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Vers la guerre: le coup d’État pro-Islam et pro-Russie au Mali

Le coup d’État militaire au Mali s’appuie sur une mobilisation islamiste pour mettre en place un régime pro-Russie. On est dans la redistribution des cartes dans le cadre de la compétition entre grandes puissances.

L’ultra-gauche française a vivement salué les rassemblements de masse contre Ibrahim Boubacar Keïta, le président du Mali, notamment en raison du fait qu’ils ont été accompagnés de slogans hostiles à la présence française. Il faut pour cela une grande naïveté, car c’était évidemment une mise en scène, avec une démagogie absolument typique de tels pays.

Ce qu’il y avait derrière, c’est le mouvement de l’islamiste Mahmoud Dicko, un imam qui a annoncé qu’il retournait à la mosquée à la suite de la victoire du coup d’État militaire du 20 août 2020. Le président sortant était lui-même issu d’un coup d’État en 2012.

Mahmoud Dicko est un salafiste ; formé en Arabie Saoudite, il est désormais considéré comme lié au Qatar. Le coup d’État militaire a été rendu possible grâce au passage du mouvement islamiste de Mahmoud Dicko, le Coordination des mouvements, associations et sympathisants, dans le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des Forces Patriotiques, lançant la contestation à la fin juin 2020.

Il représente les forces néo-féodales du Mali, un pays de vingt millions d’habitants qui était avant 1991 dans l’orbite soviétique et française, pour ne plus devenir que française. Mais l’on sait que la France a du mal à maintenir son pré carré. La situation est d’autant plus instable que ce pays misérable, avec 4 des 20 millions de Maliens travaillant à l’étranger, a été construit artificiellement par le colonialisme.

Il y a une quinzaine d’ethnies en concurrence, le pays a été initialement membre de la Fédération du Mali avec le Sénégal, il y a eu une grande rébellion touareg et islamiste au début des années 2010, avec en conséquence notamment l’Opération Serval puis Barkhane de l’Armée française dans la région, avec en plus du Mali le Burkina Faso, la Mauritanie, le Niger et le Tchad.

> Lire également : Opération Barkhane: l’armée française s’enlise, Emmanuel Macron exige le soutien africain

Le nouveau régime s’est d’ailleurs empressé de dire qu’il n’avait rien contre la présence militaire française. Pourquoi alors cette révolution de palais ? Il y a deux principales raisons.

La première, c’est la dimension internationale. L’opération Barkhane implique des forces françaises, mais également dans une bien moindre mesure américaine, canadienne, britannique, allemande, estonienne, danoise, tchèque. Mahmoud Dicko est lié au Qatar.

Le chef du coup d’État militaire, le colonel Assimi Goïta, a été formé par la France, l’Allemagne, les États-Unis. Le colonel Malick Diaw, organisateur du coup d’État, et le colonel Sadio Camara, l’instigateur de celui-ci, ne sont revenus au Mali qu’une semaine avant le coup d’État : ils étaient en Russie depuis le début de l’année, pour une formation militaire dans les institutions militaires à Moscou !

Et le premier ambassadeur reçu par les putschistes, organisés en Comité national pour le salut du peuple, a été… l’ambassadeur russe. On notera que des accords de défense avec la Russie ont déjà été signés par les pays voisins : le Burkina Faso, la Mauritanie, le Niger, le Tchad. Avec le Mali ces pays forment le G5 Sahel ; avec le coup d’État, la boucle est bouclée. On l’aura compris, on se situe dans le cadre d’un repartage du monde amplifié par la crise mondiale ouverte en 2020.

La seconde raison de ce coup d’État militaire, c’est que le régime malien est à bout de souffle. Il est clairement inféodé à la France, corrompu et sans aucune perspective alors que le pays est une poudrière depuis quelques années. La sortie de la crise au moyen de l’Islam pour « unifier » le pays sur une nouvelle base est l’espoir entretenu à l’arrière-plan de cette révolution de palais.

Y a-t-il ici une alliance franco-russe, ou bien la Russie a-t-elle pris le dessus ? Dans tous les cas, ce sont les gens du peuple au Mali qui vont en payer le prix et dans tous les cas on a une accélération du militarisme et des tensions menant à la guerre.

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Politique

La démagogie «postcoloniale» d’Emmanuel Macron en Afrique de l’Ouest

Emmanuel Macron était en Côte d’Ivoire ce week-end. Il y a parlé de colonialisme comme étant une erreur et a annoncé la fin du Franc CFA… Mais ce qui intéresse surtout le Président français, c’est de parler « réconciliation » avec les chefs d’État d’Afrique de l’Ouest, afin de pérenniser les intérêts français dans la région malgré les contestations.

Dans un discours prononcé à Abidjan, Emmanuel Macron a parlé de colonialisme en disant que ce fut une « faute de la République ». Il en a fait des caisses, parlant de « vestige douloureux », de «faute morale», comme ce qu’il avait déjà fait en 2017 en Algérie en parlant de « crime contre l’humanité ».

On oublie tout et on ouvre une nouvelle page, une « nouvelle histoire commune » : voilà l’idée qu’a voulu faire passer celui qui se présente comme n’appartenant pas « à une génération qui a connu le colonialisme » (sous entendu, le colonialisme serait un problème résolu depuis longtemps).

Pour Emmanuel Macron le libéral, il est hors de question d’assumer que le colonialisme fait partie de tout un processus historique, avec de nombreux aspects, ayant emmené des nations comme la France où le capitalisme se développait, à coloniser des pans entiers de la planète.

On devrait se contenter de croire que la colonisation relèverait simplement d’un « choix », qui aurait été mauvais ; il ne s’agirait plus aujourd’hui que de faire un autre choix, tout simplement.

Toute personne ayant une véritable conscience de gauche ne croit évidemment pas en cette fable des « mauvais choix », qui relève du subjectivisme le plus décadent. Ce qui est vrai, c’est qu’il y a eu et qu’il y a encore le développement du capitalisme et que ce développement est inégal à travers le monde. Cela a conduit et conduit encore les plus puissants à maintenir la tête sous l’eau des moins développés, directement ou non.

Toute personne s’intéressant à l’Afrique sait très bien que ce continent a la tête maintenue sous l’eau par les grandes puissances, dont la France, qui empêchent son véritable développement, sa véritable éclosion. Les masses populaires africaines, et celles liées à l’Afrique de part leur histoire familiale, le savent elles-mêmes plus que n’importe qui d’autre.

L’immigration est d’ailleurs une des plus terribles manifestations de cela. Bien après les pseudo indépendances dans les années 1960, des pays comme la France ont procédé à un véritable pillage de forces vives africaines avec l’immigration, processus qui existe encore largement aujourd’hui.

Parallèlement à cela, une partie significative des élites africaines est pieds et poings liés aux grandes puissances comme la France. Le Président de la Côte d’Ivoire Alassane Ouattara, qui accueillait Emmanuel Macron et son discours de « réconciliation », est ainsi bien plus proche de la haute bourgeoisie française que du peuple ivoirien. Il a d’abord été marié à une Américaine, puisqu’il a étudié dans une grande université américaine avant d’entrer au FMI, puis s’est marié à une Française, qu’il a épousée à la mairie du très bourgeois XVIe arrondissement de Paris en 1991.

Ce qui intéresse c’est gens aujourd’hui, c’est la possibilité de faire du business. Alors il faut s’adapter. Le Franc CFA par exemple, qui signifie historiquement Franc des colonies françaises d’Afrique, est trop ouvertement lié à ce passé, alors il faut s’en débarrasser. Il n’ont d’ailleurs pas vraiment le choix, car les critiques sont nombreuses en Afrique de l’Ouest, alors que dans le même temps d’autres puissances comme la Chine y étendent leur influence.

Emmanuel Macron a donc annoncé :

« C’est en entendant votre jeunesse que j’ai voulu engager cette réforme. Le Franc CFA cristallise de nombreuses critiques et de nombreux débats sur la France en Afrique. J’ai entendu les critiques, je vois votre jeunesse qui nous reproche de continuer une relation qu’elle juge postcoloniale. Donc rompons les amarres ».

Il faut dire également que la France, cette grande puissance en déclin, n’a plus les moyen de son passé : le Franc CFA coûtait relativement cher à la Banque de France, ou en tous cas présentait un risque et obligeait à certaines responsabilités. Il va donc disparaître, au profit de l’« Éco », dont on ne sait cependant pas encore vraiment quand il existera.

La France perd une partie de son influence, ce qui était probablement inévitable, tout en gagnant un peu de souplesse par ailleurs. En organisant elle-même ce retrait, elle s’assure que cela se passe de manière le plus conforme possibles à ses intérêts, et pas à ceux d’une puissance concurrente comme la Chine, que le Président français a ouvertement critiqué.

La nouvelle monnaie, concernant le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, la Guinée-Bissau, le Mali, le Niger, le Sénégal et le Togo, restera cependant indexé sur l’Euro et la France restera liée par accord pour délivrer des devises en Euros en cas de besoin.

Cette nouvelle monnaie doit donc servir de nouvelle base pour écrire « une nouvelle histoire commune », « décomplexée », dont il faut espérer selon le lyrique Emmanuel Macron, qu’elle devienne une « relation passionnée ».

Pour commencer cette nouvelle histoire « postcoloniale », Emmanuel Macron est donc venu passer Noël avec ses troupes militaires installées dans le pays, ce qui a été salué par le quotidien ivoirien Fraternité matin de la plus belle des manières :

« A cinq jours de la naissance de l’Emmanuel de la Bible, le président français porte bien son nom, Emmanuel Macron a apporté la douceur de la gaieté à ses troupes, loin des théâtres âpres de guerre »

Le Président français s’est également rendu à Bouaké, deuxième ville du pays, pour inaugurer les travaux du plus grand marché couvert d’Afrique de l’Ouest, devant rassembler 8 500 commerçants sur près de 9 hectares. C’est la France qui finance les 60 millions d’euros de travaux, mais ce n’est pas du « colonialisme ». C’est simplement un partenariat « décomplexé », évidemment.

C’est également sans complexe qu’il a signé des accords bilatéraux concernant notamment le chantier du métro d’Abidjan, parce que dit-il :

« je souhaite que les entreprises françaises restent des acteurs majeurs de cette croissance. Des acteurs heureux et harmonieux. »