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Astérix le Gaulois: une flatterie réactionnaire

Le dernier album des aventures d’Astérix est un succès qui s’inscrit dans une offensive commerciale de grande ampleur. Ce succès et ce soutien public reflètent un cadre bien précis que toute personne de gauche ne peut pas manquer de voir : celui d’un renforcement sur le plan de la culture de la tendance au populisme voire même au néogaullisme sous une forme qui se voudrait ici populaire, anodine et consensuelle.

Le 38e album des aventures d’Astérix le Gaulois sorti le 24 octobre 2019 a donc été  un réussite commerciale. Le tirage initial a été de 2 millions d’albums en français (presque autant en allemand). En 4 jours il s’en est vendu plus de 550 000. Une réédition est d’ors et déjà amorcée. Une édition de luxe, dédicacée par les auteurs, à plus de 150 euros l’unité a aussi été diffusée.

Les derniers albums en regard de cela n’avaient pas connu un franc succès de par le caractère confus des intrigues, donnant souvent à juste titre l’impression d’un travail bâclé, sans esprit, sans lien même avec le style fondateur mis en place par le dessinateur Uderzo et le scénariste Goscinny. Cela cherchait simplement à surfer sur une franchise qu’il fallait entretenir coûte que coûte. Ce n’est pas, ou plus, le cas avec cet opus.

L’album vise à assumer de manière très affirmée ce que représente Astérix dans le dispositif « culturel » de la France d’aujourd’hui. On est bien obligé de mettre des guillemets en parlant ici de « culture », puisque, en fait il s’agit essentiellement d’une caricature de la culture française, d’une caricature de l’histoire française et d’une caricature de la société française.

Cela ne serait pas encore trop grave en soi si cela ne relevait pas d’un cadre politique bien précis. Car Astérix en général et cet album en particulier a une incontestable dimension politique : celle du bon mot, du bon sens, du « ni droite ni gauche », celle pour tout dire de l’esprit beauf pseudo-populaire alliant vulgarité et mélancolie comme un trait distinctif de la psychologie voire de l’identité du « Français ».

Les personnages d’Astérix ont ainsi une apparence populaire, ronde, colorée et lumineuse, franche, avec des caractères affirmés qui semblent authentiques. Ils évoluent dans un cadre rassurant, celui d’un petit village où les gens viennent d’un peu partout au fond, se chamaillent souvent mais qui sont tous néanmoins « d’ici ».

Un petit village animé par des activités de petits producteurs indépendants, sans présence significative d’échanges commerciaux, autogérés et suffisants, où tout le monde se connaît et où la vie politique est de fait inexistante, au point où le « chef » du village n’a en réalité aucun pouvoir ni même aucun relief particulier.

Bien sûr, le village est assiégé, par un ennemi militarisé et universel, qui occupe d’ailleurs la Gaule, vue comme une allégorie de la France. Mais si le petit village résiste, il ne fait pas non plus face toutefois à une agressivité particulièrement brutale des Romains, qui sont presque acceptés comme tels et qui sont de toute façon tenus à distance par la « potion magique » du druide du village.

Surtout, le village n’envisage à aucun moment d’élargir la lutte ou au moins une sorte de reconquête. Il accepte le monde, en le tenant simplement à distance de son sanctuaire, et le fréquente comme bon lui semble et selon les termes qui l’arrangent, de façon unilatérale et sur le mode de l’aventure. Chaque histoire se termine d’ailleurs traditionnellement par un banquet collectif, censé représenter les origines du «gueuleton à la française».

Inutile de dire à quel point ce tableau a une dimension réactionnaire. Mais c’est justement cela qui parle. Cet esprit néo-gaullien a l’ambition de proposer le reflet de ce que serait la France, son esprit et son peuple. C’est-à-dire la France de droite, il faut bien le dire.

Mais cette France de droite a un puissant dispositif culturel hérité du catholicisme : celui de la conciliation, de la concorde cocardière et franchouillarde. Cela n’est pas à négliger pour les personnes ayant une sensibilité de gauche. Et cet album joue typiquement de ce ressort.

Voyons rapidement l’histoire : un groupuscule de résistants nommé le FARC (Front Arverne de Résistance Checrète : les Arvernes étant dans l’univers d’Astérix des pseudo-auvergnats du début du XXe siècle, ils sont systématiquement caractérisés d’un accent chuintant) arrive au village avec l’intention de passer clandestinement à Londres pour y organiser leurs activités de résistance face aux Romains.

Ils sont poursuivis par des collaborateurs gaulois, dont le chef Adictosérix, (notons le nom qui sonne au passage comme un reproche anti-moderne), cherche à entraver leur projet et surtout à mettre la main sur leur signe de ralliement : un torque que Vercingétorix a confié à son héritier pour l’enjoindre à poursuivre la lutte. On apprend rapidement que l’héritier en question est une jeune fille : Adrénaline.

Le parallèle avec Jeanne d’Arc est évident, mais comme une jeune fille de notre époque, Adrénaline a toutes les caractéristiques d’une adolescente, ou pour le dire plus exactement de la caricature des adolescentes vues de la droite : d’abord « féministe », c’est-à-dire caractérielle et individualiste, au point finalement de renoncer à sa mission providentielle pour vivre une histoire d’amour sur une île exotique appelée Thulé.

Il est impossible que les auteurs ignorent ce que Thulé signifie dans la culture de la Droite réactionnaire. La société secrète Thulé est considéré comme une des sources du nazisme. Cette simple allusion au milieu d’un tel dispositif est au mieux un relativisme littéralement irresponsable, au pire une volonté de diffuser des thèmes d’extrême-droite au motif de la légèreté.

D’ailleurs, la Thulé en question s’avérera une sorte de paradis tropical métissé ou plutôt ethno-différencialiste où Adrénaline et son amoureux élèveront des enfants blancs, noirs et asiatiques dans une douce insouciance.

La lecture de cette soupe ne peut être qu’écoeurante pour une personne ayant une culture de gauche un tant soit peu développée. Les références sous-entendues, qui font précisément la marque de la série, croisent sans répit les allusions allant de l’extrême-gauche (les FARC par exemple) à l’extrême-droite (le mythe de Thulé), les clins d’oeil aux libéraux (Astérix et Obélix faisant quasiment figure de couple homoparental confronté à l’éducation d’une adolescente en pleine crise existentielle) et aux conservateurs (la mission providentielle de la jeune fille incarnant l’esprit national qu’Adrénaline avant de disparaître révèle qu’il s’incarne dans tout Gaulois résistant et notamment dans le village dans son ensemble).

Tout cela est littéralement du populisme. On sort de la lecture avec l’image d’un village et même d’une Gaule diverse mais unie au bout du compte derrière ses figures et par son esprit et sa certitude de ne pas être concerné par l’universalisme romain. Et si l’universalisme serait désirable, ce serait ce paradis exotique et individuel où Adrénaline se retranche. Le « monde réel » des Gaulois étant marqué par la concorde agitée du village tel qu’il est et tel qu’il reste face au reste du monde.

Un lecteur libéral pourra bien trouver quelques allusions trop « réac » tout comme un lecteur réactionnaire trouvera bien des références trop post-modernes à son goût. Mais les deux ne peuvent rater ici l’essentiel : au bout du compte, la concorde l’emporte et c’est le village qui encore une fois triomphe. C’est précisément en cela que la dimension culturelle de cet album en particulier, mais aussi de l’ensemble de la série Astérix en général, est politique.

À nier la lutte, à prêcher la concorde, le retranchement fataliste, le refus de l’universel, la mélancolie et le mysticisme, Astérix est une oeuvre incapacitante, une flatterie masquant l’individualisme le plus vil derrière un pseudo-panache identitaire. Il est littéralement et dans le mauvais sens du terme, une caricature de la France de sa culture et de son peuple.

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«C’est comment qu’on survit ?», une BD sur la réforme du chômage

Voici une bande dessinée très intéressante d’Emma, sur son blog emmaclit.com. Elle informe de manière ludique à propos de la réforme de l’assurance chômage « qui va impacter massivement les futurs chômeurs et chômeuses ». Elle a été réalisée avec l’aide d’un conseiller de Pôle Emploi.

Pour soutenir l’auteur, son Tippee : tipeee.com/emmaclit

Une boutique : emmaclit.com/mes-parutions

Emma précise que sa BD est libre de droits pour toute utilisation militante. La voici :

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Culture

Gauche historique contre post-modernes il y a 30 ans

À l’occasion de la mort de Gilles Bertin, il a été parlé de la bande dessinée « Z craignos », un très réussi portrait des ambiances branchées, alternatives, rebelles du Paris du début de la fin des années 1970 et du début des années 1980. Un épisode particulier montre que la problématique Gauche historique / post-modernes ne date pas d’hier.

L’idée est simple. Z craignos est un petit-bourgeois sensible et philosophe, qui se balade dans différents milieux et en tire des conséquences d’ordre moral et intellectuel, voire esthétique. Il veut bien participer à quelque chose, mais il veut être convaincu. Il ne l’est finalement jamais.

Ici, il va à un concert alternatif, intitulé No New York, qu’on devine dans l’esprit no wave expérimental de l’époque avec son côté post-new wave, post-punk, post-disco, etc. Le chanteur commence d’ailleurs à attraper quelqu’un par les cheveux dans le public. On doit être ici en 1979-1980.

La chanson présentée ici date de 1979 et anticipe cette démarche syncrétique, intellectualisante dont les Talking Heads, XTC ou Wire sont des exemples fameux (et incontournables dans la culture musicale). Voici la chanson dans ses deux versions : celle avec le groupe newyorkais et celle en solo, plus rythmée.

Ce qui se passe alors est justement un portrait du conflit entre la Gauche historique et les post-modernes. Deux groupes se font en effet face, tous deux relevant du mouvement autonome, des gens révolutionnaires mais ne se pliant pas à la culture conservatrice prédominante en France et acceptée par le PS et le PCF. On parle beaucoup de violences policières en ce moment. Mais ce n’était strictement rien par rapport à la chape de plomb des années Giscard…

Les gens désignés ici comme « ex maos libertaires » criant offensive autonomie – en réalité Au-to-no-mie et o-ffen-sive ! – sont les adeptes de la Gauche historique. Ils se situent dans le prolongement des années 1960 et de la Gauche prolétarienne pour une part, ainsi que de la mouvance communiste libertaire tournée vers les travailleurs, d’autre part. Cette mouvance veut des ouvriers en grève, des mouvements de masse associées à une guérilla, la révolution, etc.

L’autre groupe est quant à lui organisé autour de la revue Marge, qui appelle à la révolte individuelle, valorise les prostituées, les toxicomanes, les délinquants, les travestis, etc. C’est la marge qui porterait la vérité grâce à la transgression. Cette mouvance est appelée l’autonomie désirante. C’est le grand ancêtre des post-modernes et son influence dans l’histoire des idées a été importante en France.

Forcément, la rencontre entre les deux groupes tourne très mal.

On notera par ailleurs que la mouvance de l’autonomie offensive a très vite disparu, dès 1982 (Action Directe en est largement issue), laissant l’hégémonie totale à la mouvance rebelle-criminelle caractérisant alors l’autonomie française.

L’auteur Jean Rouzaud – qui a un regard extérieur mais a très bien ressenti les choses et en dresse un très bon portrait – nous amène alors dans la troisième grande famille de la Gauche non institutionnelle d’alors : les zadistes…

Évidemment avant cela ne s’appelait pas encore les zadistes. Mais la tradition était déjà là, puisqu’elle vient des années 1960-1970, notamment avec le mouvement anti-militariste dans le Larzac et l’installation en communautés, « le retour à la terre » comme dans la Drôme, etc.

Comme quoi, malgré les prétentions des uns et des autres, rien n’a été inventé! C’est pratiquement les mêmes lignes de fraction qu’auparavant. Sauf que cette fois, cela ne concerne plus quelques mouvances, mais des pans entiers de la Gauche. Les thèses ultra-individualistes de la revue Marge sont pratiquement celles, pour beaucoup, de l’État français aujourd’hui…

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« Civil War » : une bande dessinée comme fuite intellectuelle et morale

Écrit par Mark Millar et dessiné par Steve McNiven, la série de comics Civil War fait se rencontrer et se confronter l’ensemble des super-héros des éditions Marvel. Publiée en 2006-2007, la série a été considérée comme l’aboutissement de toute une étape de l’histoire des éditions Marvel et a par ailleurs donné naissance en 2016 à un film hollywoodien, Captain America: Civil War.

Le principe de l’histoire est le suivant : l’État américain a décidé au moyen d’une nouvelle loi de recenser et d’encadrer les personnes ayant des super-pouvoirs et, naturellement, en raison de leur libéralisme, toute une partie des super-héros refuse de se soumettre à ce décret « fasciste ».

Les partisans de la loi, regroupés autour d’Iron Man, traquent alors les opposants à la loi, regroupés autour de Capitaine America. La « guerre civile » divise les super-héros, amis ou membres d’une même famille et la série est un grand prétexte à dénoncer les oppositions d’idées au sein d’une société.

Le ton de la série Civil War de Marvel reflète ainsi très précisément celui de la chanson du même titre du groupe Guns N’ Roses, sur l’album Use your illusions II en 1991.

Assimilant guerre en général et guerre civile, la chanson revendique le refus de toute guerre quelle qu’elle soit : « Je n’ai pas besoin de ta guerre civile / Cela nourrit le riche alors que cela enterre le pauvre / Ton pouvoir qui a faim vend des soldats / dans une épicerie humaine ».

Pour cette raison, la bande dessinée fait comme Emmanuel Macron avec son « et… et… ». Tout le monde y a raison, avec des arguments solides, d’ailleurs il y a souvent des rencontres entre responsables des deux camps, ou des gens qui changent de camp.

La religion y a souvent sa place et le thème de la rédemption est permanent, au point d’être le socle de l’histoire. Tout commence en effet par l’intervention de super-héros filmant leur combat pour une émission de télé-réalité, des « super-vilains » faisant alors sauter un quartier pour s’échapper.

La culpabilité ronge alors certains, la fin de la série elle-même se fonde sur un super-héros triomphant mais cessant le combat pour changer de camp et expier ses péchés, etc. Ce qui n’empêche pas, parallèlement, d’avoir des femmes régulièrement déshabillées, avec des poses lascives, correspondant aux clichés du sexisme.

Cette dynamique du choix, reflété par le slogan de la série « Dans quel camp êtes-vous ? », est par ailleurs censé justifier cette aberration : des amis de longue date ayant sauvé le monde s’affrontent d’un coup de manière totale, quitte à s’appuyer sur des super-vilains criminels et assassins.

C’est tellement grossier comme idée qu’il a fallu que le scénariste introduise le personnage du « punisseur » comme sorte d’élément ramenant un équilibre, ainsi qu’un complot à l’échelle mondiale de « hydra », ce que reprendra plus particulièrement le film.

Cela signifie également que le dessin se fonde uniquement sur le spectaculaire d’un côté, une recherche graphique-esthétique lors des discussions de l’autre, le tout avec l’utilisation de la science-fiction la plus massive pour ajouter au pittoresque : les super-héros récalcitrants arrêtés sont placés dans la « zone négative », un « univers » parallèle.

Cela reflète une fois de plus à quel point les comics, de par leur culte de l’élitisme et de l’irrationalisme, relève d’une idéologie fondamentalement opposée à toutes les valeurs de gauche. Tout comme l’heroic fantasy et à l’opposé de la science fiction, le monde des comics invente des problématiques qui n’existent pas, dans des mondes qui n’existent pas, et qui ne sont pas tant imaginaires que sciemment construits sur l’irrationnel, le pittoresque, la négation de la société, une lecture purement individualiste et aventurière de la société.

Civil War est d’autant plus l’aboutissement de cela que les super-héros, auparavant séparés, prétexte à des lectures divertissantes, acquièrent une vie propre, devenant une réalité sociale au point de former une société parallèle, reconnue par l’État, ayant des liens avec celui-ci, avec l’actualité de la société américaine.

Civil War se veut résolument ancré dans la société américaine en général, dans la société américaine post-11 septembre en particulier. C’est un saut qualitatif : la réalité parallèle des comics a cédé la place à la confusion entre le monde réel et le monde virtuel des comics. C’est une fuite intellectuelle, morale, culturelle, entièrement assumée.