La réunion des BRICS à Kazan en Russie en octobre 2024 a été prétexte pour la production de foulards. Une manière d’accompagner une réunion qui a été un indéniable succès du point de vue russe. La venue du Secrétaire général de l’Onu, António Guterres, a montré que l’isolement de la Russie n’était pas fonctionnel. Treize pays ont également rejoint l’organisation comme pays partenaires : l’Algérie, le Belarus, la Bolivie, Cuba, l’Indonésie, le Kazakhstan, la Malaisie, le Nigeria, l’Ouganda, l’Ouzbékistan, la Thaïlande, la Turquie, le Vietnam.
On retrouve ici avec ces foulards la vie quotidienne russe si riche culturellement s’alliant à la démarche « multipolaire ». Si cette dernière est portée par des capitalismes cherchant à se développer, on parle de pays où vivent des parties significatives des masses mondiales, avec leur culture, leur folklore.
Une culture et un folklore qui, bien qu’atteints par le capitalisme et très largement déformé par le féodalisme, porte une charge populaire évidente. D’où justement des charmants foulards russes allant à leur rencontre. Et, naturellement, c’est le thème des femmes qui a été choisi par l’entreprise russe pour ce projet, la maison de couture Nina Ruchkina d’Ekaterinbourg.
On parle de foulard, mais peut-être faut-il plus utiliser le terme de châle, bien que les deux formes existent en Russie, dans des variétés très riches, la production de la ville de Pavlov Possad étant peut-être la plus fameuse pour sa dimension décorative si populaire.
Voici plus en détail le premier foulard. Rappelons que les Brics, ce sont l’Afrique du Sud, la Brésil, la Chine, l’Inde, la Russie, l’Inde et la Chine et désormais également l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie et l’Iran.
Il ne faut pas s’étonner de la référence à l’Égypte antique. L’idéologie actuelle de l’Égypte est justement axé sur cette gloire passée (et non sur l’Islam comme ce fut le cas avec les Frères musulmans au pouvoir récemment encore).
Voici une série avec les cinq pays initiaux des Brics.
Ces foulards sont disponibles en Russie, ce qui les rend inaccessibles en raison des sanctions occidentales. Ils coûtent aux alentours de 45 euros, et sont malheureusement en soie, ce qui est du point de vue de la condition animale est bien entendu erroné.
Ces foulards doivent nous laisser rêver : si les peuples du tiers-monde se soulevaient, avec les femmes en première ligne, le bouleversement serait inévitable, et inévitablement juste. Et cela se produira immanquablement.
Les femmes du monde entier doivent prendre en charge la société et établir les principes du Socialisme porté par le prolétariat. Et le monde sera métissé, sans plus aucune nation, une République socialiste mondiale !
L’incroyable silence (pour ne pas dire censure) des médias français tranche avec la ferveur et le dynamisme de cette nouvelle alliance. Le sommet élargi des Brics en Russie du 22 au 24 octobre 2024 est en effet le cœur brûlant de l’actualité mondiale, une actualité qui se fait sans l’occident, voire franchement contre l’occident.
L’idée des Brics est né avec le 21e siècle, comme contre-poids à l’hégémonie américaine dans le monde. C’est à partir de 2009 un regroupement entre le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine (d’où l’acronyme BRIC) puis en 2011 un élargissement à l’Afrique du Sud (South Africa, donc BRICS).
La matrice originale des Brics est économique, mais cela va bien entendu au-delà, tout comme l’hégémonie américaine est tout autant militaire et culturelle qu’économique. Toutefois, l’aspect économique a pris dans ce cas une importance capitale au fur et à mesure des années, et il a été au centre des débats pour ce nouveau sommet qui s’est tenu en 2024.
L’idée est simple : on a des pays bien ancrés dans le capitalisme mondial, mais qui considèrent y avoir une place insuffisante, ne faisant pas partie de l’occident et subissant négativement l’hégémonie américaine. Les pays des Brics+ représentent près de la moitié de la population mondiale, mais moins de 30 % de l’économie mondiale.
Au centre de cette démarche, il y a la superpuissance chinoise qui entend faire contre-poids en assumant sa propre hégémonie, avec son propre camp.
Ce camp s’élargit à vitesse grand V. L’alliance est maintenant élargie et s’appelle BRICS+, puisque l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Éthiopie et l’Iran font dorénavant partie du groupe, et que des dizaines d’autre pays sont associés de près ou de loin.
La Russie affirme que 35 États et 6 organisations internationales (dont le secrétaire général de l’Onu), ont participé à ce 16e sommet des Brics qui s’est tenu à Kazan, sur les rives de la Volga.
La ville de plus d’un million d’habitants est justement peuplée à moitié de Russes et à moitié de Tatars, qui plus est à 720 km à l’est de Moscou, ce qui marque de manière très volontaire l’éloignement et la différenciation culturelle par rapport à l’occident.
C’est bien plus que du symbole. Cela d’autant plus que l’actualité des Brics – qui est en fait l’actualité de la Chine depuis une dizaine d’année – est l’élargissement forcené vers l’Afrique, qui est appelée à se tourner massivement vers les pays de l’alliance.
Vladimir Poutine a profité du sommet pour réaffirmer la nécessité de la présence africaine au Conseil de sécurité de l’Onu.
Le Président mauritanien Mohammed Ould Ghazouan, le Président égyptien Abdel Fattah Al-Sissi, le ministre éthiopien des Affaires étrangères Mesganu Arga Moach ou encore le ministre des Affaires étrangères de la République du Congo Jean-Claude Gakosso ont longuement pris la parole en séance plénière, pour affirmer leur orientation déterminées vers les Brics.
De manière typique, le Président de la République du Congo Denis Sassou-Nguesso, qui aurait été spécialement invité par Vladimir Poutine, a expliqué :
« Le devoir impérieux pour nos nations du Sud est d’unir nos efforts afin de créer des mécanismes financiers alternatifs qui régulent avec plus de justice l’économie mondiale au bénéfice des intérêts légitimes de nos États. Une telle approche implique de réformer les institutions financières internationales ».
Il y a foule au portillon des demandeurs d’adhésion : Algérie, Turquie, Mexique, Corée du sud, Bangladesh, Bolivie, Nigéria, Sénégal ou encore Thaïlande sont connus pour vouloir adhérer officiellement à l’organisation, aux contours toutefois très flous, et qui n’accepte plus de nouveaux membres pour le moment.
Mais ce flou n’est absolument pas un problème pour la superpuissance chinoise, qui justement joue sur cette idée d’une vague générale aux contours imprécis, et où sont hégémonie est cachée, ou au moins subtile.
C’est ce que la Chine appelle le monde multipolaire. La Russie est habilement utilisée par la Chine pour cette affirmation multipolaire ; il apparait ici évident que la guerre en Ukraine sert directement et largement la superpuissance chinoise désireuse d’exacerber les antagonismes avec la superpuissance américaine.
Et la présence massive à Kazan de plusieurs dizaines de pays aux côtés de la Russie exprime de fait une défiance vis à vis du camps occidental, qui a tenté de manière acharnée d’isoler la Russie et de lui faire subir des sanctions économiques gigantesques.
Ce sont précisément ces sanctions occidentales contre la Russie qui ont été au cœurs des débats du sommet de Kazan, avec l’idée qu’il faut absolument pour ces pays sortir de l’influence du dollar et être capable d’exister sans.
Il ne sera pas question d’une nouvelle monnaie, ni d’une alternative au système inter-bancaire SWIFT, mais d’un renforcement des coopérations bancaires nationales, pour généraliser l’utilisation des monnaies nationales (à la place du dollar ou de l’euro), précisément dans la perspective chinoise multipolaire.
Le monde vit actuellement un moment de bascule décisif par rapport à la fin du 20e siècle, après l’effondrement du bloc de l’est et la grande faillite du tiers-monde qui n’avait pas réussi sont affirmation.
La Russie est ici à l’avant-garde de la défiance contre l’occident, en ayant osé l’affronter militairement en Ukraine et en ayant maintenant une grande légitimité pour porter un discours alternatif.
Vladimir Poutine ne s’en prive pas, expliquant à maintes reprise pendant le sommet qu’il est dans le camps du droit, de la justice, du respect entre les pays, à l’inverse de l’occident :
« Le « droit du poing » est aujourd’hui cultivé dans les affaires mondiales, alors que les BRICS visent à renforcer le rôle du droit international. »
« Les nouveaux membres des BRICS ont constaté que le groupe possède l’élément le plus important: le respect mutuel. La Russie a l’intention de construire des relations avec les pays qui respectent son indépendance. »
« L’Occident a toujours essayé de garder la Russie à « sa place », soit en faire un simple fournisseur de matières premières ».
Au passage, lors de la conférence de presse finale du sommet, il en a profiter pour directement cibler l’occident :
« L’armée ukrainienne ne peut pas utiliser les missiles occidentaux sans l’implication directe des officiers de l’Otan ».
La guerre mondiale pour le repartage du monde prend chaque jour un contour plus francs, plus nette, plus évident. Et il ne s’agit pas pour nous, à Gauche, d’y participer, mais au contraire de la saboter, en dénonçant notre propre camps, celui de l’occident capitaliste moribond et ultra-agressif.
Les Brics+ ne sont pas dans cette perspective une voie de salut, car la solution ne viendra que de l’unité mondiale des peuple en lutte pour la construction d’un monde nouveau, socialiste. Notre horizon n’est pas l’émergence de nouveaux capitalistes voulant prendre la place des anciens, sous l’égide chinoise, mais bien l’effondrement des superpuissances chinoise et américaine, ainsi que de leurs laquais respectifs.
Le changement mondial en cours est immense, et tout ne fait que s’accélérer. Dans ce processus, les masses mondiales vont se précipiter sur le devant de la scène – en premier lieu les masses d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine !
Le nom Brics vient de l’acronyme BRICS formé par les initiales du Brésil, de la Russie, de l’Inde, de la Chine et de l’Afrique du Sud (South Africa) ; c’est une alliance informelle entre ces 5 pays, élargie à partir de 2024 à l’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Argentine, l’Iran et l’Éthiopie.
C’est la Fédération de Russie qui est à l’origine de ce regroupement, en 2006, en marge d’une assemblée générale de l’ONU. Il y a eu ensuite différents jalons en vue des coopérations multilatérales entre ces pays se considérant au même niveau dans l’échiquier mondial : trop faible pour peser directement face aux puissances occidentales historiques, trop forts pour se contenter d’appartenir au tiers-monde.
Le premier véritable « sommet » des Brics n’eut lieu toutefois qu’en 2009, le 16 juin à Iekaterinbourg en Sibérie occidentale (et quatrième plus grande ville de Russie). La déclaration commune à l’issue disait avoir comme but de :
« promouvoir le dialogue et la coopération entre nos pays de manière progressive, proactive, pragmatique, ouverte et transparente.
Le dialogue et la coopération des pays BRIC sont propices non seulement à servir les intérêts communs des économies de marché émergentes et des pays en développement, mais également à construire un monde harmonieux de paix durable et de prospérité commune.
Le document expose une perception commune des moyens de faire face à la crise financière et économique mondiale. »
Cela ne souffre d’aucune ambiguïté : la volonté des Brics est d’exister de manière alternative à l’hégémonie de la superpuissance américaine. De par leur développement économique respectif, l’importance de leur population (plus de 40 % de la population mondiale) et la primauté de leurs ressources naturelles, ces pays entendent exister mondialement sans avoir à se soumettre aux États-Unis, mais tout en s’intégrant parfaitement dans la mondialisation capitaliste.
C’est pour cela que les Brics ne formaient pas, jusqu’au début des années 2020, une alliance formelle, de type militaire ou encore avec une intégration économique commune d’envergure. Il s’agissait normalement surtout d’une alliance de circonstance, pour peser et faire valoir leur puissance économique qui représentait en 2013 environ 27 % du PIB mondial.
La donne a toutefois changé depuis 2020. D’abord, il y a eu la crise sanitaire, qui s’est généralisée sur le plan économique, a changé la face du monde et chamboulé tous les rapports. Ensuite, il y a le conflit militaire en Ukraine, qui a accéléré la contradiction entre l’occident (sous domination américaine) et la Russie, créant un gigantesque clivage politico-diplomatique planétaire.
Surtout, la Chine s’est énormément développée durant les années 2010, devenant ouvertement une superpuissance challenger à l’hégémonie de la superpuissance américaine. Impossible dorénavant de considérer les Brics sans prendre en compte l’importance et le rôle de la superpuissance chinoise.
En fait, il faut même dire que l’existence des Brics, sa forme, ses discours, ses prétentions, intègrent totalement la stratégie chinoise d’hégémonie « alternative ». Voici le titre de l’allocution du président chinois Xi Jinping lors du 15e sommet des Brics à Johannesbourg en août 2023, où a été annoncée l’élargissement de l’alliance :
« Rechercher le développement par la solidarité et la coopération et assumer les responsabilités pour la paix. »
Ces mots choisis de manière très précise résonnent très fort dans tous les pays du tiers-monde, qui comprennent qui leur est proposé de suivre une autre voie que celle de la domination habituelle de la superpuissance américaine.
La Chine, particulièrement en Afrique, passe son temps à faire des accords économiques, acheter des terres, vendre des marchandises, proposer des appuis militaires, tout en prétendant ne pas du tout reproduire le schéma américain de domination.
Les Brics consistent essentiellement en ce support à la Chine dorénavant ; c’est une force d’appui à l’hégémonie « alternative » de la superpuissance chinoise. Voici ce qu’expliquait le porte-parole du ministère des Affaires étrangères chinois à Johannesbourg le 24 août 2023, expliquant les propos de son président durant le sommet :
« Les pays des BRICS sont une force importante pour façonner l’échiquier international, a déclaré Xi Jinping.
Le fait que nous choisissons en toute indépendance nos voies de développement, défendons ensemble notre droit au développement et avançons ensemble vers la modernisation représente l’orientation du progrès de l’humanité et influencera certainement en profondeur le cours du monde, a-t-il affirmé.
La coopération des BRICS se trouve à un moment crucial pour ouvrir de nouvelles perspectives sur la base des accomplissements réalisés, a souligné le président chinois.
Suivant la tendance du développement mondial et répondant aux aspirations des peuples du monde entier, le président Xi Jinping a fait une proposition en quatre points sur la coopération des BRICS dans divers secteurs, traçant la voie à suivre pour une croissance saine et substantielle de la coopération des BRICS.
Nous devons approfondir la coopération commerciale et financière pour stimuler la croissance économique.
Nous, pays des BRICS, devons être des compagnons de route sur le chemin du développement et de la revitalisation, et nous opposer au découplage et à la rupture des chaînes d’approvisionnement, ainsi qu’à la coercition économique, a déclaré XI Jinping.
Nous devons étendre la coopération politique et sécuritaire pour maintenir la paix et la tranquillité, a-t-il ajouté.
Les pays du BRICS doivent maintenir le cap du développement pacifique, se soutenir sur les questions relatives à leurs intérêts fondamentaux respectifs et renforcer la coordination sur les grandes questions internationales et régionales.
Nous devons proposer nos bons offices sur les questions brûlantes, en encourageant un règlement politique, a affirmé Xi Jinping. Nous devons intensifier les échanges entre les peuples, promouvoir l’apprentissage mutuel entre les civilisations et préconiser la coexistence pacifique et l’harmonie entre les civilisations, a-t-il proposé.
Nous devons promouvoir le respect de tous les pays dans le choix indépendant de leur voie de modernisation, a ajouté Xi Jinping.
Nous devons défendre l’équité et la justice et améliorer la gouvernance mondiale, a-t-il noté. Les pays du BRICS doivent pratiquer un véritable multilatéralisme, défendre le système international centré sur les Nations Unies, soutenir et renforcer le système commercial multilatéral centré sur l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), et rejeter les tentatives de création de « petits cercles » ou de « blocs exclusifs ».
Nous devons faire avancer la réforme des systèmes financiers et monétaires internationaux et augmenter la représentation et le droit à la parole des pays en développement, a déclaré Xi Jinping. »
Les États-Unis, ainsi que tout le bloc occidental aligné sur la superpuissance américaine, sont directement visés. Il est fait allusion de manière très claire à la guerre en Ukraine entre l’Otan et la Russie ainsi qu’à la domination économique américaine au moyen du dollar et des embargos ou sanctions économiques. La République populaire de Chine prépare également très clairement le terrain en vue d’un affrontement direct avec les États-Unis sur la question de Taïwan.
Mais cela va plus loin que cela, car la Chine s’imagine pouvoir peser durablement et mise particulièrement sur le développement de l’Afrique au 21e siècle.
« En se concentrant sur le thème du sommet « Les BRICS et l’Afrique : Partenariat pour une croissance mutuellement accélérée, un développement durable et un multilatéralisme inclusif », les dirigeants des cinq pays BRICS ont eu un échange de vues approfondi et sont parvenus à un large consensus sur la coopération entre les BRICS et les questions majeures internationales d’intérêt commun.
Les parties sont d’avis que les BRICS doivent renforcer leur solidarité, continuer à embrasser l’esprit d’ouverture, d’inclusion et de coopération gagnant-gagnant, accélérer l’expansion des BRICS, rendre le système de gouvernance mondiale plus inclusif, plus juste et plus équitable, et promouvoir la multipolarité dans le monde.
Les BRICS doivent se soutenir sur les questions concernant les intérêts fondamentaux de chacun et respecter les voies de développement choisies indépendamment par les pays et adaptées à leurs réalités nationales.
Les BRICS doivent contribuer à accélérer la réforme du système financier et monétaire international, augmenter la représentation et le droit à la parole des marchés émergents et des pays en développement, faire progresser le développement durable et promouvoir une croissance inclusive. »
Depuis Johannesbourg, avec l’élargissement à d’autres pays, il devient évident que l’alliance des Brics n’est plus un regroupement informel, secondaire et de circonstance ; c’est un outil de développement pour l’hégémonie de la superpuissance chinoise en concurrence avec la superpuissance américaine.
C’est aussi, voire surtout en ce qui nous concerne en France, le marqueur de la dégringolade de la puissance américaine et de la fin de l’occident ! Non pas qu’il faille croire en l’hégémonie chinoise qui serait « meilleure » (si tant est qu’elle puisse se réaliser d’ailleurs), mais il faut se réjouir et appuyer l’effondrement occidental ; ce sera là le salut de la Gauche, la vraie, pour un monde qui doit changer de base!
Le groupe Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud (Brics) s’est élargi à l’occasion de son 15e sommet en Afrique du Sud, à Johannesburg, du 22 au 24 août 2023. Un tel événement, une année et demie après le début du conflit armé entre la Russie et l’Ukraine, reflète la vague de fond qui est l’affirmation historique du tiers-monde contre l’hégémonie de la superpuissance américaine. Non seulement il n’y a pas d’alignement sur cette dernière, mais il y a même un soutien appuyé à son concurrent, la superpuissance chinoise.
La raison de cela, c’est que l’incroyable croissance du capitalisme dans la période 1989-2020, désormais brisée par la crise, a produit un développement massif de trop de pays pour que l’équilibre des forces ne soit pas remis en cause. L’affrontement sino-américain ne concerne pas que les États-Unis et la Chine. Tous les pays du monde participent, à leur échelle, à la grande bataille pour le repartage du monde.
Les BRICS forment le camp des outsiders les plus affirmés. Et les pays membres vont être rejoints en 2024 par l’Arabie saoudite, l’Égypte, les Émirats arabes unis, l’Argentine, l’Iran et l’Éthiopie.
L’exemple de l’Arabie Saoudite est très parlant. Son État a été construit littéralement artificiellement par les États-Unis en raison du pétrole. C’est tellement un satellite néo-colonial que lorsque Ben Laden avec Al-Qaïda tente une révolte justement néo-coloniale contre les États-Unis, cela n’a aucun impact véritable. Et vingt ans après les attentats du 11 septembre 2001, l’Arabie Saoudite s’émancipe de la tutelle américaine pour partir à l’aventure.
Autrement dit, des pays à moitié féodaux, largement soumis économiquement aux pays « riches », deviennent tout de même assez riches pour chercher à tirer leur épingle du jeu. En Argentine, le peuple est dans la misère, mais le pays a atteint une masse suffisamment grande pour tenter de rentrer dans le grand jeu.
Tel est l’appel d’air fourni par en priorité la Chine, mais également la Russie (à travers sa taille et ses ressources), à quoi s’ajoutent l’Inde qui est concurrente de la Chine mais a besoin d’espace face aux États-Unis, le Brésil qui se verrait bien dominer l’Amérique du Sud, l’Afrique du Sud qui aimerait bien devenir la puissance dominante dans la partie Sud de l’Afrique.
Toute une série de pays est d’ailleurs à la porte des BRICS. On parle ici des pays suivants en première ligne, même si la liste n’est pas précisément fixe : Afghanistan, Algérie, Angola, Bahreïn, Bangladesh, Biélorussie, Gabon, Indonésie, Kazakhstan, Mexique, Nicaragua, Nigeria, Pakistan, République démocratique du Congo, Sénégal, Soudan, Syrie, Thaïlande, Tunisie, Turquie, Uruguay, Venezuela, Zimbabwe. Les prochains adhérents seront certainement l’Algérie et le Nigeria, l’Indonésie et la Thaïlande.
Il va de soi que l’intégration des prochains pays est déjà programmé. Le fait d’avoir intégré un pays latino-américain, deux pays africains, trois pays moyen-orientaux, est un signal fort. Il s’agissait de souligner un peu l’interventionnisme sur le continent américain (chasse gardée des États-Unis selon la doctrine Monroe en 1823), beaucoup la perspective africaine, à la folie la mise à la disposition des ressources en pétrole et en gaz.
Ce qui est dit, c’est : « nous avons la masse en termes d’habitants, nous avons le grand poids lourd économique chinois et le grand poids lourds en ressources russe, le moyen-orient se moque de qui dominera du moment qu’il est de la partie, vous avez tout à gagner à nous suivre. »
Le conflit armé en Ukraine a fourni la première étape de la grande remise en cause, la question de Taïwan en fournira la seconde. C’est la fin de l’occident qui se joue.
Le président français Emmanuel Macron a tenté de rendre visite au sommet des BRICS : il s’est fait recaler. La France est désormais clairement considérée comme un simple satellite américain. Elle est en première ligne pour l’intégration de l’Ukraine dans l’Union européenne et dans l’Otan. Ce qui est tenté, c’est un partenariat France-Ukraine pour remplacer l’Allemagne comme force principale en Europe. Pour cette raison d’ailleurs, la droite allemande rage totalement du soutien « trop faible » du gouvernement socialiste allemand au régime ukrainien. L’extrême-Droite exige par contre une alliance avec la Russie.
Le président russe Vladimir Poutine n’a pas pu venir au sommet des BRICS non plus, en raison des poursuites pénales promues par l’occident, par l’intermédiaire de la Cour pénale internationale. C’est le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, qui l’a remplacé, afin d’éviter à l’Afrique du Sud de se retrouver dans un imbroglio juridique international.
Les pays membres ou futurs membres des BRICS ne veulent que prendre la place des pays riches. Cependant, ils affaiblissent historiquement l’ordre mondial, ils contribuent à la remise en cause de l’occident. Et ils portent une pierre bien trop lourde pour eux. La remise en cause totale de l’hégémonie américaine n’impliquera pas l’affirmation de la Chine (ou bien de manière très temporaire), mais bien du Socialisme, car c’est l’ensemble du système capitaliste mondial qui sera totalement ébranlé.
C’est la fin de l’occident et cette fin implique la fin du capitalisme. Et si l’occident croit dans sa quasi intégralité que tout restera tel quel, c’est en raison de l’aveuglement propre à une force en décadence. Le monde a totalement changé depuis 2020, il continue de changer et il ne s’arrêtera plus de changer jusqu’à l’effondrement général du capitalisme !
L’armée russe s’est retirée de la rive gauche du Dniepr, abandonnant la ville de Kherson, ayant initialement 300 000 habitants et prise dès le début de « l’opération spéciale ». Les plus de cent mille habitants restant ont été déplacés vers l’Est, suivis de 20 000 soldats environ.
La carte suivante montre la difficulté qu’il y avait à défendre Kherson, ainsi qu’à l’approvisionner, alors que le Dniepr comme ligne de défense apparaît comme tout à fait idéal du point de vue russe.
La carte de l’armée française (au 9 novembre) montre à quoi cela ressemble de manière plus générale pour la ligne de front.
Les réactions à ce repli sont très intéressantes. Les commentateurs militaires occidentaux sont frappés de deux choses : déjà la froideur de la décision, montrant la « rationalité » du régime russe, ensuite le caractère impeccablement réussi du repli militaire.
Naturellement, les commentateurs médiatiques parlent de défaite russe majeure, etc., mais c’est là une propagande classique, que ne croient que ceux qui ne réfléchissent pas, à l’instar de « Révolution permanente » qui y voit une « débâcle » russe avec un régime qui serait même au bord de l’effondrement.
En réalité, quand on regarde sérieusement les choses, on s’aperçoit que tout cela est très intelligent et, surtout, placé sur le moyen terme. Pour s’en convaincre sans rentrer dans trop de détails, il suffit de constater un seul phénomène.
Comme on le sait, la Russie est membre d’un partenariat avec le Brésil, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud. Cela représente, pour des données chiffrées, 42 % de la population de la planète et environ 25 % du PIB mondial. C’est ce qu’on appelle les BRICS.
Or, l’Algérie vient de demander à intégrer les BRICS. Pareil pour l’Arabie Saoudite, ainsi que l’Argentine et l’Iran.
L’Indonésie va officialiser sa demande très prochainement. Les BRICS viennent également de proposer au Sénégal d’intégrer les BRICS pour représenter l’Afrique de l’Ouest.
Et les ministres des finances du Nigéria, du Kazakhstan, de Thaïlande, des Emirats Arabes Unis, du Nicaragua (et d’ailleurs du Sénégal) étaient présents à la réunion des BRICS de mai 2022.
La Turquie, l’Égypte et l’Afghanistan sont également intéressés. On se doute que le Mexique serait forcément tenté mais qu’il ne le peut pas de par sa position, mais ce pays n’applique pas de sanctions à la Russie.
On comprend alors très bien le jeu russe : il suffit de tenir, de viser le moyen terme. L’affaiblissement européen avec la crise de l’énergie, les complications du côté de la superpuissance américaine… tout cela est excellent et la Russie a voulu simplement agir en premier afin de tirer les marrons du feu, en anticipant une situation de crise terrible ouverte en 2020.
Le retrait de Kherson n’est pas compréhensible sans saisir cette dimension du moyen terme. C’est l’affrontement sino-américain qui est la clef de tous les événements de la décennie – la Russie l’a comprise en premier.