plus grand, un bras de fer, qui dépasse d’ailleurs la seule question de l’islam et pose directement une question essentielle.
Celle du besoin de vivre tranquillement une vie pacifique, croyant ou non d’ailleurs, mais d’abord dans la bienveillance avec les autres et notamment pour les enfants, celle du besoin d’affirmer le métissage de partager les cultures par la cuisine, la langue et ses expressions, la musique, les fêtes collectives.
Il y a ce besoin de considérer la valeur des expériences sensibles, de la Raison, de reconnaître la supériorité de la science sur les superstitions comme une nécessité, même sans trop le dire pour ne pas heurter les sensibilités, mais d’aller quand même vers cela.
Voilà ce qui rassemble les « mamans » et au-delà les familles, les masses. Et dans cette question, le voile est perçu confusément comme un obstacle, un sujet problématique. Cela d’autant que parallèlement les attaques racistes des réactionnaires tentant de s’appuyer sur ce malaise pour pousser au racisme sont aussi perçues comme un problème, une menace même encore plus grande.
Les personnes politisées, en particulier les trentenaires ou les quadragénaires ayant des enfants et ayant vu les progrès de la religion et de ses provocations en vivant cela de manière problématique et confuse tentent toutefois de contourner le problème. Elle ne se prononcent pas, elles cèdent à la passivité. Pas question de cautionner ces lois sans critiques, et pas question non plus de soutenir le voile sans de fortes réserves au moins. Comment penser le problème alors avec des valeurs de Gauche claires ? Voilà en fait précisément une contradiction.
Et on ne règle pas une contradiction comme pensent pouvoir le faire les notables bourgeois par le haut, soit par le populisme ou la réaction jusqu’au racisme, soit par le relativisme post moderne ultra-libéral jusqu’à l’absurde.
Une contradiction cela se règle à la base par la démocratie, par la pratique collective de la vie en commun, par le métissage toujours plus développé et par l’affirmation de la science.
En outre, sur un plan plus politique il faut que la Gauche parvienne à réassumer la nécessité de revendiquer la liquidation pure et simple de tout enseignement privé, confessionnel ou non, contractualisé ou non, au profit d’un grand service public d’éducation unifié.
Cela ne réglera pas tout bien entendu, mais ce serait déjà un rude coup porté à la réaction dans son ensemble, aux racistes comme aux islamistes et à tous les religieux. Un Front rassemblant la Gauche dans une perspective populaire et démocratique doit forcément s’entendre à affirmer cette nécessité.