L’invasion d’une partie de la Syrie par la Turquie n’est pas qu’un exemple d’expansionnisme, mais bien une démonstration de la réalité du monde. On va vers une nouvelle guerre mondiale pour le repartage. On peut même dire qu’on est déjà engagé dans ce processus.
Le capitalisme en crise implique la crispation nationale, le repli stratégique et la conquête militariste. Les Kurdes de Syrie, en s’étant placé dans l’orbite américaine, en font les frais maintenant.
Les Kurdes vivent un nouveau drame, un de plus et pour ainsi dire traditionnel, puisqu’ils ont une énième fois été trahis. Ils ont espéré en Syrie avoir enfin trouvé une voie, avec le combat contre l’État islamique, en se plaçant sous le parapluie américain, qui a fourni des stocks d’armes et une couverture aérienne, alors que les Français envoyaient des cadres pour former les troupes.
Mais les Kurdes connaissent de nouveau la trahison, en étant abandonnés par leurs puissances tutélaires face à une opération de grande envergure de l’État turc. L’idée de celui-ci est officiellement d’instaurer une zone tampon. Seulement, quand on sait qu’elle doit faire 32 kilomètres de profondeur, il voit qu’il s’agit plutôt de former un protectorat, notamment au moyen de l’installation sur zone des 3,6 millions de réfugiés syriens en Turquie.
Les Kurdes de Syrie subissent donc le même sort que la Tchécoslovaquie en 1938 – à moins que les choses ne soient plus compliquées. Car les Kurdes ont eux-mêmes profité du dépeçage de la Syrie avec la guerre civile se développant et l’État islamique lançant également de son côté une offensive, justement avec le soutien de la Turquie.
Les forces kurdes de Syrie en ont profité pour établir leur pouvoir dans une vaste région – avec par ailleurs la grande majorité des zones pétrolières. Et ils ont entièrement assumé de passer sous contrôle américain, ainsi que français en partie.
On peut apprécier les Kurdes et espérer qu’ils trouvent un moyen pour s’en sortir, mais devenir les forces supplétives des États-Unis, par définition cela ne pouvait que mal tourner, dans un sens ou dans un autre. Et c’est ce qui se passe maintenant.
Le contre-argument rejetant cette critique aux États-Unis est que cela a permis de mener la lutte contre l’État islamique et même l’établissement d’un nouveau régime local, le « Rojava ».
Il s’agit d’un projet muncipaliste-fédéraliste des Kurdes en Syrie, qui est appuyé au niveau international par certains courants de la Gauche, en l’occurrence les marxistes-léninistes (surtout historiquement liés à l’Albanie), ainsi que les anarchistes, avec dans ce dernier cas également des Français partant là-bas pour s’impliquer dans le social, l’humanitaire ou le militaire.
Le souci est que ce projet est directement issu de l’arrestation en 1999 d’Abdullah Öcalan, le dirigeant du PKK. Abandonnant toute revendication indépendantiste, il avait prôné le confédéralisme multi-étatique des Kurdes à travers quatre États (Turquie, Syrie, Irak, Iran – les zones considérées étant définies comme le Kurdistan respectivement du Nord, de l’Ouest, du Sud et de l’Est).
Cela fait donc l’impasse totale sur la question de la démocratie en général dans les pays concernés. Les Kurdes de Syrie ont espéré que le choix américain permettrait de forcer le passage tout de même, mais dans le contexte explosif de bataille pour le repartage, c’était illusoire.
Aucune cause, fut-elle juste, ne peut échapper à l’exigence de démocratie pour les peuples et de rejet complet des interventions des grandes puissances.