Raymond Poulidor, décédé ce 13 novembre 2019 à l’âge de 83 ans, est de ces figures françaises ayant traversé les générations et représentant quelque chose d’important dans le pays et au-delà. Champion cycliste, il incarne une tradition populaire des campagnes françaises où le cyclisme a été si important.
Raymond Poulidor, c’est une figure affable, appréciée comme une sorte de représentant de la France populaire et de ses valeurs. Si l’on parle souvent de lui comme un « éternel second » pour ses trois deuxième place (et cinq troisième place) au Tour de France, ce n’est pas par fascination pour la défaite.
Ce qui a plu en lui, c’est la volonté et l’abnégation qu’il représente, tout en restant une personne considérée comme simple, généreuse et ayant un sens moral. Il faut noter également sa fidélité à son équipe, qu’il n’a jamais quitté en 17 ans, chose qu’on imagine impossible de nos jours.
Raymond Poulidor n’est pas qu’un second du Tour de France : il a un très beau palmarès de coureur cycliste, sport trop souvent réduit à « la grande boucle ». Il a été champion de France, il a remporté des courses prestigieuses comme les classiques Milan-San Remo et la Flèche wallonne, les courses d’une semaine Paris-Nice et le Critérium du Dauphiné ou encore la course de trois semaines le Tour d’Espagne.
Issu d’une famille de métayers dans le Limousin, il représente tout à fait cette France des campagnes de l’après-guerre, qui filait vers la modernité. Le cyclisme, qui a d’abord été un sport urbain, s’est ancré dans les campagnes à mesure que les routes devenaient de plus en plus praticables.
Les fameuses courses de clocher, c’est-à-dire des courses cyclistes amateurs ou de jeunes organisées sur un petit circuit passant à de nombreuses reprises devant la place de l’Église d’un bourg, ont largement rythmé la vie des campagnes françaises durant la seconde moitié du XXe siècle. Il en existe encore de nombreuse dans l’Ouest de la France, surtout dans les régions Bretagne et Pays-de-la Loire.
Ailleurs dans le pays, les courses sont beaucoup plus rares du fait d’une grande érosion des effectifs. Le cyclisme a beaucoup souffert de la diversification de l’« offre » sportive, contrairement au football qui a sur rester énormément populaire chez les jeunes.
En plus de cela, il est de plus en plus difficile d’organiser des courses cyclistes, du fait des aménagements urbains – notamment les ralentisseurs en dos-d’âne ou des « haricots », et du nombre important de bénévoles requis.
Pour une course en circuit (en général des circuits de 5 km environ), il faut au moins une voiture suiveuse et une voiture ouvreuse, ainsi que des signaleurs à chaque intersection, pour arrêter les voitures et ne les autoriser à passer qu’entre les coureurs. Pour une course en ligne, c’est-à-dire partant d’un point A et arrivant à un point B sans rester sur un circuit (comme une étape du Tour de France par exemple), c’est encore pire : non seulement il faut des signaleurs aux principaux carrefours et dans chaque village traversé, mais en plus il faut des motards, qui anticipent la course en arrêtant les voitures en face, puis doivent doubler le peloton des coureurs pour de nouveau être disponibles pour arrêter les voitures en face ou signaler un danger sur la route, etc.
Il faut également une voiture ambulance, un médecin, des voitures pour transporter les commissaires (arbitres), des assistants sur le bord des routes pour passer les bidons et les voitures des équipes des coureurs, pour les dépanner ou les embarquer en cas d’abandon. Il faut ensuite sécuriser l’arrivée, un podium et un protocole, etc.
C’est une logistique énorme, bien plus que pour un simple match de football. Cela demande l’implication de nombreuses personnes bénévoles. À part pour les arbitres qui touchent une indemnité comme dans de nombreux sports, tout le reste de l’organisation est du travail gratuit. Même pour les courses de niveau national.
À une époque de replis sur soi et de délitement du tissu social, notamment dans les campagnes et les périphéries des villes, on comprend qu’il soit de plus en plus difficile de mobiliser ces gens, héros ordinaires donnant de leur temps pour le plaisir des jeunes et de la vie collective.
Raymond Poulidor, au-delà de la figure sportive médiatique, représente en fait beaucoup cela. On ne peut pas comprendre pourquoi il est encore si apprécié, si on ne connaît pas cet arrière-plan populaire lié au cyclisme, directement ou non.
Le Tour de France maintient en partie cette tradition, d’ailleurs Raymond Poulidor y était présent chaque année jusqu’à cette année et il disait sans hésiter qu’il en était accros, « comme une drogue » ! Cependant, l’engouement du Tour n’est qu’une exception épisodique du début de l’été, pour un sport qui intéresse très peu le reste de l’année, surtout dans sa pratique amateur (de haut niveau, pas de loisir) et jeune.
Aujourd’hui le sport cycliste (sur route) connaît une phase évidente de modernisation, mais qui ne vient pas de France. Il est en effet flagrant de voir à quel point en France ce qui relève de la culture populaire des campagnes (ou d’un ancrage ancien dans les quartiers anciennement populaires des villes, mais liés aux campagnes) est largement ostracisé.
Ailleurs, le cyclisme n’a pas cette image rurale et ringarde culturellement. Il est mis en avant de façon moderne, notamment par des marques ou différentes entreprises qui en font un vecteur de valeurs.
Finissons donc pour illustrer par cette jolie vidéo de la marque de vélo Canyon, qui met en scène justement le petit-fils de Raymond Poulidor, Mathieu Van Der Pool.
Les images le lient à son grand-père et à son père le néerlandais Adrie Van der Pool, lui aussi un champion cycliste. Mathieu Van Der Pool, 24 ans, est déjà bien connu par les suiveurs du cyclisme, notamment pour ses exploits hivernaux en cyclo-cross, sport extrêmement populaire dans les campagnes flandriènnes. Il est d’ailleurs champion du monde 2019 de cyclo-cross (également de VTT cross-country). Sur route, Mathieu Van Der Pool a déjà remporté la classique Amstel Gold Race et n’est pas passé très loin du titre de champion du Monde pour lequel il était un grand favoris.