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Société

Diego Maradona, le cerf-volant cosmique

Diego Maradona a été une icône, atteignant un symbolisme religieux porteur des espoirs et des faiblesses populaires. Tout sauf un saint, et pourtant un saint dont l’absence est considérée comme insoutenable pour ceux qui l’ont vu religieusement.

Diego Maradona, décédé le 25 novembre 2020, a fait rêvé et c’est pour cela que sa mort est marquante. En quoi consiste ce rêve ? Pour le comprendre, il faut se tourner vers le football sud-américain, en particulier celui d’Argentine et du Brésil. Il y a une dimension populaire dans le football, dans ces pays, avec une pratique à la fois très large et quotidienne, faisant qu’il y a un côté artistique, profondément joueur, avec beaucoup de talent.

Diego Maradona a incarné cela, à travers qui plus est une personnalité fantasque, et il est un jour qui le consacra : le 22 juin 1986. C’est un jour mythique dans le football. Le cadre, c’est la coupe du monde de football au Mexique, avec le match Angleterre-Argentine, devant 115 000 personnes. Diego Maradona réalisa deux choses : une véritable sarabande footballistique d’une part, une escroquerie esthétisée de l’autre.

Voici la sarabande, Diego Maradona partant du milieu de terrain pour dribbler de multiples joueurs anglais, avant de marquer.

 Voici la traduction de ce que raconte le commentateur sportif argentin Victor Hugo Morales lors de l’action, reflétant l’impression des Argentins :

« Un génie, un génie, un génie, Gooooool… Je veux pleurer. Dieu Saint, vive le football! Golaaazooo! Diegoooool! Maradona, lors d’une action mémorable, la plus belle action de tous les temps… Un cerf-volant cosmique… De quelle planète viens-tu pour laisser sur ton chemin autant d’Anglais… Merci Dieu, pour le football, pour Maradona, pour ces larmes. »

Il y a ici un côté irrationnel tout à fait propre au culte du football en Amérique latine. Cela s’associe à un côté très pragmatique : il faut gagner à tout prix. Et justement Diego Maradona avait marqué juste avant en trichant. Son but quatre minutes avant a été marqué en effet de la main ; il dira par la suite, ce qui renforcera sa légende, qu’il a marqué le but…

« avec la tête de Maradona et un peu avec la main de Dieu.

Le tout est particulièrement renforcé également de par la petite taille de Diego Maradona (1 mètre 66), lui donnant l’image d’un petit gros de 70 kilos parvenant miraculeusement à jongler pour sauver la mise. Il faut bien entendu ajouter qu’on est au début de la télévision véritablement de masse.

La question reste bien entendu de savoir dans quelle mesure le but du siècle aurait eu tellement de valeur s’il n’y avait pas eu, quelques minutes auparavant, l’escroquerie du but de la main. On a ici une idéologie du génie assumant d’être criminel, avec un côté malsain ; Diego Maradona jouera particulièrement là-dessus, pusqu’il avait rejoint en 1984 le club de Naples.

Le club de football de cette ville magnifique (Voir Naples et mourir, dit-on) était alors de seconde zone et Diego Maradona le fit incroyablement progresser. Mais le club dépendait bien entendu de la mafia, omniprésente dans la ville, Diego Maradona basculant lui-même dans la drogue (jusqu’à être accusé de relever de l’organisation du trafic), l’alcoolisme, assumant un mode de vie de grand bourgeois décadent (utilisation de la prostitution, grosses voitures, etc.), cumulant les problèmes de santé et ne réussissant plus rien du tout par la suite. Il obtint ainsi l’image d’un ange déchu tout en se revendiquant révolutionnaire en soutenant ouvertement Cuba et Fidel Castro, le Venezuela, etc.

Dans un documentaire sur lui du réalisateur Emir Kusturica (forcément fasciné par le côté frénétique de ce footballeur), Diego Maradona chante une chanson sur lui-même où il raconte qu’il vient des faubourgs, que Dieu a voulu qu’il ait survécu et réussi à faire face à l’adversité, qu’il forma sa technique du pied gauche sur un terrain vague, qu’il a apporté l’allégresse au peuple… qu’il est curieux que Jésus ait trébuché, car lui jamais!

Il y a ainsi un côté fantasmatique et on pouvait plaquer sur Diego Maradona tout et n’importe quoi. C’est un Saint pour le groupe français très latino la Mano Negra, la figure du drogué tricheur avec des prostituées pour le groupe anglais Business (pour qui évidemment on ne plaisante pas avec le football, Gary Southgate en faisant les frais pour son penalty raté avec un classique du punk oï anglais).

Cette ironie mordante, cette prétention baroque, ce talent fragile, cette réalité si populaire ne pouvait que faire vibrer, malgré et à cause de son ambiguïté fondamentale, pour ne pas dire la corruption totale et un véritable gâchis humain. Maradona, c’est ainsi toute une époque de la vie populaire de la fin du 20e siècle, avec une valorisation de l’authentique mais une fascination étrange voire morbide pour celui qui s’en sort quitte à être amoral. La mort de Maradona a de ce fait nécessairement fait pleurer des gens ne s’intéressant pas à la carrière de Maradona, ni même vraiment au football. C’est dire l’ampleur de la question Maradona, qui est tout simplement de nature religieuse.

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Culture

«Acts of rebellion» d’Ela Minus, punk du futur

Ela Minus est une artiste colombienne vivant aux États-Unis depuis une dizaine d’années. Elle réalise avec « Acts of rebellion » un album électro-pop (analogique) très marquant, grâce à un esprit néo-punk particulièrement novateur et une touche très en phase avec les tourments de la société américaine (et sud-américaine).

Avec le somptueux « They told us it was hard, but they were wrong » (Ils nous ont dit que c’était dur, mais ils avaient tort), Ela Minus avait marqué le printemps 2020 sur un mode électro-pop atmosphérique très envoûtant.

Son album « Acts of rebellion » sorti le 23 octobre 2020 est largement à la hauteur des attentes, avec 10 titres d’une grande qualité très cohérents dans leur enchaînement. On y trouve notamment « El cielo no es de nadie » (le ciel n’est à personne), un morceau indiscutablement techno, mais dans un style soft et pop aussi novateur que réussi. Elle le présente comme « un appel pour nous tous à chercher et à donner le vrai amour. »

Le titre « Dominique », dont le clip a été dévoilé quelques jours avant l’album, est peut-être celui sur lequel l’artiste native de Bogotá imprime le plus franchement sa touche.

C’est toutefois par le morceau « Megapunk » que l’album acquiert toute sa dimension et prend tout son sens. Le clip, sur le mode collage punk version 2020, illustre parfaitement le « you won’t make us stop » (ils ne nous feront jamais stopper) asséné tout au long du morceau comme un slogan ! Elle explique d’ailleurs qu’il a été composé pour être un hymne motivant pour que les gens « se mobilisent, s’organisent et défilent », avec à l’esprit l’image d’un groupe de femmes marchant pour le féminisme.

L’album est d’autant plus marquant qu’il est composé et joué tout en analogique, comme sur ce live :

Enfin, on ne sera pas vraiment étonné d’apprendre qu’Ela Minus (Gabriela Jimeno de son vrai nom) vient à l’origine de la scène punk hardcore ; très jeune, elle jouait à la batterie et chantait dans le groupe Ratón Pérez :

>> L’album « Acts of rebellion » d’Ela Minus est sorti sous le label anglais Domino Records. Un concert est prévu à Paris à la Boule Noire le 19 février 2021, mais rien n’est moins sûr vue le contexte sanitaire… 

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Politique

Présidentielles brésiliennes : le succès ultra-réactionnaire de Jair Bolsonaro

Jair Bolsonaro a été élu avec un large succès à la tête de l’État brésilien. Fanatique anticommuniste, chantre de la religiosité, grand nostalgique de la dictature militaire, anti-écologiste primaire, il est un exemple de plus du grand repli nationaliste et militariste de chaque pays dans le monde.

Jair Bolsonaro a été élu ce dimanche de manière tout à fait nette, avec 55,1% des voix, soit 57,8 millions de votes, contre 44,9% soit 47 millions de voix à Fernando Haddad, qui tentait de maintenir en vie le cycle d’hégémonie du Parti des Travailleurs, qui prônait une Gauche engagée mais n’a dans les faits jamais cherché une quelconque rupture, provoquant un désenchantement profond dans la population.

Et permettant donc à quelqu’un comme Jair Bolsonaro de prendre la tête d’un mouvement de défense de la religion, de la famille et de la propriété privée, avec un véritable engouement en sa faveur. Poignardé lors d’un bain de foule durant la campagne présidentielle, il n’en est devenu que davantage la figure quasi christique du sauveur venant rétablir les valeurs originales, essentielles, d’un Brésil totalement idéalisé.

Ce n’est en effet pas un homme fort plaçant l’armée au centre du jeu qui pourra supprimer une violence sociale endémique à une société déséquilibrée socialement et paralysée économiquement, pourri par les grands propriétaires terriens qui sont d’ailleurs les grands soutiens de Jair Bolsonaro.

Un feu d’artifice a été tiré à Rio pour fêter la victoire de Jair Bolsonaro, alors que le lendemain de celle-ci, le lundi, la bourse de São Paulo connaissait un record, avec l’indice boursier Bovespo gagnant 2,4% dès l’ouverture, l’entreprise pétrolière Petrobras 3,6%, le réal prenant 1,4% face au dollar américain. Jair Bolsonaro est considéré comme l’homme adapté à la nouvelle étape.

Député depuis 28 ans, il aura de fait adhéré en tout à neuf partis différents afin de parvenir à se positionner comme l’homme de la situation, le chef autoritaire d’une énième restructuration du pays. Après la tentative d’une modernisation sociale avec le Parti des Travailleurs de Lula (désormais en prison pour corruption), qui entendait faire du Brésil une grande puissance avec l’appui de la population et à travers l’État, cela sera désormais une stratégie plus traditionnelle, par en haut, sans mobilisation de la base du pays.

Naturellement, Donald Trump s’est réjoui de cette victoire de Jair Bolsonaro et annonce un travail étroit avec lui. Marine Le Pen l’a félicité. Le parti d’Emmanuel Macron, qui est lui modernisateur – libéral, en fait par contre une cible. Une manière de résumer le monde à un affrontement entre libéraux libertaires et nationalistes ultra-réactionnaires.

On voit ainsi encore une fois ce que ne comprennent pas les libéraux. Les médias ont  ainsi largement repris en France les nombreux propos agressifs de Jair Bolsonaro, ses propos odieux sur les femmes notamment, en particulier son « Je ne te violerai pas. Tu ne le mérites même pas »  visant, en décembre 2017, Maria do Rosário, députée du Parti des travailleurs (PT), juste après qu’elle ait rendu hommage aux travaux de la Commission nationale de la vérité sur les crimes commis par la dictature militaire.

Cela est tout à fait inacceptable, mais si Jair Bolsonaro a gagné, c’est surtout parce qu’il a dit qu’un bon bandit est un bandit mort. En cela, il correspond aux attentes d’une population ne pouvant plus vivre dans l’ultra-violence caractérisant le Brésil. Jair Bolsonaro pose le principe d’un Etat de droit, ce qu’une véritable Gauche devrait faire, mais cela signifie accepter le principe de révolution, car seul un nouvel État peut réellement établir l’ordre dans un Brésil corrompu et possédé par les plus riches.

En s’entourant de généraux et en prétendant rétablir un ordre qui en réalité n’a jamais été là, Jair Bolsonaro a mis en place un romantisme capable d’ensorceler une partie majoritaire du pays.

L’avenir du Brésil s’annonce bien sombre et c’est un pays de plus qui tombe dans le giron des partisans du repli nationaliste et du militarisme. Le processus est général et correspond à la mise en place de nouveaux rapports de force, de nouvelles perspectives de guerre, pour le repartage du monde.