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Le sondage IFOP «les Français et l’IVG»

Alors que le gouvernement compte allonger le délai pour la possibilité de réaliser un IVG, de 12 à 14 semaines de grossesse, un sondage rappelle ce qui est évident : personne ne considère l’IVG comme un acte banal.

C’est l’histoire d’un hold-up par les libéraux. On connaît l’escroquerie qu’est l’assimilation des migrants aux réfugiés, on a pareillement l’assimilation du droit à l’avortement à l’acceptation de l’avortement comme un acte totalement banal. Cette assimilation est un hold-up car elle s’appuie sur une situation socialement misérable pour imposer comme seule solution le « choix » relevant du marché.

Or, l’avortement n’est pas un acte banal et ce pour une raison très simple : le fœtus se développe très rapidement. À 6 semaines, l’embryon mesure 5 mm. Mais à sept semaines, ses bras commencent à se former ; à dix semaines il a des yeux, un nez, une bouche, ses doigts sont séparés, ses orteils commence à former, il bouge d’ailleurs ses membres. À 14 semaines, il fait 8,5 cm ; à 22 semaines, il fait 19 cm.


Un fœtus âgé à trois mois de grossesse

On comprend donc que, forcément, un médecin n’ait pas obligatoirement envie de prescrire des médicaments pour dissoudre le fœtus ou d’utiliser un aspirateur pour le désagréger et balancer le tout à la poubelle, car c’est ainsi que cela se passe. Ce n’est pas une question « religieuse » comme le prétendent les libéraux, mais une question de rapport à la vie et à la nature. Le fameux serment d’Hippocrate de la Grèce antique interdit de mener un avortement ; le fondateur du Front de Libération Animale (ALF), Ronnie Lee, se définit logiquement comme « pro life » puisqu’il se positionne en la défense de toute vie.

La Gauche historique n’a d’ailleurs somme toute jamais vu les choses autrement. C’est le libéralisme, transformant la vie en matière consommable, qui a changé les mœurs. Les Français sont ainsi travaillés au corps, mais ils restent heureusement au fond cohérents au sujet de l’avortement : malheureusement on ne peut pas faire autrement parfois, donc il faut accepter l’avortement, mais si on peut éviter tant qu’à faire, c’est mieux.

C’est là qu’intervient le sondage IFOP, dans un contexte de prolongation de la durée de la possibilité l’IVG de 12 à 14 semaines de grossesse, comme escroquerie religieuse. Ce sondage pose d’ailleurs les mêmes questions qu’un sondage IFOP de 2016 et relève pareillement d’une enquête demandée par l’Alliance Vita, le prolongement de la « manif pour tous ».

Les questions sont en effet biaisées de telle manière à ce que l’avortement ne soit pas considéré comme une question naturelle et sociale, pour faire croire que les Français seraient en partie en phase avec le mysticisme catholique.

Le processus est le suivant. D’abord on fait passer aux personnes sondées le message qu’il y a 230 000 avortements en France, au moyen d’une question bidon. Le nombre est immense et frappe forcément.

Puis la personne sondée est amenée indirectement à prendre partie au moyen d’une question à la réponse évidente :

« Pensez-vous qu’un avortement laisse des traces psychologiques difficiles à vivre pour les femmes ? »

Une fois la personne sondée interpellée et mobilisée, on lui pose une question piège. Voici cette question :

« Pensez-vous que la société devrait davantage aider les femmes à éviter le recours à l’Interruption Volontaire de Grossesse (IVG) ? »

La question est ordurière, littéralement, car on ne sait pas s’il s’agit d’éviter l’IVG en amont, par une meilleure contraception pour les femmes, une contraception masculine… ou s’il s’agit de nier la réalité sociale de l’IVG et de la réfuter unilatéralement, donc religieusement. Ici on a 72 % de oui car les gens ayant un problème avec l’avortement, mais ayant conscience des réalités sociales, sont happées dans une négation abstraite.

Vient alors le coup de massue catholique, avec l’appel à une intervention programmatique sur une base catholique forcément :

« A ce jour, le livret officiel d’information remis aux femmes enceintes qui consultent en vue d’une IVG, comporte uniquement des indications sur les démarches pour avorter. Une proposition a été faite pour modifier ce livret en y intégrant le détail des aides aux femmes enceintes et aux jeunes mères comme cela était fait jusqu’en 2001. Êtes-vous très favorable, plutôt favorable, plutôt opposé ou très opposé à cette proposition d’intégrer dans ce livret officiel le détail des aides aux femmes enceintes et aux jeunes mères ? »

On a alors 84 % de oui ce qui donne une « légitimité » à l’Alliance Vita pour demander, forcément, à avoir une influence sur un tel livre officiel. Puis le sondage termine par une question visant à asseoir sur une base pseudo-démocratique cette pseudo légitimité :

« La France détient un taux élevé d’avortement soit une IVG pour un peu plus de trois naissances. Pourtant la France est l’un des pays du monde où les femmes ont le plus recours à la contraception. Si les pouvoirs publics lançaient une véritable prévention de l’avortement et conduisaient une étude pour analyser les causes, les conditions et les conséquences de l’avortement, y seriez-vous personnellement… ? »

On a ici 88 % de réponse favorable, ce qui est tout à fait en phase avec le point de vue démocratique consistant à dire : l’avortement, oui, mais si on peut éviter…

L’avortement est d’ailleurs un thème exemplaire. Les gens ont une opinion, formant une opinion démocratique, mais les seuls à s’exprimer sont les religieux fanatiques et les libéraux (qu’ils soient de droite, bobos de gauche ou d’ultra-gauche) pour qui un fœtus est un objet dont on peut faire ce qu’on veut.

Ce qui donne des situations intolérables, avec des attentats contre les médecins pratiquant l’avortement aux États-Unis, ce qui est un terrorisme directement dirigé contre les femmes, ou bien un avortement jusqu’à 24 semaines de grossesse au Royaume-Uni, ce qui est totalement fou quand on sait à quoi ressemble un fœtus à 24 semaines.

Vivement que le peuple s’affirme, enfin, et ne laisse plus la parole seulement aux religieux et aux libéraux. Il en va de la condition féminine : le peuple doit appuyer matériellement les femmes, c’est à lui d’organiser une société où le meilleur ressort toujours.

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Décès de Gisèle Halimi, figure du libéralisme progressiste

Gisèle Halimi a été l’avocate de la cause des femmes, sauf que cette cause ne passe pas par l’éloquence, mais par le changement réel des mœurs, des mentalités, des structures mêmes de la société.

Dans son article au sujet du décès de Gisèle Halimi, le journal Libération commence de la manière suivante :

« Avocate, femme politique et écrivaine, Gisèle Halimi, décédée mardi à 93 ans, a fait de sa vie un combat pour le droit des femmes, marqué par le procès de Bobigny en 1972, qui a ouvert la voie à la légalisation de l’avortement.

Née Gisèle Taïeb le 27 juillet 1927 dans une famille modeste à La Goulette, en Tunisie, elle est très bonne élève et ne manque pas de caractère. »

On a ici une image d’Épinal assez caractéristique, qui correspond à celle de la personne qui s’est faite « toute seule » et a contribué à faire avancer les choses. En pratique, elle a tout de même son bac à 17 ans, à une époque où l’a environ 15 % d’une tranche d’âge. Cela ne colle pas vraiment. Elle part ensuite faire des études à la Sorbonne, vivant des « cours particuliers » qu’elle a donné à Tunis auparavant et d’une bourse. Tout cela est magnifiquement romancé et France Culture en raffole bien sûr.

Ses études l’amènent à être avocate. Elle le devient à un moment où le Droit en France est chamboulé, pour une raison très simple : le FLN algérien pratique des attentats meurtriers contre les civils et l’armée française réagit par la torture, ou même le viol. Gisèle Halimi devient dans ce cadre l’avocate de Djamila Boupacha, une activiste FLN torturée et violée pour avouer avoir l’intention de déposer une bombe dans un restaurant universitaire.

Ce fut un contexte où la Gauche historique, celle du mouvement ouvrier, fut totalement dépassée en France par d’un côté un nationalisme agressif et de l’autre une « seconde gauche » littéralement pro-FLN, préfigurant celle pro-migrants et pro-LGBT aujourd’hui. Cela amena le Parti socialiste à prendre l’ascendant.

Gisèle Halimi relève de ce courant. Lors de l’affaire Djamila Boupacha elle mena une intense campagne avec Simone de Beauvoir notamment ; elle devint ensuite une figure pour le droit à l’avortement. Ce thème est également particulièrement clivant et la Gauche historique n’a jamais été pour un droit unilatéral à l’avortement, qui est le point de vue du libéralisme pour qui l’individu a des prérogatives au-delà de toute réalité naturelle.

Gisèle Halimi fut ici un outil majeur du libéralisme, en contribuant à fournir un masque démocratique aux lois françaises. Ses interventions politiques sont passées par l’intermédiaire de son activité d’avocate.

Il y eut d’abord l’affaire Marie-Claire, du prénom d’une jeune femme ayant avorté illégalement à la suite d’un viol et qui heureusement, grâce à Gisèle Halimi, obtint une relaxe en 1972. Cependant, l’affaire fut en réalité employée pour généraliser le droit à l’avortement, ce que Gisèle Halimi exigeait déjà depuis 1971.

C’est pour cela qu’elle est saluée de manière unanime : pour les limites qu’elle a posé à son engagement purement institutionnel et symbolique. Les messages présidentiels en font l’aspect principal. Emmanuel Macron dit ainsi :

« Pour Gisèle Halimi, le féminisme était un humanisme. La France perd une républicaine passionnée qui, comme avocate, militante et élue, fut une grande combattante de l’émancipation des femmes. »

François Hollande, de son côté, a affirmé que :

« Gisèle Halimi a inlassablement servi la cause des femmes donc celle de la République. Elle ajoutait le courage au talent, le génie du verbe à la science du droit, l’engagement pour la dignité des peuples à la bataille pour l’égalité. Elle restera pour toutes et tous un exemple. »

C’est la théorie à la Victor Hugo de l’éloquence pour changer le monde. Gisèle Halimi a été cohérente dans sa démarche, d’ailleurs, puisqu’elle participe à la fondation du mouvement altermondialiste ATTAC.

Elle avait soutenu François Mitterrand en 1965, elle est députée apparentée socialiste de 1981 à 1984, ambassadrice de la France auprès de l’Unesco en 1985-1986, numéro deux pour les élections européennes de 1994 sur la liste du la liste du Mouvement des citoyens de Jean-Pierre Chevènement.

En 1949 elle s’était mariée à un administrateur civil au ministère français de l’Agriculture ; un de ses fils deviendra le chef du Monde Diplomatique, ce qui est ici une double référence à son parcours : institutionnel et altermondialiste. Elle s’est ensuite remarié à un secrétaire de Jean-Paul Sartre et est la marraine de Nicolas Bedos !

Toute la démarche de Gisèle Halimi, tout son milieu, absolument tout relève de la seconde gauche, celle qui rejette le mouvement ouvrier et naturellement les valeurs de la Gauche historique. Le message de Fabien Roussel, le secrétaire national du PCF, apparaît ainsi comme incompréhensible :

« Nous perdons aujourd’hui une grande avocate, celle des militant.es du FLN et des droits des femmes. Puisse son histoire, sa hauteur de vue et son intelligence accompagner encore et toujours nos combats pour l’égalité des droits humains #GiseleHalimi »

Incompréhensible, sauf si on comprend que la seconde gauche a pris le dessus à tous les niveaux. Mais voir un responsable du PCF saluer unilatéralement le FLN et quelqu’un qui est toujours restée entièrement extérieur au mouvement ouvrier, à tous les niveaux, est toujours choquant.

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Appel de 50 députés de gauche en faveur du droit fondamental à l’IVG

Cinquante députés de gauche ont publié une tribune dans le Journal du Dimanche, demandant à ce que l’interruption volontaire de grossesse soit reconnu comme un droit fondamental. Cet appel se revendique de Simone Veil, pas de la Gauche historique. Et pour cause : l’avortement n’a jamais fait partie de ses fondamentaux.

On peut très bien reconnaître le droit à l’avortement et dire que c’est regrettable d’avorter, qu’il vaudrait mieux tout faire pour éviter. Encore est-il que cette position qu’on peut considérer comme raisonnable n’existe pas vraiment aujourd’hui, malheureusement.

Il n’y a en effet que deux camps : les religieux qui sont radicalement contre, les progressistes qui sont radicalement pour. Pour les uns, le fœtus est sacré dès le départ (en raison de son « âme »), pour les autres, tant qu’il n’est pas né il ne compte pas.

L’appel de 50 députés de gauche dans le Journal du Dimanche s’aligne entièrement sur ces « progressistes » dont Emmanuel Macron est le meilleur représentant. Il s’agit d’ailleurs pour l’appel d’être plus « progressiste » qu’Emmanuel Macron lui-même :

« Le président de la République a fait entrer Simone Veil au Panthéon le 1er juillet 2018, à juste titre. Aujourd’hui nous sommes cinquante députés issus de l’ensemble des groupes de la gauche parlementaire à lui répondre en déposant une proposition de loi constitutionnelle visant à ce que ‘nul ne puisse entraver le droit fondamental à l’interruption volontaire de grossesse.’ »

Il faut en effet voir les choses telles qu’elles sont et comme l’appel doit le reconnaître lui-même, le combat pour le droit à l’avortement n’a pas été porté par la Gauche. Il est rappelé dans l’appel :

« Jusqu’en 1942, l’IVG était considérée comme un ‘crime contre l’État’ puni de la peine de mort. En 1971, ‘343 courageuses’ déposèrent un manifeste décisif pour l’évolution des mentalités de l’époque ; en 1975, la loi Veil consacra enfin le droit des femmes à disposer librement de leur corps. Et en 1979, seulement, l’interruption volontaire de grossesse fut formellement légalisée. »

Ce qui veut dire que le Front populaire n’a pas autorisé l’avortement, que le mouvement en faveur du droit à l’avortement est né par des femmes non organisées dans la Gauche politique, que c’est un gouvernement de Droite qui a autorisé l’avortement.

Ni la SFIO, ni le Parti socialiste ensuite, ni le Parti Communiste, n’ont soutenu le droit à l’avortement qui, après un bref intermède légal à la suite de la révolution russe, a été interdit en URSS.

On est libre de dire ici : la Gauche historique a oublié cette question ou bien il n’y a rien été compris, les droits des femmes avaient été oubliés, etc. Mais en ce cas on tient la même critique à l’égard de la Gauche historique que la « nouvelle gauche », la « seconde gauche », celle des années 1960-1970, avec notamment le PSU, la CFDT, etc. La Gauche historique aurait été « dépassée », elle aurait raté l’essentiel, elle n’aurait été qu’un dogmatisme ouvriériste, etc.

Et cette question du droit à l’avortement peut se décliner avec le droit au cannabis, le droit au suicide assisté, le droit à se faire des modifications corporelles significatives, le droit à la procréation médicalement assistée, etc. etc.

En clair, la « seconde gauche » dit que ce qui compte ce sont les droits individuels et que la Gauche historique, avec ses principes, est incapable d’aller en ce sens. Il ne s’agit même pas d’un débat matérialiste. Il ne s’agit pas de gens qui disent : le fœtus n’est pas encore suffisamment développé pour être une personne avant tant ou tant de semaines. Il s’agit de gens qui veulent supprimer la matière et faire triompher les choix individuels.

Il s’avère naturellement que le peuple en France a bien compris cela et qu’il n’en est pas partisan, qu’il préfère rester à l’écart de ce qui lui semble très problématique. D’où le fait que le droit à l’avortement soit trusté par les fanatiques religieux d’un côté, les ultras modernistes de l’autre.

Ce qui se passe aux États-Unis, où le droit à l’avortement est furieusement attaqué dans son intégralité par le très puissant courant réactionnaire, est un excellent exemple de comment le refus populaire de l’ultra-modernité libérale aboutit au soutien aux pires forces réactionnaires.

C’est à cette situation que nous précipite une Gauche déconnectée du réel, ne vivant que par le culte libéral des droits individuel, et permettant à la Droite et l’extrême-Droite de se présenter comme les garants de la civilisation.

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La République en marche récupère Simone Veil : c’est dans l’ordre des choses

Des gens sont choqués que La République en marche (LREM) utilise Simone Veil pour mettre en avant sa campagne pour les élections européennes. Cependant, Simone Veil était à l’UDF, l’ancêtre direct de LREM sur le plan des idées. C’était une femme membre assumée de la Droite et le droit à l’avortement était mis en avant par elle au nom de l’ultra-libéralisme.

« Non à la privatisation choquante de la mémoire de Simone Veil par LREM » dit Yannick Jadot, tête de liste EELV pour les européennes. « Je pense que les magnifiques yeux de Simone Veil déchargeraient de la mitraille vers tous ceux qui aujourd’hui utilisent sans vergogne son image et son nom » dit Dominique Bussereau, président de l’Assemblée des Départements de France.

Ces dénonciations, et il y en a un certain nombre sur la « récupération » à laquelle on assisterait, rentrent dans le cadre d’une triple initiative :

  • Nathalie Loiseau est passée au Panthéon le 9 mai pour honorer Simone Veil, accompagnée notamment de l’avocat Jean Veil, fils de celle-ci et candidat en 78e position sur la liste de La République en marche ;
  • un rassemblement plus large de LREM a eu lieu au même endroit un peu plus tard ;
  • Marlène Schiappa, Nathalie Loiseau et Chrysoula Zacharopoulu avaient, quelques jour plus tôt, publié une tribune dans le Journal Du Dimanche pour proposer un « pacte Simone Veil », avec comme objectif l’harmonisation par le haut les droits des femmes, avec principalement le droit à l’avortement mis en avant à mots couverts.

Pourtant, tout cela est tout à fait cohérent. Simone Veil a toujours été une femme politique relevant de la Droite. Si elle a mis en avant les droit des femmes, c’est uniquement dans le sens de l’ultra-libéralisme. Le droit à l’avortement établi administrativement, en niant toute question de morale, relève résolument de la position libérale selon laquelle l’individu fait ce qu’il veut comme il l’entend, sans qu’on ait à le juger. Il suffit de lire comment elle a justifié l’avortement pour s’en convaincre.

> Lire également : Mai 1968, la droite libérale et l’interruption volontaire de grossesse

Évidemment, si l’on réduit le combat politique à une bataille pour l’élargissement des droits individuels, on trouvera cela très bien. D’ailleurs, tant les libéraux que la « Gauche » post-industrielle, post-moderne, ont fait de Simone Veil une icône. Et c’est d’ailleurs aussi en ce sens qu’il faut voir la critique d’EELV, qui dit somme toute : nous aussi nous sommes libéraux sur le plan des mœurs, Simone Veil est aussi à nous !

Mais si l’on est partisan de la Gauche historique, alors Simone Veil est inacceptable et sa manière de permettre le droit à l’avortement a uniquement servi l’esprit libéral, faisant de l’avortement une simple formalité, niant toutes les questions morales qui vont avec. Le droit des femmes a ici été dévié en rejet de la biologie, en liquidation de toute valeur à ce qui est naturel, en affirmation unilatérale du libre-arbitre absolu.

C’est pour cela que la question de l’avortement reste paradoxalement si actuelle dans la société et que de larges parties de la population européenne sont contre. Ce n’est pas qu’elles soient réactionnaires, mais elles sont piégées par la réaction, qui a beau jeu de profiter des positions caricaturales des ultra-libéraux.

La question de Simone Veil est donc tout à fait pertinente, mais pas du tout parce que LREM fait une récupération. Bien au contraire, on voit comment beaucoup de gens se sont fait aspirés par le libéralisme. Pensant bien faire, être ouvert d’esprit, beaucoup de gens de gauche ont considéré qu’il était dans l’ordre des choses de laisser faire les gens ce qu’ils veulent, comme ils veulent, que c’était là s’opposer au conservatisme, aux fachos.

Mais l’alternative n’est pas le conservatisme contre le libéralisme. Elle est entre un capitalisme toujours plus libéral et relativiste, ou bien le retour en arrière réactionnaire, ou bien la démocratie la plus large en défense de la culture, le Socialisme. C’est une bataille pour les valeurs qui se joue et qui croit combattre la réaction en niant le principe même de valeurs ne fait que servir le libéralisme… Un libéralisme qui n’est pas qu’économique, mais est également moral, culturel, idéologique.

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Mai 1968, la droite libérale et l’interruption volontaire de grossesse

C’est mai 1968 qui a permis l’irruption des débats sur les mœurs, mais on sait que c’est la logique libérale qui l’a emporté sur ce thème, comme dans bien d’autres cas. Il est intéressant à ce titre d’aborder la question de l’interruption volontaire de grossesse (IVG).

Ce n’est en effet pas avant 1971 qu’il y a un débat général à ce sujet et cela suit bien sûr mai 1968. Sans l’arrivée des thèmes de la vie quotidienne, cela n’aurait pas été possible. Cependant, c’est la droite libérale qui a tout organisé concernant l’IVG.

Or, cela a forcément un sens. On ne peut pas être de gauche et ne pas se dire que si des gens de droite mettent en place quelque chose au nom du libéralisme, il y a au moins un problème quelque part.

En effet, lorsque l’IVG légale est mis en place en France, Simone Veil est alors ministre de la santé, Jacques Chirac le premier ministre, Valéry Giscard d’Estaing le président de la République.

Quel est ce problème ? Regardons comment les choses se sont déroulées. A la base, donc, l’IVG est interdite, mais largement pratiquée par des centaines de milliers de femmes dans des conditions le plus souvent sordides voire mortelles, sauf celles pouvant le faire à l’étranger dans des pays où c’est légal.

En 1971, donc, le Nouvel Observateur publie le 5 avril un manifeste signé de 343 femmes affirmant ayant avoir avorté, ce qui est alors interdit et amène normalement des poursuites, et réclamant la « libre-disposition » de leur corps : « Notre ventre nous appartient ».

La question de la nature de l’interruption de grossesse n’est pas abordée, sauf à un moment précis, sous la forme d’un discours sur la production :

« Les femmes, comme tous les autres producteurs, ont de fait le droit absolu au contrôle de toutes leurs productions. Ce contrôle implique un changement radical des structures mentales des femmes et un changement non moins radical des structures de la société. »

Il est évident que c’est là une manière de contourner la question de la nature, de la nature très particulière de la « production » en question ; la grossesse est considérée comme un obstacle à l’indépendance des femmes, et donc « l’avortement libre et gratuit » lui est opposé.

nombre d'IVG et de naissances depuis 1965

On est ici dans une philosophie individualiste et existentialiste et on retrouve fort logiquement Simone de Beauvoir, l’auteure de « Le Deuxième Sexe » (« On ne naît pas femme, on le devient ») comme l’une des chefs de file du mouvement.

Une fois posée cette manière de voir les choses, tout va aller très vite. 4 000 femmes – un chiffre très faible, il y a alors 1,5 million de femmes se faisant avorter chaque année – manifestent à Paris le 20 novembre 1971 à l’appel du Mouvement de libération des femmes, qui propose également un document intitulé « Matières pour une réflexion politique sur l’avortement » (qu’on peut lire ici et ).

En octobre-novembre 1972 a lieu le procès d’une femme s’étant faite avortée alors qu’elle était mineure ; elle est relaxée notamment sous l’action de l’avocate Gisèle Halimi.

Suit, publié dans Le Monde du 5 février 1973, un manifeste de 331 médecins affirmant pratiquer des avortements illégaux. Ne faisant pas référence au serment d’Hippocrate – qui historiquement rejette l’avortement – le manifeste prône pareillement « l’avortement libre ».

En 1973, l’association « Choisir », avec Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi, réclament le droit à l’avortement jusqu’à 24 semaines (il est autorisé aujourd’hui jusqu’à 12 semaines).

En juin de la même année, 10 031 médecins signent un texte publié dans le Parisien Libéré pour dénoncer le manifeste des 331 médecins. On lit entre autres, avec une allusion directe au serment d’Hippocrate :

« A chaque instant de son développement, le fruit de la conception est un être vivant, essentiellement distinct de l’organisme maternel qui l’accueille et le nourrit (…).

Devant les détresses que peuvent provoquer des circonstances tragiques, le devoir du médecin est de tout mettre en œuvre pour secourir ensemble la mère et son enfant.

C’est pourquoi l’interruption délibérée d’une grossesse pour des raisons d’eugénisme ou pour résoudre un conflit moral, économique ou social n’est pas l’acte d’un médecin. »

C’est un autre existentialiste, Jean-Paul Sartre, qui répond dès le lendemain dans Libération. Constatant le refus profond dans le secteur médical en général, il affirme que « le souci principal d’une majorité du corps médical est de défendre ses privilèges ».

des milliers de femmes par an victimes de l'avortement clandestin en France

C’est alors la droite libérale qui va résoudre le conflit, en prenant le parti des existentialistes. Le richissime Jean Taittinger, chef du groupe de luxe du même nom et ministre de la justice, tient un discours à l’assemblée nationale le 13 décembre 1973 où il défend un projet de loi autorisant l’IVG.

L’association « Choisir » constate avec satisfaction que « dans ce discours, M. Tainttinger a développé tous les arguments défendus depuis des mois par notre association. »

Le 31 octobre 1974, le journaliste Bruno Frappat écrit dans Le Monde – il en deviendra par la suite le directeur de la rédaction – un article intitulé « Un projet de loi très libéral sur l’avortement sera soumis à l’assemblée. M. Giscard d’Estaing interviendra avant le débat », dont les premières phrases sont les suivantes :

« Libéraliser l’avortement tout en faisant semblant de faire le contraire. Tel était le but du projet Ségard accepté au printemps par les diverses tendances de la majorité et qui aurait sans doute été adopté par l’Assemblée nationale si la mort du président Georges Pompidou n’avait pas écourté la session parlementaire. »

Puis il est dit :

« Le projet retenu va plus ouvertement dans le sens du libéralisme que tous les précédents. Préparé par Mme Simone Veil, il n’a pu être approuvé que parce que le président de la République a fermement montré qu’il estimait le temps venu de dire les choses clairement et d’appliquer la promesse faite par lui. »

foetus du premier au neuvième mois de grossesse

L’IVG est alors autorisée par une loi adoptée le 28 novembre 1974, après 25 heures de discussions, par 284 voix contre 189. Simone Veil est alors ministre de la santé, Jacques Chirac le premier ministre, Valéry Giscard d’Estaing le président de la République.

Quel est alors le souci ? C’est que la question de la nature de l’avortement, la question morale, a été mise alors de côté devant l’urgence pour la santé des femmes.

Et en 2018, plus de quarante années après, on peut voir que l’avortement est une pratique banalisée. Le taux annuel d’IVG pour 1000 femmes de 15 à 49 ans, autour de 14-15 %, ne change plus depuis quarante ans. Pareil pour le ratio d’IVG pour 100 naissances vivantes, de 26-27 %.

Comment ne pas se dire, comme cette grande figure historique du féminisme :

« Thérèse Clerc pratiquait des avortements clandestins avant la promulgation de la loi Veil. Selon elle, les femmes qui voulaient avorter « ne prenaient en général pas de contraception, aveuglées par toutes les débilités qu’elles entendaient à l’époque, sur le fait que cela était honteux et contre-nature », raconte-t-elle à L’Obs.

Et cette militante féministe d’évoquer avec amertume la situation actuelle : « Je suis désespérée de voir qu’un trop grand nombre de femmes ne prend toujours pas de moyens de contraception. Désespérée de voir qu’il y a en France, encore aujourd’hui, plus de 200.000 IVG chaque année. Mais ce droit est une nécessité ». »

D’un côté, il faut ce droit, mais s’il est possible d’éviter, n’est-il pas moralement juste de le faire ?

A moins qu’on considère que seul compte son propre choix, sa propre individualité – et c’était justement à cela que voulait aboutir la droite libérale en organisant à sa manière le droit à l’IVG après 1968.