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Feu ! Chatterton et leur «Palais d’Argile»

Le groupe français Feu ! Chatterton a sorti son troisième album, « Palais d’Argile » le 12 mars 2021. Écrit avant le confinement, l’album résonne pourtant avec le contexte de la crise sanitaire. Il mêle les genres musicaux et les états d’esprit, oscillant entre réflexion sur le monde et sentiments amoureux, entre mélancolie et espoir.

Avec ce troisième album, Feu ! Chatterton se positionne en tant que groupe capable de renouveler la chanson française. Inspiré par Ferré, Gainsbourg ou encore Bashung, ce groupe typique du rock français montre qu’il sait puiser dans la diversité des genres, avec des références efficaces. Tantôt glissant vers le post-punk, tantôt vers l’électro avec notamment ici la collaboration d’Arnaud Rebotini.

La musique de Feu ! Chatterton est taillée pour la scène, la communion avec le public notamment par l’intermédiaire de la présence quasi mystique du chanteur, Arthur Reboul. Sa voix naturellement voilée, capable de partir dans les aigus et de vibrer de manière gutturale, donne une vie indéniable au tout, avec une palette d’émotions variées et intenses.

C’est sans doute le morceau Un Monde Nouveau, qui exprime le mieux quelque chose de notre époque, en fait l’état d’esprit d’une partie de la population française.

Pensé comme un constat sur notre époque depuis le futur, cette chanson préfigure les attentes idéalistes qui ont surgit pendant le confinement avec les considérations sur le « monde d’avant » et un hypothétique « monde d’après ».

C’est une peinture des classes moyennes éduquées face à un monde déstabilisant et l’impossibilité de trouver une porte de sortie sur leurs propres bases.

Il exprime justement l’angoisse classique des intellectuels, des artistes ayant conscience qu’il faut changer le monde mais que pour se faire il faut pouvoir le façonner. Et qu’au fond, bien qu’ils puissent être excellents à formuler des pensées complexes, ce ne sont pas les idées qui changent le monde.

Ils se sentent impuissants à transformer. C’est là qu’intervient l’obsession de « savoir faire quelque chose de ses mains », qui peut à la fois mener à une vision romantique du tous artisans ou à se tourner vers les manuels modernes.

Cet entre-deux est tout à fait palpable avec le clip qui prend place dans un décor post-industriel où les membres du groupe portent des costumes bleus marines identiques et déambulent avachis les uns sur les autres.

On a pareillement une vision de la technologie qui est ambivalente, avec une critique de son utilisation vide de sens et froide sans pour autant être dans le refus de la modernité.

« La clarté nous pendait au nez dans sa vive lumière bleue
Nous étions pris, faits, cernés, l’évidence était sous nos yeux
Comme une publicité qui nous masquait le ciel

Des millions de pixels pleuvaient sur le serveur central

Un monde nouveau, on en rêvait tous
Mais que savions-nous faire de nos mains
Un monde nouveau, on en rêvait tous
Mais que savions-nous faire de nos mains
Zéro, attraper le Bluetooth
Que savions-nous faire de nos mains
Presque rien, presque rien, presque rien. »

Trop d’amarres nous rivent au capitalisme et il n’y a personne pour les larguer collectivement. Ces amarres ce sont tous les attraits de l’hédonisme moderne de la consommation qui sont d’ailleurs dénoncés à demi-mot par Arthur Teboul dans une entrevue avec le groupe Catastrophe. Il y répond à la question « qu’est-ce qui est subversif aujourd’hui ? » :

« La discipline, la soumission, l’ordre. […] La liberté ce n’est pas sortir de tout cadre mais respecter un cadre qu’on aurait soi-même choisi […] L’abandon et la jouissance sont dans l’air du temps, la privation, voilà ce qui est subversif aujourd’hui, choisir de se priver dans un autre but. »

Finissant par citer Rousseau « L’obéissance à la loi qu’on s’est prescrite est liberté ».

Face a un monde sans âme, où la sensibilité s’effrite, Feu ! Chatterton nous transporte dans une ambiance lyrique, teintée d’épicurisme.

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Lalaland de Zed Yun Pavarotti

La La Land est le surnom donné à la ville de Los Angeles. C’est une expression signifiant la déconnexion avec le réel, une sorte de flottement au-dessus du monde où les fantasmes dominent les choses concrètes.

Avec son nouveau titre, deuxième extrait de son album à venir, Zed Yun Pavarotti sort encore un morceau de grande qualité, absolument moderne dans sa réalisation et très puissant émotionnellement. L’écriture est comme toujours avec lui très poétique et très dense, le clip mettant formidablement bien en valeurs l’ensemble qui est somptueux.

Issu de la très prolétaire ville de Saint-Étienne, Zed Yun Pavarotti fait partie de ces artistes authentiquement populaires avec une grande exigence culturelle. C’est probablement l’un des chanteurs les plus prometteurs actuellement en France et son premier album pourrait-être très marquant. On l’attend en tous cas avec impatience.

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French touch 2020 (playlist)

La scène musicale française est très productive. Elle est portée par des artistes brillants, assumant une touche très spécifique, que l’on pourrait qualifier de mélodique-mélancolique, avec toujours une attention donnée au style, à l’attitude. On reconnaît en général une certaine légèreté, mais qui est construite, élaborée, travaillée.

Voici une petite sélection de morceaux récents, voir très récents, avec souvent un nombre incroyablement bas de vues. Quelle est donc cette jeunesse incapable de reconnaître les talents qu’elle produit ?

[le service multiplateforme de streaming que nous utilisions habituellement clôt malheureusement ses services à la fin du moins ; les playlists seront dorénavant sur YouTube uniquement].

1. MAGENTA – Chance feat. Vendredi sur Mer
2. Mou – Sophie Marceau
3. Hier soir – Midi Minuit
4. The Pirouettes feat. Timothée Joly – Lâcher prise
5. Sally – ROULETTE RUSSE
6. Moussa – Element
7. Myth Syzer – Nirvana
8. Zed Yun Pavarotti – îles

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«Les humains» de Voyou

Une histoire parlant d’amour simplement, mais de manière très profonde. Une production soignée et complexe, mais avec une approche résolument pop. Cela donne un morceau de grande qualité et ça s’appelle « Les humains », par l’artiste Voyou.

La réalisation du clip par l’artiste Norma (qui assure les cœurs) est également à souligner, car il y a là un style, une véritable identité artistique correspondant à la fois à l’univers de Voyou, mais aussi au titre lui-même. On n’est pas dans l’illustration sans âme destinée à simplement faire des vues sur YouTube.

D’ailleurs, les vues YouTube ne sont pas vraiment au rendez-vous pour un artiste de ce talent. À peine 25 000 vues dans la soirée de samedi pour un clip sorti mercredi, c’est malheureusement très faible. Cela en dit long sur le niveau culturel de la France et notamment de la jeunesse… qui pourtant passe son temps sur YouTube.

Ce n’est pas comme si Voyou n’était pas connu. Ses morceaux sont régulièrement dans les playlists Deezer ou Spotify. Même France Inter, la radio la plus écoutée en France selon Mediametrie, l’a joué et même invité en live.

Qui plus est, le clip « Les humains » est relayé sur tout un tas de sites, dont ceux des Inrockuptibles et de Radio Nova, deux médias appartement dorénavant au même groupe et censés représenter l’avant-garde culturelle version grand-public en France. Ces médias n’ont-ils plus de surface ?

C’est probable, car le public aujourd’hui ne fait que consommer, de manière passive, et il n’y a de la place que pour le pré-mâché, les grosses productions, pas à des œuvres aussi sensibles que celle de Voyou.

Bien sûr, le morceau aura un peu d’audience quand il sera dans les grandes playlists ou sur certaines radios. Il sera entendu, mais pas vraiment écouté. Il sera apprécié, mais en surface, et pas à sa juste valeur.

Dans un pays aussi développé culturellement que la France, le public devrait pourtant être à l’affût du dernier clip d’un artiste contemporain comme Voyou, capable dans son album Les bruits de la ville sorti il y a pile un an, de proposer un morceau aussi touchant que « Il neige ».

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Ça ira ça ira, le nouveau clip très frais des Pirouettes

C’est frais, c’est coloré, c’est positif ! Extrait de l’excellent album Monopolis.

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Presque l’Amour – Tu m’as trop menti (Chantal Goya cover)

Voici une reprise de « Tu m’as trop menti » de Chantal Goya par l’excellent groupe Presque l’Amour, originaire de Rouen. C’est une version électro-pop plus industrielle, une remise au goût du jour très bien vue de ce superbe titre.

https://www.youtube.com/watch?v=Py3_6bSxWfY

Chantal Goya est une chanteuse populaire française marquée à Droite depuis 1974, notamment en ayant soutenu le libéral Valéry Giscard d’Estaing en 1974 ou en étant contre la pénalisation des clients des prostitués.

Elle fut cependant proche de la Gauche et les textes qu’elles chantaient étaient sincères, comme « Tu m’as trop menti » qui prône la sincérité amoureuse.

C’est en particulier le cas de la bande-son du film Masculin Féminin de Jean-Luc Godard, où elle fait une grande partie de la musique et où elle joue aussi.

C’est sur le tournage de ce film qu’elle a rencontré l’homme qui a écrit les paroles de « Tu m’as trop menti », Jean-Jacques Debout, avec qui elle entamera une relation amoureuse.

Tant la version originale que la reprise de Presque l’Amour en 2015 ont une tonalité très française, so french, avec cette façon de dire l’amour de manière à la fois engagée et réservée, avec cette forme de retenue très sophistiquée dans la façon de chanter.

Voici la version originale du titre chanté par Chantal Goya :

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Videoclub – En nuit (Clip officiel)

La nouvelle vidéo du groupe Videoclub est marquante, de nouveau, par sa profonde candeur. Elle reflète une très profonde modification des mentalités, les jeunes nés à partir de 2000 étant en rupture sur de très nombreux points avec les générations précédentes.

Il est difficile encore d’en cerner tous les contours, mais les différences sont bien plus que simplement perceptibles et elles annoncent bien des choses pour l’avenir.

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Amour plastique de Vidéoclub, la grande fraîcheur de la jeunesse urbaine française

Le clip Amour plastique de Vidéoclub rencontre un grand succès dans la jeunesse française, avec plus de 8 millions de vue à ce jour et alors que le groupe n’a encore produit que deux morceaux. C’est une électro-pop à la française d’une grande fraîcheur, typiquement urbaine et branchée, exprimant la sensibilité d’une jeunesse en quête d’authenticité et de « fun ».

La vidéo a été portée par la notoriété de sa chanteuse Adèle Castillon, dont la chaîne YouTube aussi drôle que fascinante mène une critique acerbe de la futilité des rapports sociaux à notre époque, dénonçant notamment « le manque d’originalité » et « d’élévation spirituelle » des youtubeurs.

Ce premier morceau n’a pourtant rien d’un « premier morceau » lancé comme une blague par une youtubeuse marrante, comme l’était celui à succès sur« les pâtes ». La justesse sonore d’Amour plastique l’a en fait rapidement propulsé à des records d’écoutes sur les plateformes de streaming, qui l’ont beaucoup relayé dans des playlists. Le titre est maintenant connu par la jeunesse tout aussi bien en Suède qu’en Pologne.

On y reconnaît bien sûr la touche électro-pop à la française du moment, mais avec ce petit quelque chose qui fait qu’on se dit que c’est un peu plus qu’un bon morceau. Son succès vient certainement de cet excellent dosage entre la légèreté, car la jeunesse ne veut pas se prendre la tête avec des choses ennuyantes, et l’authenticité, car la jeunesse la plus avancée culturellement ne supporte pas le fake.

On y parle donc d’amour fou, passionnément mais sans le grotesque habituel de la variété, ni ses notes insipides. C’est aussi à l’opposé de la fausse gravité d’un groupe comme Fauve, ou de toute une partie du rap français qui se complaît dans une esthétique larmoyante.

Le clip d’Amour plastique porte très bien le morceau, car il y a chez ces jeunes nantais une démarche artistique très aboutie, à la production aussi minutieuse que spontanée. C’est d’ailleurs tellement sophistiqué qu’il y a une vidéo making-off diffusée ensuite, elle-même très artistique.

Le style est très branché, en plein dans la hype « année 90 » du moment, avec cette sorte de fascination pour la culture pré-internet. On imagine que le nom du groupe, Vidéoclub, vient de là, comme un regard sur une époque où se procurer une vidéo relevait d’une démarche presque complexe, en tout cas impliquée, contrairement à maintenant où il suffit de scroller pour subir littéralement des milliers d’heures de vide audiovisuel.

Internet est arrivé tellement rapidement dans les vies, sans aucun contrôle, dans une société où règnent les rapports marchants et le libéralisme des mœurs, qu’il propose bien plus d’horreurs que de perspectives culturelles réjouissantes.

Il ne s’agit cependant pas d’être fasciné par le passé, et on aurait d’ailleurs du mal à imaginer que ces deux artistes prônent un romantisme réactionnaire, conservateur. Ils proposent au contraire une telle fraîcheur et un tel besoin de réalité, que leur démarche est forcément positive.

On peut être à peu près certain qu’ils n’en sont qu’à leurs débuts, eux qui le mois dernier n’avaient encore jamais donné de concert !

Le clip de leur second morceau, Roi, est lui aussi très sympathique.

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Monopolis de The Pirouettes, la romance électro-pop à la française

Monopolis est le second album électro-pop de The Pirouettes, sortie le 28 septembre 2018. Comme à son habitude, ce jeune duo amoureux dans la vie évoque la romance, avec un style et un ton sophistiqué mais très épuré, à la française.

Les poèmes d’amour des Pirouettes sont très passionnés, mais toujours mesurés. Dans chaque morceau, la mélodie est aérienne et le rythme puissant, sans s’égarer dans les frasques de l’électro ni la vulgarité du langage. Il y a là indéniablement un style français, une « french touch » qui tout en modernité, synthétise une grande partie de la pop française des années 1980 et 1990.

Le côté « ktich » est parfaitement assumé, dans une attitude mi-moqueuse mi-nostalgiques très tendance, dans la lignée de la vaporwave ou bien de la mode des friperies.

Monopolis est d’ailleurs une référence à la ville « capitale de l’occident » imaginée dans Starmania par Michel Berger. L’album ne s’intéresse pas ici au thème social-culturel de la comédie musicale mais se sert du décor, qui forme un peu un contexte, en plus d’être une référence sonore.

Chaque chanson est censée raconter une histoire se passant à Monopolis, avec systématiquement ce thème, si français, de l’amour et de la romance. Si leur premier album Carrément Carrément (2016) racontait surtout le quotidien de la jeunesse, les premiers temps de l’amour, c’est plutôt la complexité des rapports amoureux qui est évoquée ici. La peur de voir disparaître la romance dans les tracas du quotidien et l’élaboration du couple lui-même.

Le titre Ce paradis exprime bien cela, avec un très joli clip tourné au pied de l’Interféromètre du Plateau de Bure dans les Alpes.

L’écriture est belle, les mots sont précis mais légers, sans fioriture, se suffisant à eux-mêmes :

« Passant, absent, replié sur moi-même
J’ai longtemps galopé aux dépens de ce que j’aime
J’ai trop voulu tout niquer, j’ai tout perdu, fini par tout casser
Et je m’en veux, c’est pas un jeu, oh, je t’en prie, laisse-moi le retrouver

Ce paradis imaginé pour toi et moi
Au large des îles d’un continent qu’on n’connait pas »

Le chant est d’ailleurs quelque-chose qui peut rebuter au premier abord, semblant trop lisse. Il y a en fait un double aspect : le chant est très simple, voir ouvertement simpliste – bien que juste, parce-que les productions musicales sont quant à elles très élaborées et abouties.

La dimension la plus importante dans chaque morceau n’est pas le chant mais la mélodie, gavée de synthés et de rythmes électroniques. Le rendu est très atmosphérique, comme savent le faire surtout les anglais, et il est très rare d’avoir dans la chanson française une production musicale du niveau de celui des Pirouettes.

La légèreté du chant permet donc de ne pas abîmer cet écrin, destiné au texte.

Car plus que le chant finalement, c’est souvent le texte qui déstabilise, de part sa profondeur et sa sincérité.

Au pays du libéralisme où l’adultère et la tromperie sont érigés en style de vie, on n’a pas l’habitude des propos aussi directs et volontaires des Pirouettes.

Le morceau Tu peux compter sur moi est ainsi exemplaire. C’est un hymne à la fidélité et à la sincérité des sentiments, à rebours de la décadence et du relativisme général dans les mœurs aujourd’hui en France.

Mais dans le style, dans l’approche, le ton est tout à fait français. Et ça là le grand intérêt et la grande porté de ce groupe talentueux.

L’audience des Pirouettes se limite aux milieux culturels les plus à la pointe ou à la jeunesse urbaine la plus branchée, qui apprécie surtout par désinvolture.

C’est parce-que l’époque n’est pas propice à leur succès. La jeunesse en général n’a pas la profondeur d’esprit d’apprécier et de s’engager dans ce thème de la romance. Les âmes sont trop meurtries et trop corrompues par les valeurs dominantes pour s’ouvrir autant.

 

> Discographie :

Album – Monopolis, 2018
Album – Carrément Carrément, 2016
EP – L’Importance Des Autres, 2014

> Merch :

bigwax.fr/fr/kidderminster

> Tournée :

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Joël Robuchon a-t-il révolutionné la gastronomie française ?

Le décès de Joël Robuchon a donné lieu à toute une série d’éloges consacrant son talent et son rôle pour la cuisine française. Il est partout expliqué qu’il a bouleversé les traditions de la gastronomie en bousculant les codes.

Joël Robuchon est connu pour avoir dit :

« À part quelques expériences intéressantes, la grande cuisine française m’emmerde ! »

C’était dans un entretien au magazine l’Express, publié le 11 juin 2009. De manière plus précise, il expliquait juste avant :

« Le concept d’Atelier […] est une formule gagnante, surtout en temps de crise, car elle correspond exactement à ce que les gourmets et les hommes d’affaires veulent aujourd’hui : un comptoir qui donne directement sur les fourneaux, une cuisine minute et sans chichis, des produits de première fraîcheur, des sets de table, des couverts en Inox, un service décontracté et une addition raisonnable.

Il y a peu de temps, j’ai eu une conversation avec François Pinault, qui fréquente mes Ateliers dans le monde entier et qui me disait qu’il supportait de moins en moins les grands restaurants. »

Il précisait ensuite :

« Les plats sophistiqués à l’extrême, les nappes matelassées, l’argenterie, le ballet de trois garçons pour vous servir une assiette et les additions stratosphériques, j’ai assez donné. Il y aura toujours une place pour ce genre d’établissements, mais les clients exigent désormais plus de simplicité, quels que soient leurs moyens. Allez faire un tour dans les restaurants trois étoiles à Paris : la plupart d’entre eux sont à moitié vides… »

Ce grand chef français avait donc fait le choix de satisfaire une clientèle mondiale, cosmopolite, en quête de modernité et de rapidité.

     Lire également > Joël Robuchon, la grande cuisine française pour les riches

Les fioritures de la table française traditionnelle apparaissant pour nombre de ces gens comme dépassées, inutiles, voire encombrantes. Il y a bien-sûr, aussi, une coquetterie de grands-bourgeois qui veulent toujours du nouveau, pour s’imaginer différents, particuliers.

Dans un autre entretien à l’Express, en janvier 2016, Joël Robuchon expliquait :

« Les États-Unis font partie des pays où il y a le plus de végétariens. Même de vegan. On doit avoir des menus pour eux. A Las Vegas [dans son établissement], 20 à 30% de la clientèle est végétarienne, certains jours. »

Il affirmait également :

« Des pays qu’on n’attend pas se rendent compte de tous les bienfaits des produits sains, naturels, sans pesticides ou autres. La France est un des derniers d’Europe dans ce domaine. De toute façon, il faudra changer. »

On a là encore une volonté de s’adapter à une société changeante. Il adoptait un point de vue pragmatique, avec une démarche ouverte, non sectaire.

En mai 2013, dans un entretien au Figaro cette fois, il présentait un projet de restaurant à orientation végétarienne, à Bombay en Inde, avec ce discours :

« Mon constat est simple. C’est maintenant que se jouent les dix prochaines années. Elles s’appuieront sur la santé, et en cela, la cuisine végétarienne sera l’un des axes de cette évolution. Je veux être là. Voilà pourquoi, malgré l’avis de mes proches collaborateurs, j’ai décidé d’ouvrir un Atelier à Bombay à la fin de l’année. J’ai besoin d’apprendre leur cuisine et de suivre leur talent pour jouer avec les légumes et les épices. On n’imagine pas combien un simple plat de lentilles, de pois chiches, de courgettes ou de soja peut être grand… Aujourd’hui, je suis un apprenti, je recommence à zéro. »

Et quand les journalistes lui demandent si la cuisine végétarienne est vraiment de la gastronomie, il répondait franchement :

« Oui, regardez ce que font Alain Passard et Frédéric Anton avec une simple betterave. Le tout, c’est de ne pas s’enfermer dans la haute gastronomie et ses prix astronomiques, mais de rester sur terre. À l’image de ce que nous avons fait dans les Ateliers créés il y a dix ans: de la haute cuisine abordable avec un service convivial. Pas besoin de se compliquer la vie et de multiplier les prix par trois (étoiles). »

De manière intéressante, il a pu dire également :

« Nous quittons la cuisine sophistiquée pour aller vers plus de sagesse, ensuite ça tournera encore. La simplicité reste l’un des plus durs des challenges. Je rêve de voir le concours du Meilleur Ouvrier de France se jouer autour d’un panier de légumes ! »

Ce discours de « bons-sens », de simplicité élaborée, il l’a multiplié à l’envi. C’était comme une marque de fabrique, sa signature, à l’image de sa fameuse « purée ».

Joël Robuchon était-il une figure importante ayant fait avancer la gastronomie française ou bien a-t-il surtout eu un discours conforme à ses exigences commerciales dans une économie mondialisée ?

A-t-il révolutionné la gastronomie française ?

La France est un pays de lettres, donc quand il y a un sujet, il y a souvent au moins un auteur ou un écrit qui lui est associé. En ce qui concerne le gastronomie, c’est l’ouvrage La Physiologie du goût de Jean Anthelme Brillat-Savarin qui fait office de référence.

Publié en 1825, il y a près de deux siècles, toutes les prétentions de Joël Robuchon en termes de simplicité, de bon goût, d’authenticité dans les saveurs, d’intérêt pour la santé, y figurent déjà. Et en mieux, car c’est affirmé d’une manière bien plus radicale et universelle.

Le point de vue est évidemment bourgeois, mais il prend le parti de la civilisation, et non pas de simplement satisfaire quelques clients fortunés à travers le monde.

Jusqu’en 2018, Joel Robuchon a donc surtout été un homme en retard de deux siècles par rapport aux prétentions qu’a pu avoir la bourgeoisie en ce qui concerne la gastronomie.

L’ultra-formalisme et l’entre-soi porté par la grande cuisine française, ou du moins ce qu’elle est devenue au XXe siècle avec ses étoiles au guide Michelin, doit bien-sûr être critiqué, rejeté.

Mais il faut pour cela se tourner vers la population française elle-même, et non pas pratiquer la fuite en avant cosmopolite, au service d’une minorité d’ultra-riches mondialisée.

Bien sûr, la démarche d’ouverture sur le monde est forcément positive ; elle est d’ailleurs constitutive de l’identité française, et donc de la gastronomie française. Mais cela ne signifie pas qu’il faille pour autant jeter par la fenêtre l’héritage culturel français de la grande cuisine et tout l’art de vivre qu’il porte en lui.

La question du végétarisme, et surtout en fait du véganisme, est ici quelque chose de très intéressant. À partir du moment où la question des animaux dans l’alimentation est posée et qu’il est matériellement possible d’y répondre, une société pacifiée et civilisée doit forcément y répondre.

Joël Robuchon n’a pas vu cela, car il ne s’est pas intéressé à la société. Il a simplement entrevu cette possibilité, en tant qu’opportunité commerciale et défit technique. On peut penser que cela est utile, contribuant à faire évoluer les mentalités de par l’influence qu’il a sur la société en tant que grand chef. Mais ce n’est bien sûr pas suffisant. Sa démarche n’était qu’anecdotique, incapable d’aller dans le sens d’un réel engagement.

En ce sens, on ne peut pas dire que Joël Robuchon ait révolutionné la gastronomie française, il l’a simplement modernisé dans un sens plus conforme à son époque.

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Joël Robuchon, la grande cuisine française pour les riches

Le chef Joël Robuchon est décédé ce lundi 6 août, à 73 ans. Il est unanimement salué et reconnu comme une figure de la grande cuisine française, qu’il a largement participé à promouvoir dans le monde, mais uniquement pour les riches.

À vrai dire, peu de personnes ont réellement goûté à la cuisine de Joël Robuchon. Celle-ci était en effet réservée à une minorité de gens ayant les moyens économiques et culturels de manger dans ses établissements.

Il en est ainsi du luxe et d’une manière générale, de l’art de vivre à la française, accaparé de manière quasi-exclusive par la bourgeoisie. Pour autant, on aurait tort de croire que cette exigence ne concerne que les plus riches simplement parce qu’ils s’en réservent le résultat, réel ou supposé.

L’image d’une immense brigade de cuisiniers en blancs s’affairant sans répits avec des casseroles traditionnelles et des produits frais méticuleusement choisis, est quelque-chose qui plaît largement, à travers toutes les couches sociales.

Joël Robuchon est en ce domaine très apprécié car il incarnait précisément ce style français. Son succès, outre son talent qu’on imagine certain, vient du fait qu’il a su se présenter comme prônant la sophistication, dans une quête de l’excellence.

Il est systématiquement présenté par ses pairs comme un forçat de travail, précis et perfectionniste. Le chef du restaurant parisien trois étoiles L’Arpège, Alain Passart, dit par exemple de lui :

« Il avait une main redoutable et goûtait merveilleusement bien. Il savait corriger un assaisonnement olfactivement. Il avait également une oreille de dingue : il écoutait les cuissons et rectifiait à distance si besoin. »

Sa rigueur vient bien sûr de sa formation originale en pâtisserie, qui est une branche de la cuisine française particulièrement stricte. Il expliquait ainsi lui-même :

« Lorsque vous avez été pâtissier, vous regardez les choses avec un autre oeil. Vos gestes dans la cuisine ne sont pas les mêmes. Il faut faire preuve d’encore plus de précision. Le travail [de pâtisserie] n’est que formule et technique pure. Et ces qualités vous aident plus tard, lorsque vous arrosez un poulet en train de rôtir, quand vous déglacez un plat ou troussez une volaille. »

Joël Robuchon a été formé à l’école des Compagnons du tour de France des Devoirs unis, c’est-à-dire dans un style tout à fait traditionnel, puis a été Meilleur ouvrier de France en 1976. Rapidement, il a décroché deux étoiles au guide Michelin, puis une troisième, la plus haute distinction, en 1984.

Bien que classique, son approche se voulait néanmoins moderne, et donc tournée vers le business. En 1990, il était sacré « meilleur cuisinier du siècle » par le guide Gault & Millau, représentant du courant moderniste de la « Nouvelle cuisine », issue des années 1970

     Lire également > Joël Robuchon a-t-il révolutionné la gastronomie française ?

Après avoir pris sa retraite de chef cuisinier en 1996, à 51 ans, il a développé à travers le monde tout une série de restaurants se voulant à la fois classiques à la française et modernes de manière cosmopolite.

Dans son édition d’aujourd’hui, le journal de droite Le Figaro, qui apprécie largement la démarche du chef, explique :

« Lassé de la haute gastronomie, des plats hyper techniques et des multiples contraintes d’un quotidien harassant, il se ressource et découvre une autre culture, un autre mode de vie. Cela lui inspirera le concept de l’Atelier, qu’il dupliquera partout dans le monde quelques années plus tard, oubliant son désir de retraite oisive. »

Ensuite, il a multiplié les concepts avec des dizaines d’établissements, à Paris, Bordeaux, Tokyo, Hongkong, New York, Bangkok, Las Vegas, Londres, Macao, ou encore Shanghai.

En homme d’affaire aguerri, il n’avait pas la gestion de ces lieux. Il les supervisait simplement, parfois à bord d’une Rolls-Royce mise à disposition, après avoir élaboré la carte et choisi les équipes. Il percevait en échange une redevance, à la manière d’une franchise ou de droits d’auteurs.

Ses contrats de licence et ses marques étaient partagées avec un fonds d’investissement luxembourgeois. Ce parfait capitaliste a très tôt goûté au monde des affaires en s’associant au groupe Fleury Michon dès 1987, puis à la marque Reflets de France de Carrefour en 1996.

Le grand public le connaît surtout pour l’image du chef traditionnel et quelque peu ringard qu’il a su façonner à la télévision. Durant neufs saisons, de 2000 à 2009, tous les midis en semaine, il a conclu chaque épisode de son émission de la même manière : Au revoir, et bon appétit bien sûr !

Pendant 4 min, il expliquait succinctement une recette dite traditionnelle, sans que cela ne soit réellement transposable dans sa cuisine pour le quidam, malgré les prétentions populaires de l’émission.

Ce qui semble avoir le plus marqué les esprits est l’épisode dans lequel il «révèle» comme cadeau de fin d’année le « secret » de sa purée de pomme de terre, particulièrement appréciée dans ses restaurants.

Cela est très cocasse pour celui qui est censé être le chantre de la gastronomie française, car il ne s’agit nullement d’une recette raffinée mais plutôt d’un goût très grossier, permis par une quantité immense de beurre. Il ne conseillait pas moins que 250 g de beurre pour 1 000 g de pomme de terre ! Et cela sans compter les « 20 à 30 centilitres de lait entier » à ajouter.


Cette émission d’un populisme outrancier résume bien la carrière de Joël Robuchon. Sa démarche n’était pas démocratique, mais tournée vers l’enrichissement personnel.

La grande cuisine française a forcément une valeur autre que symbolique, et Joël Robuchon en est certainement un grand représentant, comme l’affirment nombre de spécialistes. Il n’est pas question ici de nier la tradition classique française, avec son raffinement et son art de table issue largement du Versailles de Louis XIV.

Cependant, du point de vue populaire, l’excellence à la française n’est qu’une fiction inaccessible. Elle n’a d’utilité, en matière de gastronomie, que comme faire-valoir pour l’agro-industrie et les entrepreneurs capitalistes du « terroir », eux-mêmes liés à cette agro-industrie et à la grande distribution.

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Réflexions

Un manque de suite dans les idées dans le métro parisien

Les Français manquent de suite dans les idées : c’est un constat simple, mais qui semble si vrai dans les petits détails. La dernière fois, à Paris, sur une de ces lignes du centre-ville, une femme encore jeune, habillée de manière si ce n’est cossue au moins chic, s’aperçoit qu’elle devrait descendre.

Elle le fait tardivement ; elle avance, elle recule, elle tergiverse, elle ajourne son élan,

Enfin, la sonnerie retentit, les portes se ferment ou quasiment et elle, consciente de cela, passe tout de même ou du moins, tente seulement bien sûr de passer, pour s’encastrer dans les battants se fermant. Tout cela devant les yeux de contrôleurs présents juste à côté d’elle.

Un abîme de perplexité sur le visage de ceux-ci. Une attitude humaine, avec cet air gêné, qui veut éviter la moquerie mais s’aperçoit du caractère pittoresque de la scène, presque burlesque même avec les mimiques de la femme.

Puis, il y a les réactions. « La sonnerie a retenti » dit l’un, alors que l’autre a écarté les portes pour l’aider à s’extraire. La femme descend, titube en faisant quelques pas en ayant l’air de dire qu’en fait elle n’aurait pas dû descendre. Elle fait mine de remonter, alors que la sonnerie retentit de nouveau ; elle fit finalement un geste de la main qui semble vouloir dire : « tant pis ! ».

Faut-il ici se demander si dans un pays du Nord, plus policé dans ses mœurs, les contrôleurs l’eurent vertement enguirlandé, ou bien si la femme en question n’eut pas l’idée d’une telle aberration ? C’est que les Français n’ont pas de suite dans les idées. Adeptes de l’immédiatisme, ils se précipitent. Si je le pense, c’est que je le suis !

C’est comme, une chose unique à voir quand on y pense, ces Parisiens commençant à courir dans le métro, alors que la sonnerie du métro retentit et qu’ils sont loin : en haut d’un escalier, voire dans un couloir, à trente mètres, où la dite sonnerie résonne.

On se dit alors : c’est trop tard, on l’a raté. Mais comme il n’y a pas de suite dans les idées, c’est la fuite en avant. Ou bien est-ce un manque d’esprit d’à propos ?

Autre fait, plus grave, plus écœurant aussi : cette manière de laver, ou plus précisément de ne pas laver les barres métalliques plantées dans les rames de métro et servant à se tenir. Avez-vous déjà assisté à un lavage d’une de ces barres ? C’est très français.

Arrive en effet un pauvre hère, mal payé, qui très visiblement vit mal son travail. Il prend une sorte de chiffon d’une couleur indescriptible, voire non identifiable. Il le fait passer sur la barre de bas en haut. Aucun produit n’a été utilisé pour rendre utile la démarche.

Puis, il passe à la barre métallique se situant juste à côté de la première, à une cinquantaine de centimètres peut-être. Il conserve le même chiffon, faisant exactement les mêmes mouvements, avec toujours comme l’âme paralysée, l’esprit ankylosé.

Il faut se figurer ce que cela signifie. Le chiffon sale se voit ajouté de la saleté, servant de grand intermédiaire de la saleté se projetant de barre en barre, acquérant la propriété quasi magique de projeter son contenu de part en part, participant à l’essaim des saletés s’éparpillant de manière exponentielle dans toutes les rames !

Serait-ce là une allégorie de cette léthargie qui se répand, se propage, s’empare des Parisiens, les endormant au point qu’ils ne voient plus le rythme oppressant, l’aliénation sous-jacente à la « vie » dans une grande ville ? Qui les prive de cette suite dans les idées qui, après tout, est tout de même la base de toute orientation correcte dans la réalité ?

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Le pragmatisme froid de l’équipe de France

La France est normalement un pays de panache, privilégiant le style à l’efficacité. La frilosité imposée par Didier Deschamps a été insupportable pour de nombreux commentateurs et supporters pendant la Coupe du Monde.

Si la Coupe du Monde se matérialise par des étoiles sur les maillots des nations victorieuses, c’est peut-être parce que le public aime voir les équipes briller. De ce point de vue, la prestation de l’équipe de France a généré beaucoup de frustration chez les amateurs de football.

Impossible de ne pas remarquer que la France n’a pas été la plus forte. Quand elle a asphyxié la Belgique, ce n’était pas par son jeu, mais en refusant le jeu, comme face au Danemark – match qui d’ailleurs avait été vécu comme un petit traumatisme tellement il ne s’était rien passé.

En ce qui concerne la finale, les chiffres sont éloquents : deux buts en première période malgré zéro tirs et un nombre incroyable de ballons perdus, seulement 68 % de passes réussies sur l’ensemble du match et moins de 35% de possession. Au vu de sa prestation bien meilleure, la logique aurait voulu que la Croatie l’emporte.

Bien sûr, la France n’a été menée au score que 9 min sur l’ensemble du tournoi (face à l’Argentine), mais elle n’a que trop rarement donné l’impression de dominer son sujet. Mis à part quelques exploits individuels, et pas mal de chance, les “bleus” ont surtout pris soin de ne jamais prendre de risque, cherchant à contrer l’adversaire de manière opportuniste. Il n’y a pas eu de réelles phases de construction, d’intelligence collective. Il s’agissait surtout de miser sur les erreurs de l’adversaire.

Cela est totalement assumé. Face aux critiques, le sélectionneur répond :

« Mon boulot c’est de gagner des matches» car « le résultat change tout. Et seul le résultat peut dire si je me trompe ou pas, si j’ai raison ou pas.»

C’est un pragmatisme froid, cynique. Et on se demande alors qu’elle a sa définition du sport, voir même du football. Car, ce qu’aime le public, ce qu’aiment les amateurs de football, c’est le jeu, et précisément le beau-jeu qui fait gagner, pour être champions du monde en proposant le meilleur football du monde.

Mais avec un raisonnement comme celui de Didier Deschamps, le football n’est plus qu’un outil pour satisfaire les orgueils nationaux. Car c’est une chose de soutenir son pays, puisque sur le plan personnel cela nous renvoie à un héritage, des traditions, un quotidien, mais cela en est une autre de vouloir écraser les autres à tout prix.

Le football est un jeu et ce qui devrait compter est le jeu. Tel ne fut pas le cas, et c’est ouvertement assumé aussi par exemple par Raphaël Varane dans une interview à l’Équipe :

“Nous on n’était pas venus pour jouer, on était là pour gagner, pour détruire l’adversaire. On sait qu’on n’a pas fait le plus beau jeu du tournoi. […] On était l’équipe la plus glaçante, oui, c’est ça, on était glaçants. On était des tueurs à sang froid. Quand je vois la finale contre la Croatie, c’est ça.”

Ces propos font froid dans le dos. Il n’est pas étonnant que Raphaël Varane soit défenseur titulaire du Real de Madrid, dont le pragmatisme s’opposent historiquement à la tradition de beau jeu et d’intelligence collective du FC Barcelone. Il a d’ailleurs évolué dans l’ombre de Sergio Ramos, qui est une caricature de cynisme et de pragmatisme dans le football moderne.

> Lire notre article : Le “football moderne” ne sanctionne pas Sergio Ramos pour son agression sur Mohamed Salah

Le discours de Varane n’est pas anodin. Il relève d’une idéologie de la concurrence capitaliste, de guerrier prêt à tout pour servir les dirigeants de son pays, mais pas de l’esprit du sport, ni d’un état d’esprit populaire.

L’équipe de France a beaucoup d’influence sur les jeunes ainsi que dans les centres de formation. Cela a très bien été remarqué par le joueurs français Hatem Ben Arfa, qui explique de manière intéressante dans une chronique à France Football :

“Pour moi, ce serait dangereux de se cacher derrière cette deuxième étoile pour faire du jeu des Bleus une référence mondiale. On ne va pas se le cacher : le style et l’identité ultraréalistes des Français sont assez moches. Et je n’ai pas envie que ce style-là devienne désormais la norme dans les centres de formation ou les clubs, puisque l’on a souvent l’habitude d’essayer de copier le nouveau champion du monde.

Je ne peux pas non plus me résoudre à gagner ainsi avec des talents aussi inventifs que Griezmann, Fekir, Mbappé ou Dembélé. Je pense que c’est du gâchis. Vu nos forces, on pourrait être beaucoup plus audacieux, moins caméléons. Pour connaître certains Bleus, je sais qu’ils ne se fichent pas de la manière et qu’ils n’auraient rien contre une évolution du jeu proposé.”

On pourrait arguer que Ben Arfa est un idéaliste, naïf face aux enjeux du football moderne. D’autant plus qu’il dit que Didier Deschamps devrait partir et que :

« Ce serait ensuite à son successeur de profiter du potentiel technique et de “libérer” les talents pour avoir une identité de beau jeu à la française, comme les Brésiliens en ont une. Et pour qu’on ne prenne pas du plaisir que dans les résultats. »

Cependant, l’intelligence et le bon sens sont en faveur d’Hatem Ben Arfa. Ce qui devrait primer, c’est le jeu, la beauté et le plaisir du jeu. Le football est un sport, ce n’est que du sport. La victoire n’est pas tout, ce n’est qu’un but, une motivation ; la défaite ne doit pas être insupportable. L’équipe de France n’a pas à être une start-up destinée à satisfaire le nationalisme et l’idéologie libérale-pragmatique d’un Emmanuel Macron.

Hatem Ben Arfa touche à un point essentiel quand il parle d’identité française. Car ce qui ressort de tout cela, en somme, c’est l’absence de caractère français au jeu de l’équipe de France.

On peut même dire que cette équipe n’avait pas d’identité du tout. Là encore, c’est très bien résumé et assumé par Raphaël Varane :

« C’est quoi le niveau international ? Quand est-ce que tu attaques, quand est-ce que tu défends, quand est-ce que tu laisses le ballon à l’adversaire… On regarde l’adversaire, et, après, on voit comment on peut jouer, nous. »

Il est intéressant de noter que ce discours s’oppose directement à celui de Bixente Lizarazu à propos de l’équipe de France 1998. Pour lui l’équipe avait une identité propre :

« Nous imprimions notre rythme et notre style, quel que soit l’adversaire, avec une base défensive très forte et une grosse agressivité dans les duels qui nous permettaient d’user nos adversaires avant que nos talents offensifs finissent le job.»

De nombreux commentateurs et amateurs du Football ont remarqué cela et le regrettent. Si les gens étaient contents de pouvoir faire la fête, on ne peut pas se satisfaire d’une telle victoire dans la manière. Car, en France, il y a l’art et la manière, comme le dit l’expression (qui est difficilement traduisible dans d’autres langues).

 

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Culture

La nouvelle scène électro-pop à la française (la “french touch”)

Il existe depuis quelques années toute une vague électro-pop qui s’affirme avec une touche très française. Cette scène est d’une grande fraîcheur et propose une musique de qualité. Voici une sélection de morceaux récents (2016 à 2018) sous la forme d’une playlist multisupport.

Cette « french-touch” ne consiste pas seulement en des paroles en français. Il y a un ton léger et mélodique très spécifique avec des voix délicates et sophistiquées. Cela relève d’une certaine façon d’appréhender la vie, d’un « art de vivre » à la française, très ouvert sur le monde.

Notre sélection, qui est volontairement orientée sur une thématique estivale, illustre tout à fait ce propos.

La voix est comme murmurée

Un titre comme Vacances de L’impératrice transporte complètement l’auditeur. On se croirait plongé dans une affiche de la grande époque d’Air-France. La voix qui est comme murmurée, précieuse, est là pour préciser le style. Ce n’est pas à proprement parler du luxe, qui serait quelque chose de bourgeois seulement, mais plutôt de la sophistication, du raffinement.

Hier à Paris, avec vous ❤️

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Dans la forme, cela a été tout à fait compris et exprimé par le groupe Poom (qui introduit la sélection avec le morceau Adagio) :

«On ne chante jamais fort, car en français, les voix doivent être calmes, reposées, et un peu détachées, entre la parole et le murmure, pour que la mélodie et le texte aient toute leur place».

Cette insistance sur la mélodie, sous forme de boucles langoureuses, est caractéristique de la “french touch” dans la scène électro au sens large. La spécificité de l’électro-pop à la française est donc le chant.

Élaborer une ambiance

On a systématiquement une tonalité aérienne avec des mélodies élaborées mais qui ne s’égarent pas dans les frasques de l’électro. Le chant a donc toute sa place pour raconter une histoire, ou plutôt élaborer une ambiance.

Le titre Garde Le Pour Toi de Paradis est ici très parlant. Le chant n’arrive que tardivement, mais il est indispensable pour mettre en valeur de manière encore plus aboutie l’ambiance qui est posée par le morceau.

Les groupes relevants de cette scène électro-pop à la française sont en général très branchés, très tendances. Les sonorités sont conformes à ce qui fait actuellement en matière de musique électronique avec des sonorités “synthé”, comme ce qui s’est fait avec le style synth-wave ces dernières années.

Un véritable héritage

L’inspiration est ici clairement celle des années 1980, voire 1990, ce qui est d’ailleurs à la mode de manière générale dans la jeunesse (vêtements, design, séries, jeux-vidéo, etc.) La filiation n’est pas qu’esthétique : il y a un véritable héritage par rapport à la pop française de ces années 1980, voire 1990.

Le groupe The Pirouettes, avec ici le titre Baisers volés, est peut-être celui qui exprime le plus cela. On y reconnaît clairement du France Galle, du Daniel Balavoine, du Michel Berger, du Gilles Simon, etc.

Cependant, cette “french touch” est très aboutie musicalement, et bien plus proche de la scène électro que de la variété, comme a pu l’être la pop française des années 1980, 1990. Mis à part un titre comme Il fait chaud de Corinne, qui est très « variété » pour le coup, on peut dire que musicalement il y a quelque chose de supérieure, une synthèse qui a abouti à quelque chose de meilleurs que la pop française originale bien plus simpliste.

D’une certaine manière, un album comme Histoire de Melody Neslon de Serge Gainsbourg correspond bien plus à cette scène en termes de qualité et de style. On y retrouve la même tonalité dans le chant, avec des boucles mélodiques de qualité, sophistiquées et pas simplement racoleuses ou édulcorées.

Le groupe allemand Kraftwerk avait tenté de manière brillante quelque chose de similaire en 1983 avec Tour de France. C’est de l’électro travaillée et chantée en français, parlant de quelque chose de français. Seulement, musicalement cela est très froid et il n’y a pas cette capacité à raconter une histoire pour restituer une ambiance française.

Un nouvel élan

L’électro-pop à la française propose donc quelque chose d’assez brillant culturellement. Cela est possible car c’est de la musique moderne mais ayant un héritage.

Cette vague du français dans l’électro-pop est très puissante. Un groupe comme Elephanz qui normalement ne propose que du chant en anglais a déjà cédé à cette vague en faisant chanter en français sur son titre phare, Maryland, que nous proposons pour conclure notre sélection musicale.

Cela était inconcevable il y a encore quelques années pour des groupes électro, ou alors de manière anecdotique. La « french-touch » apporte une grande fraîcheur dans un panorama musical bien trop standardisé et cosmopolite. Elle affirme le style français, l’art de vivre à la française, comme contribution française à la communauté mondiale.