Catégories
Culture Refus de l’hégémonie

Le terrifiant et obligatoire téléfilm « Threads » (1984)

Un classique de la véracité sur la guerre nucléaire.

« Threads » (les fils) est un téléfilm de 1984 qui est le pendant britannique du téléfilm américain Le Jour d’après. Dans ce dernier, on accompagne une famille de la campagne américaine dans la pénombre de la guerre nucléaire ; dans Threads, on accompagne une famille de la ville industrielle de Sheffield. Le Jour d’après était passé à la télévision sur ABC, Threads à la BBC.

Les deux téléfilms sont incontournables. Cependant, Le Jour d’après a une approche américaine ; son réalisme reste si ce n’est consensuel, du moins dans le cadre classique d’un téléfilm, même si forcément en raison du thème, cela reste émotionnellement très difficile. Threads s’appuie par contre sur une lecture anglaise du réalisme et c’est très cru. Ce n’est pas un film d’horreur, mais c’est l’horreur.

Dans les deux cas, on se rappellera toute sa vie de ces films et on est immanquablement horrifié par l’existence même de l’arme nucléaire. Mais Le Jour d’après est cauchemardesque, Threads est infernal. Peter Bradshaw du journal The Guardian résume ainsi ses impressions tout à fait compréhensibles :

« Ce n’est que lorsque j’ai vu Threads que j’ai découvert que quelque chose à l’écran pouvait me faire donner des sueurs froide et frissonnantes et me maintenir dans cet état pendant 20 minutes, suivi de semaines de dépression et d’anxiété. »

Threads s’appuie en effet sur toutes les analyses possibles des effets à court et moyen terme d’un holocauste nucléaire sur la Grande-Bretagne. Son exposition est scientifique et il est très bien réalisé. Ce qu’on voit est vraisemblable, voire on le considère comme vrai et comme pour Le Jour d’après, c’est totalement envahissant.

Cela parlait alors d’autant plus aux Britanniques que le Royaume-Uni avait tout un programme – Protect and Survive – passant à la télévision, à la radio, diffusé en brochures, etc. expliquant comment se « protéger » et « survivre » à une attaque nucléaire.

Threads est pratiquement une réponse point par point à l’absurdité de ce programme expliquant aux gens quoi faire, comme si cela serait suffisant. Le bourrage de crâne de Protect and Survive ne passerait plus aujourd’hui tellement c’est infantilisant, niais et absurde.

Threads est ainsi incontournable, mais il faut être prêt mentalement. Le Jour d’après est regardable en famille, même s’il est dur. Impossible pour Threads. En fait, il faut à la fois l’éviter au possible et en même temps absolument le regarder. Telle est sa nature.

Le film est visible en ligne ici, de manière légale et sûre (même si c’est un peu long à démarrer). C’est la version originale et l’anglais qu’on y trouve, celui de Sheffield, est indéniablement difficile d’accès. On comprend l’ensemble cependant sans soucis… malheureusement.

Catégories
Culture Guerre

L’incontournable téléfilm Le Jour d’après (1983), manifeste de gauche

C’est un téléfilm – largement de la qualité d’un film d’ailleurs – qui sera vu une fois dans sa vie et il y aura alors un avant et un après. Impossible de rester pareil après un tel film et d’ailleurs il est à proscrire chez les moins de 18 ans, même si l’atmosphère générale n’est pas celle des années 1980, même si on y revient. C’est qu’entièrement réaliste dans sa dimension portraitiste, Le jour d’après expose une chose simple : le jour d’après, c’est-à-dire le jour d’avant et le jour d’après le déclenchement de la troisième guerre mondiale entre les monstres américain et soviétique.

Le film est très clairement sur une base de Gauche, de la manière la plus claire au sens de la manière la plus vraie. Ce sont les faits qui sont montrés, avec un passage du portrait de la vie réelle et quotidienne d’Américains loin des grands centres comme New York à la présentation de leur condition le jour d’après. On voit le peuple avec les yeux du peuple dans la réalité du peuple.

La chaîne ABC – où le film fut diffusé le 20 novembre 1983 devant cent millions d’Américains absolument emportés – mit un maximum de bâtons dans les roues à la production,ayant même à un moment éjecté le réalisateur, Nicholas Meyer, tout en réussissant à procéder à de multiples coupes. Pourtant la chaîne fit en même temps la promotion du film, assumant par là-même d’être en conflit avec le Pentagone qui évidemment exigeait non pas une dénonciation de la guerre, mais de l’URSS.

On se doute, en effet, que le film met dos à dos États-Unis et URSS, soulignant bien leur rôle moteur dans l’élan à la guerre. Le réalisateur fut naturellement dénoncé comme un « traître » par les propagandistes acharnés du militarisme et du nationalisme impérialiste.

Il est vrai qu’ABC produisit dans la foulée, pour se rattraper, la série Amerika, qui se déroule dix ans après la prise du contrôle des États-Unis par l’URSS et la perte générale des « libertés », afin de relancer la machine de propagande en faveur de la guerre. Mais que Le jour d’après ait pu être diffusé en dit long sur la contradiction principale aux États-Unis alors, avec un complexe militaro-industriel qui, tout comme celui d’URSS, poussait à la militarisation et au conflit, et une société voyant bien qu’elle se faisait embarquer dans un projet criminel et fou.

Le film est littéralement admirable dans la mesure où il montre que pour les Américains, le patriotisme américain est lié à la réalité quotidienne et ne consiste pas en une abstraction : l’opposition entre le peuple et un État entièrement séparé de lui est limpide, le rapport au drapeau américain dans tout le film est d’un symbolisme très fort. Dommage que le niveau technique, notamment pour le cadrage, n’ait pas été de meilleure qualité, car on aurait eu alors quelque chose d’époustouflant.

C’est cependant secondaire au sens strict, ce qu’on voit est vrai et c’est cela qui compte. Pour cette raison, l’impact de ce film fut, de fait, immense sur l’ensemble de la société américaine ; il fut également vu au cinéma par 3,5 millions de personnes en Allemagne de l’Ouest et ne laissa personne indifférent à travers le monde quant à ceux qui furent en mesure de le voir.

De manière plus spécifique, il fut également vu au plus haut niveau américain, y provoquant un traumatisme d’autant plus étonnant qu’on a là les premiers criminels en chef avec leurs équivalent soviétiques. Le président américain Ronald Reagan, un militariste forcené pourtant, affirma par la suite que le film avait joué un rôle d’importance pour aller dans le sens de la signature du Traité sur les forces nucléaires à portée intermédiaire en 1987. Cette même année, le film fut d’ailleurs diffusé à la télévision soviétique.

Le film est disponible sur YouTube, ainsi que sur des plate-formes de streaming avec les sous-titres en anglais. Même si on maîtrise mal cette langue, la dignité de ce qui est présenté est si simple et vraie qu’on saisit cependant tout tout de suite, inévitablement.

Catégories
Culture

Gauche historique contre post-modernes il y a 30 ans

À l’occasion de la mort de Gilles Bertin, il a été parlé de la bande dessinée « Z craignos », un très réussi portrait des ambiances branchées, alternatives, rebelles du Paris du début de la fin des années 1970 et du début des années 1980. Un épisode particulier montre que la problématique Gauche historique / post-modernes ne date pas d’hier.

L’idée est simple. Z craignos est un petit-bourgeois sensible et philosophe, qui se balade dans différents milieux et en tire des conséquences d’ordre moral et intellectuel, voire esthétique. Il veut bien participer à quelque chose, mais il veut être convaincu. Il ne l’est finalement jamais.

Ici, il va à un concert alternatif, intitulé No New York, qu’on devine dans l’esprit no wave expérimental de l’époque avec son côté post-new wave, post-punk, post-disco, etc. Le chanteur commence d’ailleurs à attraper quelqu’un par les cheveux dans le public. On doit être ici en 1979-1980.

La chanson présentée ici date de 1979 et anticipe cette démarche syncrétique, intellectualisante dont les Talking Heads, XTC ou Wire sont des exemples fameux (et incontournables dans la culture musicale). Voici la chanson dans ses deux versions : celle avec le groupe newyorkais et celle en solo, plus rythmée.

Ce qui se passe alors est justement un portrait du conflit entre la Gauche historique et les post-modernes. Deux groupes se font en effet face, tous deux relevant du mouvement autonome, des gens révolutionnaires mais ne se pliant pas à la culture conservatrice prédominante en France et acceptée par le PS et le PCF. On parle beaucoup de violences policières en ce moment. Mais ce n’était strictement rien par rapport à la chape de plomb des années Giscard…

Les gens désignés ici comme « ex maos libertaires » criant offensive autonomie – en réalité Au-to-no-mie et o-ffen-sive ! – sont les adeptes de la Gauche historique. Ils se situent dans le prolongement des années 1960 et de la Gauche prolétarienne pour une part, ainsi que de la mouvance communiste libertaire tournée vers les travailleurs, d’autre part. Cette mouvance veut des ouvriers en grève, des mouvements de masse associées à une guérilla, la révolution, etc.

L’autre groupe est quant à lui organisé autour de la revue Marge, qui appelle à la révolte individuelle, valorise les prostituées, les toxicomanes, les délinquants, les travestis, etc. C’est la marge qui porterait la vérité grâce à la transgression. Cette mouvance est appelée l’autonomie désirante. C’est le grand ancêtre des post-modernes et son influence dans l’histoire des idées a été importante en France.

Forcément, la rencontre entre les deux groupes tourne très mal.

On notera par ailleurs que la mouvance de l’autonomie offensive a très vite disparu, dès 1982 (Action Directe en est largement issue), laissant l’hégémonie totale à la mouvance rebelle-criminelle caractérisant alors l’autonomie française.

L’auteur Jean Rouzaud – qui a un regard extérieur mais a très bien ressenti les choses et en dresse un très bon portrait – nous amène alors dans la troisième grande famille de la Gauche non institutionnelle d’alors : les zadistes…

Évidemment avant cela ne s’appelait pas encore les zadistes. Mais la tradition était déjà là, puisqu’elle vient des années 1960-1970, notamment avec le mouvement anti-militariste dans le Larzac et l’installation en communautés, « le retour à la terre » comme dans la Drôme, etc.

Comme quoi, malgré les prétentions des uns et des autres, rien n’a été inventé! C’est pratiquement les mêmes lignes de fraction qu’auparavant. Sauf que cette fois, cela ne concerne plus quelques mouvances, mais des pans entiers de la Gauche. Les thèses ultra-individualistes de la revue Marge sont pratiquement celles, pour beaucoup, de l’État français aujourd’hui…

Catégories
Culture

Stranger Things saison 3, un mauvais recyclage de la pop-culture des années 1980

La série Stranger Things avait marqué il y a deux ans part son approche très pop-culture, mettant en scène la jeunesse populaire américaine dans un scénario typique des années 1980. La troisième saison sortie ce mois-ci montre à quel point cela n’est finalement que du mauvais recyclage de la part d’un capitalisme à bout de souffle, agonisant totalement sur le plan culturel.

Comment peut-on, en 2019 avec de tels moyens, produire quelque-chose d’aussi nul et niais que la troisième saison de la série Netflix Stranger Things ? Dix personnes sauvent une seconde fois le monde des forces maléfiques pendant que le reste de la planète ne se rend compte de rien… On peut bien-sûr ne pas aimer le fantastique et se dire que de toute façon, cela n’amène forcément rien de bon sur le plan culturel, contrairement à la science-fiction.

Mais c’est bien pire que cela. On se demande d’abord s’il ne s’agit pas d’une caricature, tellement le scénario est ridicule, à coup de bagarres sur-jouées, d’histoire d’amour cul-cul, de méchants soviétiques infiltrant l’Amérique et de monstres aussi sots que grotesques. Les épisodes s’enchaînent, sans aucune cohérence dans l’approche générale et ont comprend finalement que cela n’a absolument rien de critique, ni même de construit.

Les personnages ne sont pas développés, le contexte initial lié au jeu Dungeon & Dragons (l’« upside-down ») est à peine respecté, etc. Ce n’est qu’un copié-collé façon patchwork de tout ce qu’a pu produire Hollywood dans les années 1980, un zapping permanent sans l’arrière-plan culturel et populaire qu’il pouvait y avoir alors pour chacune de ces productions.

Le monstre de cette troisième saison par exemple, n’est qu’une copie ridicule du monstre de The Thing (La chose) de John Carpenter en 1982. Il est vidé de toute sa substance, de tout son rapport au réel. Celui de 1982 avait été compris par les cinéphiles, surtout après sa sortie en VHS, comme une allégorie du Sida, dans un contexte psychologisant recherché (quoi qu’on en pense par ailleurs).

John Carpenter avait d’ailleurs lui-même très bien critiqué la niaiserie de beaucoup des productions des années 1980 dans l’excellent They Lives (Invasion Los Angeles), en 1988. Il faut penser ici à cette fameuse scène de bagarre interminable, qui était d’une grande subtilité. En 2019, les scénaristes de Stranger Things n’ont toujours pas compris ce que leur a dit John Carpenter il y a 30 ans et resservent ces bagarres et ces monstres au premier degré.

L’industrie du divertissement n’est en fait plus capable de rien, tellement elle a asséché la culture populaire. Elle n’a presque plus rien à récupérer de contemporain, alors elle se regarde le nombril, glorifiant son âge d’or avec de prétendues références qui ne sont que des copies sans âme. Elle est d’ailleurs en retard sur la société elle-même, car la mode est aux années 1990 et plus aux années 1980…

Tout cela est tellement lisse que chacun peu y picorer ce qu’il veut. Les populistes s’imagineront que la mise en scène du centre-commercial Starcourt est une critique de la société de consommation alors que les plus aliénés se satisferont au contraire d’un bel hommage à une époque bénie.

Tout au plus a t-on le droit à un « féminisme » racoleur, qui bien sûr a une origine démocratique dans le contexte des années 1980, mais qui dans cette saison de Stranger Things n’est là que pour flatter les égo et coller aux « thèmes » actuels.

Le tout, bien sûr, est le prétexte à énormément de placement de produits et de marques, avec ensuite un grand nombres de produits dérivés vendus à l’issue de la série. Ces produits ne sont en fait même pas vraiment « dérivés » puisqu’ils sont mis en place dès le début, dans le cadre d’une stratégie commerciale ultra-rodée.

Maintenant que le filon est lancé, on aura sûrement plusieurs saisons, qui battront probablement des records de médiocrité comme le laisse suggérer cet abominable teasing d’après le générique de fin de la saison…

Quel immense gâchis, se dit-on alors ! Le capitalisme, agonisant, se regarde lui-même en pourrissant sur-place, tellement il n’a plus rien de positif à apporter au monde. Les capacités de production culturelles sont pourtant immenses, comme le montre la qualité des décors de Stranger Things. Le problème est en fait que le niveau culturel général de la population n’a jamais été aussi élevé, mais qu’il est en même-temps d’une très grande faiblesse.

Quantitativement, beaucoup plus de gens ont un niveau culturel et des exigences culturelles, mais celles-ci sont bien plus faibles que celles de la bourgeoisie quand elle était presque la seule à posséder la culture (avec ce qui restait de l’aristocratie n’ayant pas encore sombré totalement dans la décadence).

> Lire également : Le succès de la série “Stranger Things”

Cela forme aujourd’hui une contradiction tellement grande, tellement explosive, qu’à un moment cela va finir pas exploser, justement ! Quand la jeunesse adolescente décidera qu’il est hors de question qu’on lui serve des produits culturels aussi vides et niais que Stranger Things saison 3, cela va faire des ravages !