C’est à DJ Kore, un producteur de l’ancienne génération du rap français, et à Ramdane Touhami, un entrepreneur décadent, qu’on doit ce lamentable spectacle. Ils ont rassemblé des « artistes » pour tenter de produire un morceau dans la tradition anti-FN qui a eut cours dans le pays depuis les années 1990.
Difficile de savoir par où commencer tellement rien ne va. Déjà parce que le changement d’époque est radical et transposer ce qui était dit du Front National au début des années 2000 est contre-productif. L’époque a changé, sa ligne politique à changé, son électorat à changé, et en face, les cités ont changé, la gauche à changé et les rappeurs eux-mêmes ont changé. Bref tout a été modifié par la crise générale du capitalisme.
Autrement dit : voir des gens avec des valeurs de Droite, en mode pro-business, pro-mafia, s’imaginer agir contre le RN, reprendre le slogan historique de la guerre d’Espagne (No pasaran : ils ne passeront pas)… c’est à la fois faux, désolant, contre-productif.
Certains revendiquent d’ailleurs leur absence de conscience politique ou carrément ne semblent même pas avoir compris qu’il fallait appeler à voter contre le RN :
Un vieux loup ne suit jamais la meute,
MC Tyer
Je ne voterai ni pour toi, ni pour toi.
La grosse douille c’est d’avoir peur de ce qu’on ne connaît pas.
Moi j’ai jamais voté
RK
Je suis de l’autre côté
Les gars je vote pas
Mais bon j’suis très étonné
Leur programme me fait pas rigoler
Allez niquer vos mères Marine et Bardella
Bientôt je me barre de là.
Le morceau No Pasaran n’est qu’une complainte glauque, une ambiance mafieuse du tous contre tous, complètement masculiniste. Il serait réducteur de limiter ça à l’absence totale de femme dans la démarche, puisque cela ne changerait pas le fond qui n’est que culture du gang, de la violence, autodestruction, dont les femmes se tiennent à l’écart de toutes façons.
C’est là d’ailleurs une énième preuve que face à la décadence anti-sociale du lumpenprolétariat allié à la bourgeoisie, la solution est dans la mobilisation de ces dernières.
Si les fachos passent, j’vais sortir avec un big calibre
Ashe 22
J’sors les canines, les petits niquent leur vie pour un peu de dopamine
Ils nous vendent des belles paroles cellophanées
L’intérieur de leur âme est fanée, ils méritent de caner
J’revend c’qui fait planer…
La jeunesse se lève pas voter
ISK
Elle est scotchée sous frapasse
Quelle idée en même temps de faire un projet musical censé être engagé à gauche avec Seth Gueko qui fait l’éloge de la pornographie et fait référence à des tueurs en série, ou encore avec Alkapote, fan d’Alain Soral et admirateur d’Adolf Hitler ?
On en profite pour lui expliquer que l’hôtel est connu pour être l’ancien repaire de la Gestapo et des forces nazies durant la seconde Guerre Mondiale. « Lourd de ouf, frère, on n’a qu’à faire l’interview ici. J’suis fan d’Hitler. »
Une ribambelle de boulets conduits, qui plus est, par des vieux, des complotistes, des nuls qui ont fait leur temps.
40 ans qu’on l’écrit
Akhenaton
Voilà on en est là avec un seul candidat
Jordannuel Macronardella
Le monde est contrôlé par des Illu-Minés
MC Tyer
La vérité j’sais plus avec quoi la faire rimer
Le résultat n’a rien de surprenant quand on voit comment les mafias sont devenues hégémoniques dans les quartiers et comment cela est sans cesse glorifié dans le rap, avec un attrait pour des pseudos contestations avec des poncifs islamistes et antisémites mais surtout, surtout, sans aucun réel repère. C’est le règne de l’ultra-individualisme mi-zombie, mi-gangster.
J’recharge la kalashnikov
Alkpote
En Louis Vuitton comme Ramzan Kadirov
Nique l’imam Chalgoumi [imam modéré médiatique ndlr]
Et ceux qui suivent le sheitan à tout prix
Marine et Marion les putes
A coup de bâton sur ces chiennes en rut
On continue la lutte, bientôt on va célébrer leur chute […]
Ils font du mal à nos enfants
Ils veulent nous injecter une puce dans le sang.
Le contraste avec Hip Hop Citoyen sorti en 2002 ou bien encore 11’30 contre les lois racistes (et 16’30 contre la censure) est frappant. Dans ces morceaux, il y a un ancrage dans le parcours des luttes de classe en France avec grosso modo des gens relevant du sous-prolétariat qui se rattachent à l’héritage de la classe ouvrière. Tant sur le plan de la forme relevant positivement de la variété française que sur le fond, avec sa perspective social-républicaine, on a un démarche politique sincère qui débouchera ou bien sur la révolte de l’automne 2005 ou bien sur l’engagement associatif « de quartier » avant d’échouer dans les années 2010.
« No Pasaran » est quant à lui un pur produit de la décomposition des quartiers dits populaires dans le cadre de la crise générale. Il est la consécration de l’anti-politique à la sauce émeutes de juin 2023. C’est un style totalement décadent avec une mentalité lumpenprolétaire qui n’a plus aucun lien avec le patrimoine historique de la Gauche.
Voter RN c’est comme une femen
Seth Gueko
Qui veut être femme à Soral
Le morceau est hors-sol car porté par des gens qui ne glorifient que le business, il ne porte aucun engagement politique mais un ressentiment identitaire relevant d’un style à l’américaine, ni plus, ni moins.
De ce point de vue, il ne peut qu’être vomi par la masse des gens, particulièrement par la classe ouvrière. À l’inverse, il ne peut que satisfaire les franges post-modernes du Nouveau Front Populaire pour qui la « gauche » c’est se limiter à intégrer le plus d’identités possibles dans une énorme ronde de fausse tolérance et de vrai libéralisme.
Il y a eu d’ailleurs une réaction de Marine Tondelier, excusant la tonalité des paroles… Tout en disant que c’était le genre de choses qu’elle n’écoutait pas en tant que féministe. Elle finit par dire que c’est intrinsèque à la culture du rap, ce qui est strictement faux lorsqu’on connaît l’âge d’or d’avant les années 2000, où l’esprit dominant est résolument positif même si l’esprit ultra patriarcal a pu exister à la marge.
De son côté Marine Le Pen a réagi de manière totalement légitimiste, en en appelant à la justice. Elle gagne des points en se posant comme au-dessus de ce genre d’horreur.
Comment peut-il en être autrement? Les masses ne veulent pas des mafias, du style patriarcal comme il y a mille ou deux mille ans. La classe ouvrière, le noyau de la société, recherche logique, cohérence et rationalité. La chanson « No pasaran » en ce sens, par sa décadence, aide la démagogie de l’extrême-Droite !