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Le député PCF André Chassaigne dans la revue américaine Jacobin

Interviewé par la principale revue de la Gauche américaine, Jacobin, André Chassaigne  du PCF prône le suivisme par rapport aux syndicalistes et aux gilets jaunes. C’est là assumer de nier la primauté de la Politique.

La revue Jacobin est très bien faite, très bien écrite, avec une mise en page aérée, bref c’est une revue de très haute qualité. Elle est américaine, elle est de gauche, donc c’est plutôt sympathique. Le souci c’est que c’est de la Gauche américaine, donc c’est simplement « progressiste », coupé du mouvement ouvrier, et sans les expériences importantes comme on en a fait en Europe. Mais c’est une Gauche qui fait l’effort de se tourner vers le monde ouvrier, ce qui est déjà totalement différent d’en France.

Toutes les limites de la démarche se reflètent à la lecture d’une interview d’André Chassaigne, député du PCF depuis 2002 (traduite en français ici). En effet, cela n’a aucun sens de demander quelque chose au sujet de la lutte contre la réforme des retraites à quelqu’un relevant de la Gauche politique. Car la Gauche politique n’a pas été présente dans cette lutte. Bien entendu, il y a des gens de gauche qui se sont mobilisés. Mais sur le plan de l’initiative, des idées, de la culture, des mentalités, il n’y aucune dimension politique. C’est une lutte syndicaliste de bout en bout.

Jacobin le sait d’ailleurs et explique son intérêt par la défense du « modèle social français ». Et, naturellement, le député André Chassaigne est ravi de pouvoir répandre ce qui est son propre discours également, consistant précisément en un « système social français » qui serait né en 1945 et qu’il faudrait défendre contre le libéralisme. Sauf que ce faisant, il oublie que c’est le capitalisme lui-même qui a développé l’État-providence, notamment par l’intermédiaire d’une social-démocratie abandonnant toute référence au Socialisme.

Le « modèle social français » est tout autant suédois, autrichien que belge. Parce que cela a été une tendance irrépressible du capitalisme lui-même. Ayant suffisamment grandi, devant de toutes façons lâcher du lest en 1945, il a littéralement intégré la classe ouvrière dans le capitalisme par la consommation de masse et l’institutionnalisation des syndicats. Résumer cela à des « acquis » conquis de haute lutte, alors que le capitalisme était ravi, c’est ne pas voir les faits en face.

D’ailleurs, le capitalisme n’entend nullement supprimer l’État-providence, ce qu’il cherche, c’est à le réorganiser, le pressuriser, le pousser dans tel ou tel sens. Mais tout comme la gratuité de l’école ou pratiquement des études en général en France, il ne va pas démonter des structures totalement en sa faveur, tant sur le plan de l’organisation des gens que des idées inculquées. Le discours misérabiliste prétendant que les gens sont, dans un État capitaliste très puissant, au bord de la misère, est totalement mensonger.

Que révèle précisément ce misérabilisme ? Qu’on est dans la fiction, et André Chassaigne est tout content de pouvoir la vendre à la revue américaine Jacobin, qui ne peut pas deviner qu’il raconte n’importe quoi, comme lorsqu’il dit au sujet des gilets jaunes :

« Il faut le dire, les syndicalistes ont initialement vu le mouvement avec un certain degré de suspicion. Ils ont vu des gens dans la rue alors qu’ils ne manifestaient jamais et se sont dit « mais nous avons déjà manifesté pour ça. »

André Chassaigne ment-il sciemment, ou est-ce de la mauvaise foi ? Car évidemment les syndicalistes ne se sont jamais dit cela, tout simplement parce qu’ils n’ont jamais manifesté contre l’augmentation du prix de l’essence. La vérité est que les syndicalistes n’ont pas réagi en syndicalistes, mais en gens de la Gauche politique dont ils relèvent aussi souvent, et qu’ils ont immédiatement compris que les gilets jaunes était un mouvement plébéien, relevant de ce qu’on appelle le Fascisme.

Et, par incapacité à assumer la Gauche, une partie des syndicalistes a finalement convergé vers ce mouvement rétrograde, ultra-populiste, hostile à la classe ouvrière dans sa nature même, ce que les ouvriers ont très bien compris en n’y participant à aucun moment.

Parler alors comme le fait André Chassaigne d’un rapprochement entre le « mouvement social » et les gilets jaunes, c’est très précisément refuser d’assumer la lutte des classes – lutte des classes n’ayant rien à voir ni avec le mouvement syndicaliste contre la grève des retraites, ni avec les gilets jaunes. D’où justement le suicide anti-politique proposé par André Chassaigne :

« [Question:] Qu’est-ce que votre groupe a prévu de faire à l’Assemblée nationale ces prochaines semaines ?

Nos centres d’activités politiques est d’agir en tant que porte-parole du mouvement social. Au parlement, nous passons en revue les demandes du mouvement social et disons la vérité sur l’ampleur du mouvement — toujours très fort, même si certaines personnes nous font croire le contraire. Dans tout ce que nous disons, nous respectons pleinement les choix pris par le mouvement social. C’est aux syndicats et aux travailleurs de décider dans quelles luttes ils s’engagent et comment ils s’y engagent.

Notre travail implique aussi de collaborer avec d’autres organisations progressistes pour trouver des propositions pour améliorer le système actuel, comme je viens juste de le décrire. Nous devons être bien plus qu’une simple opposition. »

Améliorons le système, mais ne le critiquons pas. Soyons simplement à la remorque des syndicats. C’est là fort bien résumé la position de la Gauche en France, à part peut-être du Parti socialiste initialement, ainsi que de Lutte Ouvrière ou des Maoïstes, de par leur méfiance, voire leur hostilité aux syndicats. Mais il n’est guère compliqué de deviner que jamais la Gauche n’avancera ainsi et que d’ailleurs elle n’a jamais procédé ainsi. Historiquement, la Gauche politique a toujours primé sur le syndicalisme.

En quoi les syndicalistes ou les gilets jaunes défendraient-ils d’ailleurs le « modèle social français », alors que c’est le cadet de leurs soucis ? Il suffit de lire leurs revendications, qui combinent revendications économiques d’une part, dénonciation plébéienne d’Emmanuel Macron de l’autre. Ni les uns ni les autres ne raisonnent en termes politique, ni ne raisonnent tout court d’ailleurs. Et il faudrait pourtant les suivre ?

Jamais la Gauche ne s’en sortira en agissant ainsi. Il faut des idées, il faut de la culture. Les syndicalistes et les gilets jaunes ne veulent ni les idées, ni la culture. Ils sont donc à mettre de côté et n’ont qu’un seul droit, celui de s’incliner devant la Gauche politique. C’est aussi simple que cela.

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Congrès du PCF : le texte de base commune de l’opposition remplace celui de la direction

Les adhérents du PCF avaient jusqu’à hier pour choisir un texte servant de base commune en vue du congrès extraordinaire le moi prochain. En optant pour le texte alternatif « Pour un manifeste du Parti communiste du XXIe siècle » mené par André Chassaigne, ils ont sanctionné la direction de Pierre Laurent et les orientations prises ces dernières années.

André Chassaigne

Le résultat du vote a mis en avant un texte d’opposition qui va dans le sens de la sauvegarde à tout prix du « parti ». Le contexte est celui de la bataille du PCF pour sa survie dans le cadre de la recomposition de la Gauche, et beaucoup considèrent qu’il y a péril en la demeure.

Dans le fond, ce qui y est dit par l’opposition n’est pas très différent de la base commune qui était proposée par la direction. Les divergences concernent surtout des choix stratégiques et politiques.

Le texte de la direction avait déjà été adopté avec difficulté au Conseil National par 49 sur 91 votants et 168 membres, montrant de nombreuses tensions internes. Cette fois, il a été rejeté largement par la base des militants avec seulement 11 461 votes (38%) contre 12 719 voix (42%) pour le principal texte d’opposition.

La proposition alternative « Pour un printemps du communisme », qui représente une minorité favorable à La France Insoumise, a réuni pour sa part 3 607 votes (12%) et celle de la minorité « orthodoxe » intitulé « PCF : Reconstruire le parti de classe », a réunit 2 385 voix (8%).

> Lire également : « Communisme » : le congrès extraordinaire du PCF de novembre 2018

Ce que reproche la base à la direction, c’est surtout d’avoir affaibli le PCF et de risquer sa déliquescence. Le choix de l’alliance avec Jean-Luc Mélenchon dans le cadre du Front Gauche a en effet surtout servi de tremplin à des ambitions personnelles.

L’absence d’un candidat « communiste » au profit de Jean-Luc Mélenchon lors des dernières élections Présidentielles a ensuite été vécue comme un échec terrible par un certain nombre de militants. Le très faible score aux dernières élections législatives (2,72%) n’est ainsi pas tant compris comme un échec sur le plan idéologique mais le résultat de mauvais choix incarnés par Pierre Laurent.

Celui-ci pourrait d’ailleurs démissionner avant même le congrès qui aura lieu fin novembre. Plusieurs fédérations très fortes ont en effet largement voté contre la direction, notamment dans le Pas-de-Calais, qui est la plus importante :

– Le Val de Marne (2343 inscrits) avec 446 votes pour la base commune et 770 pour le « manifeste du XXIe siècle »
– Le Nord (2679 inscrits) avec 307 votes pour la base commune et 1020 pour le « manifeste du XXIe siècle »
– Le Pas-de-Calais (2876 inscrits) avec 51 votes pour la base commune et 1414 pour le « manifeste du XXIe siècle ».

Il faut remarquer par contre que la direction a été très soutenue dans deux fédérations importantes :

– La Seine-Saint-Denis (2096 inscrits) avec 826 votes pour la base commune et 221 pour le « manifeste du XXIe siècle »

– Les Bouches-du-Rhône (2470 inscrits) avec 855 votes pour la base commune et 534 pour le « manifeste du XXIe siècle

Si cette mise en minorité de la direction représente quelque-chose d’important, il serait erroné de considérer pour autant que cela est un immense coup de tonnerre au sein du PCF. Il s’agit surtout d’une expression de la base réclamant des garanties quant à la sauvegarde de la structure et des traditions qu’elle représente, ou qu’elle s’imagine qu’elle représente.

Le texte vainqueur est surtout celui qui est le plus conforme à ce que représente culturellement et traditionnellement le PCF depuis la fin du XXe siècle.

Pour autant, les deux « tendances » ne devraient justement pas former de tendances, mais s’unir pour proposer une nouvelle base commune de discussion en vue du congrès. L’idée étant de maintenir coûte que coûte l’unité, comme l’a expliqué le président de la Fédération Loire-Atlantique Aymeric Seassau :

« Il va falloir rapprocher les deux textes arrivés en tête […]. Il y a des ponts et des intentions comparables… Chacun a conscience que le PCF est un outil précieux et je pense que tout le monde aura à cœur de préserver le parti.»

La question qui se pose par contre est celle de la tête de liste de Ian Brossat pour les prochaines élections européennes. La position qu’il représente à propos de l’Union Européenne, qu’il défend de manière sociale-libérale, est ouvertement critiquée dans le texte « Pour un manifeste du Parti communiste du XXIe siècle ».

> Lire également : Ian Brossat du PCF et la défense de l’Union européenne

On peut en effet y lire de manière assez tranchée :

« Il faut en finir avec la construction européenne actuelle conçue au service de la domination du capital, avec en son cœur la BCE soutenant les marchés financiers, les multinationales et les grands capitaux monopolistes. Loin de la promesse d’une Europe de coopération et d’unité des peuples, on lui doit un chômage colossal, la désindustrialisation, l’agriculture familiale sacrifiée, la mise en cause des services publics et l’austérité généralisée, l’autoritarisme, le martyre du peuple grec, une fragmentation entre le nord et le sud, des fractures internes à chaque pays. »

Le texte reproche à la direction de ne pas avoir mené de véritable débat sur le sujet :

« Un choix a prévalu depuis plusieurs congrès : transformer radicalement l’Union européenne et ses traités ; agir pour une refondation de la construction européenne avec des propositions alternatives. Il s’est agi de se situer sur le terrain européen et de se saisir de l’aspiration à une construction européenne, tout en considérant que le terrain national est fondamental et que ce sont bien les exigences du capital qui modèlent la construction européenne.
Des camarades pensent qu’on ne peut pas la transformer et qu’il faut affirmer le droit pour chaque nation de désobéir aux traités jusqu’à sortir de l’Union européenne si nécessaire pour respecter la souveraineté populaire. Ils et elles considèrent qu’il faut rendre caduques les institutions européennes, afin de construire un autre modèle de coopération en Europe et dans le monde, libéré des outils institutionnels que se sont donnés les fondateurs de l’Union européenne faite par et pour le capital. La nation reste pour ces camarades le terrain privilégié de la lutte des classes.
De fait, la position du PCF a profondément évolué durant les années 90 et depuis. Mais ces choix ont été faits sans un débat suffisamment large, et la bataille tenace qu’ils appelaient n’a pas été véritablement menée.
Cela souligne l’insuffisance grave du travail collectif qui aurait dû être initié par les directions nationales successives en même temps que leur incapacité à prendre des initiatives d’action sur ces enjeux.
Pourtant, l’actualité en fait chaque jour la démonstration, la responsabilité des pays européens est devenue considérable pour une véritable coopération mondiale de co-développement avec les pays pauvres, les émergents et pour la paix.
Nous refusons de céder aux sirènes du fédéralisme. Nous combattons la fuite en avant dans l’intégration renforcée sous la houlette du duo Merkel-Macron. Nous refusons une Europe forteresse. Une autre construction européenne est nécessaire, face à l’agressivité de l’impérial-libéralisme des États-Unis, pour relever des défis colossaux : le chômage, la concurrence exacerbée, la dictature du dollar et de la finance mondiale, le réchauffement climatique, le recul de la biodiversité, les migrations de survie massives, les fractures sociales et territoriales, la paix… C’est indispensable pour contrecarrer les pertes de souveraineté effectives engendrées par la mondialisation capitaliste, promouvoir les nations de façon ouverte dans l’égalité et le respect de leur diversité. »

Cependant, il ne faut pas s’imaginer que le PCF va se déchirer sur cette question. Cela fait plusieurs années déjà que le PCF accompagne la Gauche postmoderne et postindustrielle sur un certains nombres de thématiques sociétales. L’apparition de Ian Brossat n’est que l’aboutissement de ce processus. De nombreux points de vues libéraux sont assumés, comme par exemple sur la question de l’immigration, avec ces derniers jours un soutien total à l’association « SOS Méditerranée » et son navire « l’Aquarius ».

> Lire également : La fausse gauche et les migrants de l’Aquarius

Pendant que les militants finissaient de voter pour un texte de base commune hier, les deux figures que sont Ian Brossat (représentant la direction) et Andrée Chassaigne (représentant l’opposition) se présentaient ensemble au Sommet annuel de l’élevage à Clermont Ferrand. Cela symbolise une volonté d’unité et de relativiser le résultat du vote.

Le PCF réussira-t-il malgré ces tensions à se maintenir comme force importante de la Gauche, avec ses 50 000 adhérents ? Ou bien va-t-il devenir de plus en plus une relique du passé, se maintenant contre contre vents et marrées avec une présence seulement anecdotique à Gauche, malgré ses 50 000 adhérents ?

> La base commune de la direction : « Le communisme est la question du XXIe siècle »

> La nouvelle base commune : « Pour un manifeste du parti communiste du XXIème siècle »

> Le texte de l’opposition « orthodoxe » : « PCF : reconstruire le parti de classe. Priorité au rassemblement dans les luttes »