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Socialistes et communistes, l’un miroir de l’autre

Pour les communistes, les socialistes sont des communistes qui n’ont pas tout compris. Pour les socialistes, les communistes sont des socialistes qui pensent trop avoir tout compris. C’est la clef d’une différence historique, qui se maintient encore, même si de manière bien différente dans notre pays.

SPD Rosa Luxemburg

Après la révolution russe, Lénine n’a cessé de pester contre les communistes des pays occidentaux, c’est-à-dire les socialistes qui ont été d’accord avec lui. C’est paradoxal : il est mécontent des gens qui ont rompu avec ce qu’ils avaient été et qui adoptent ses propres positions ! Mais la raison de cela est très simple à comprendre. Il avait vu que la social-démocratie était un mouvement de masse et que seule une partie était devenue communiste.

Voilà pourquoi il disait aux communistes, ex-socialistes, d’aller chercher les autres. Sauf qu’évidemment, les communistes ne comptaient pas du tout le faire. Ils n’étaient tout de même pas devenus communistes pour aller avec les socialistes, qui eux justement refusaient de devenir communistes. Alors, ils ont refusé, ou bien fait semblant, ou bien traîné des pieds.

On notera que Rosa Luxembourg avait constaté le même problème lors de sa fondation du Parti Communiste d’Allemagne – Spartacus. On est trop peu, on est loin d’avoir les masses avec nous, disait-elle en substance. On s’en fout, répondaient en substances les ultras. La différence est que Lénine avait lui centralisé tous les partis communistes dans l’Internationale Communiste.

Pas une, pas deux, Lénine leur force la main. Il fait donc en sorte d’éjecter des nouveaux partis communistes tous les « ultras », publie Le gauchisme, maladie infantile du communisme, force les communistes à s’allier avec autant de forces que possible, notamment en Allemagne. Ceux qui ne sont pas contents peuvent aller voir ailleurs, et le font (cela donnera les bordiguistes italiens, les conseillistes hollandais et allemands, plus tard les trotskistes français, etc.)

Les socialistes s’en aperçoivent bien, évidemment. Alors ils font monter les enchères et disent que si les communistes ne cessent de se tourner vers eux, c’est qu’au fond ils savent qu’ils se trompent. Les communistes leur répondent en les traitant de salauds ou de traîtres, ou bien les deux. Les socialistes les accusent d’être des charlatans, des autoritaires, voire pire. Tout continue ainsi, jusqu’à la catastrophe allemande, qui met tout le monde d’accord.

Front populaire

C’est alors le Front populaire, né par en bas, par la pression des socialistes et des communistes, dont les associations populaires fusionnent alors. Cela deviendra le modèle pour les communistes et pour certains socialistes, surtout après 1945 dans les pays de l’Est. D’autres socialistes considèrent par contre alors que la fracture est complète et irrémédiable et rejettent les communistes de manière formelle. Cela sera le cas dans les pays occidentaux, notamment en France, jusqu’en 1981.

Les communistes sont-ils alors les mêmes ? Les socialistes sont-ils alors les mêmes ? Et y a-t-il encore aujourd’hui, au sens strict, historique, au-delà des mots, des socialistes et des communistes ? En tout cas, on ne peut pas comprendre les uns sans comprendre les autres. Forcément, les deux relèvent du mouvement ouvrier et il n’y a qu’un mouvement ouvrier.

Il est ainsi inévitable qu’à l’avenir, les identités socialiste et communiste ressurgissent, comme fruit historique du patrimoine du mouvement ouvrier. Mais cette fois, il ne faudra pas faire les mêmes erreurs, qui ont coûté si cher. Le Fascisme n’aurait jamais gagné en Allemagne si toute la Gauche avait agi collectivement, massivement, de manière unanime. À un moment, il faut bien assumer si on veut que la Gauche gagne, et si on est prêt à assumer que pour la Gauche gagne, il ne faut qu’il y ait plus que la Gauche, car inévitablement la Droite bascule du côté de l’extrême-Droite.

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L’étape pour aller au Socialisme existe-t-elle ?

C’est un débat intéressant qui se joue à l’arrière-plan de certaines structures de Gauche. Intéressant et ô combien important sur le plan des batailles d’idée, puisqu’il s’agit pas moins de savoir comment le Socialisme peut être mis en place. Existe-t-il une étape préalable et si oui laquelle ? Si la question n’est pas d’actualité au sens strict, elle détermine la définition même d’engagement à Gauche pour beaucoup de monde.

C’est un thème vraiment intéressant, mais aussi très compliqué. Aussi est-il assez rassurant, finalement, de voir des gens se posent des questions d’un tel niveau en 2019. Cela montre qu’il y en a qui réfléchissent, cherchent à montrer des perspectives. De quoi s’agit-il précisément ?

Déjà, précisons que cela concerne la Gauche historique dans son ensemble, tant les socialistes que les communistes. Il s’agit en effet de savoir comment le Socialisme peut s’instaurer. Cela se passe-t-il directement, ou bien y a-t-il des étapes ? Historiquement, ce qu’on appelle les « gauchistes » disent : pas d’étapes, mais la révolution permanente. La très grande majorité dit : non, il y a des étapes.

Le Parti Communiste Révolutionnaire de France (PCRF), né en 2016 d’une structure de la gauche du PCF et l’ayant quitté grosso modo dans les années 1990, a publié une longue analyse de la question, qui vaut la peine d’être lu. Elle s’intitule « L’étapisme » : une question stratégique fondamentale.

Le PCRF rejette formellement la notion d’étape. En voici un extrait, qui ne résume pas toute l’approche, mais est exemplaire de l’esprit posé.

« Il n’y a pas d’autre alternative susceptible de l’emporter que la révolution socialiste. Pourquoi ? Parce que l’ère que nous vivons est celle du passage du capitalisme au communisme (étape socialiste). Nous venons (le prolétariat et son avant-garde) de subir une défaite historique, il faut reconstruire le mouvement révolutionnaire, redonner à la classe ouvrière sa confiance en elle, mais pour autant nous n’avons pas changé d’ère !

Est-ce que cela veut dire que la situation est révolutionnaire ? Non. Cela veut dire que l’objectif qui doit guider notre stratégie, c’est la révolution socialiste, et que nous ne devons pas nous préparer à une « étape » politique de transformation sociale. Ce qu’il faut, c’est avancer un programme, à plus ou moins court terme, (et à l’heure actuelle c’est plutôt moins, hélas…) programme qui mobilise la classe ouvrière et l’ensemble des travailleurs contre la politique du Capital, pour la satisfaction des revendications et des besoins fondamentaux, pour les droits démocratiques, en aidant à comprendre que pour gagner vraiment, c’est le capitalisme qu’il faut renverser.

C’est d’ailleurs dans cette perspective, dans nulle autre sur le plan purement stratégique (donc programmatique), que le PCRF se prononce pour la rupture avec l’Union Européenne.

Et pour rassurer ceux qui auraient besoin de l’être, il y aura des étapes :
reconstruire le parti, unifier les communistes, redonner son contenu de classe au syndicalisme, reconstruire un mouvement pour la paix reposant la bataille contre l’impérialisme … Mais pas d’étape genre « démocratie avancée » ou « République sociale » ouvrant la marche au socialisme, car nous pensons que c’est la voie de garage : cela part de l’idée que la gestion des affaires de la bourgeoisie (c’est son appareil d’État) pourrait assurer les intérêts du prolétariat ! »

Encore une fois, l’analyse vaut la peine d’être lue. Mais opposons là ici à deux analyses affirmant, justement, qu’il y a bien une étape nécessaire. Ces deux analyses se veulent un « retour » à la position du mouvement communiste des années 1950, mais pas de la même manière.

Commençons avec le Pôle de Renaissance Communiste en France (PRCF). Pour lui, le « Frexit progressiste » est justement une étape nécessaire et inévitable. Cette position est souvent considéré comme relevant d’un certain souverainisme de gauche. Il y aurait l’étape nationale, et ensuite l’étape sociale, pour ainsi dire.

Voici un extrait de son argumentation, qu’il faut lire en entier pour bien saisir les tenants et aboutissants, bien entendu, et éviter tout malentendu.

« Dans ces conditions, contre Macron-MEDEF, l’UE et Le Pen, il faut réactualiser la belle alliance du drapeau rouge et du drapeau tricolore que portait jadis le véritable PCF : l’enjeu est de remettre le monde du travail au centre de la vie nationale dans la perspective du Frexit progressiste, de l’Europe des luttes et du socialisme pour notre pays. C’est pourquoi en cet anniversaire du 29 mai 2005, le PRCF appelle,

Les communistes à s’unir, indépendamment de la direction du PCF-PGE, sur une stratégie claire et nette de sortie par la gauche de l’euro, de l’UE, de l’OTAN et du capitalisme, sans perdre de vue l’urgence de reconstruire ensemble le parti communiste de combat dans notre pays.

Les syndicalistes de classe à construire le tous ensemble en même temps ; sans craindre les directions confédérales euro-formatées, tendons la main aux gilets jaunes et osons contester radicalement la « construction » européenne du capital

Les progressistes opposés à l’UE, à s’unir pour l’indépendance nationale, le progrès social, la démocratie et la paix en combattant d’un même élan ce président radicalement illégitime, l’ « alternative » mortelle du FN et cette UE du grand capital rivée à l’OTAN qui détruit notre pays, ses libertés et ses acquis sociaux.

Les progressistes opposés à l’UE, à s’unir pour l’indépendance nationale, le progrès social, la démocratie et la paix en dénonçant cette UE atlantique de plus en plus fascisante qui détruit notre pays et ses acquis sociaux (…).

Dans cet esprit, le PRCF continuera

– A aller au plus près des travailleurs, tout particulièrement de la classe ouvrière, notamment vers les entreprises et vers les manifestations de lutte

– A dialoguer avec tous les communistes, les patriotes progressistes et les syndicalistes de classe avec des propositions pour agir

– A échanger à l’international avec tous les communistes et progressistes d’Europe qui s’opposent clairement à la fois à l’UE et aux forces néofascistes

– A débattre avec les intellectuels de plus en plus nombreux qui comprennent que l’UE n’est pas un rempart du « progressisme », mais un puissant accélérateur de la casse sociale, de fascisation et de marche aux guerres impérialistes. »

Le PRCF parle de « la belle alliance du drapeau rouge et du drapeau tricolore que portait jadis le véritable PCF », ce qui est une allusion au PCF de Maurice Thorez. Il s’agit de retourner à la ligne des années 1960. Évidemment, les maoïstes considérant que Maurice Thorez n’a pas été un grand dirigeant du tout, ils remontent plus loin dans anti-monopoliste dl’interprétation d’un PCF idéal posant correctement la notion d’étapes.

Voici comment posent la question les maoïstes du PCF (mlm) :

« La démocratie populaire, en brisant le pouvoir des monopoles et des grands propriétaires terriens, frappe le mode de production capitaliste en son cœur. Cela satisfait à la fois les intérêts de la classe ouvrière, mais également de la petite-bourgeoisie qui n’est plus alors sous le joug des monopoles.

Naturellement, la petite-bourgeoisie veut de son côté développer le capitalisme, cependant elle ne peut plus le faire de manière suffisamment ample pour devenir une bourgeoisie, avec des monopoles qui se reforment. De plus, la part principale de la production se fait par l’intermédiaire des monopoles anciens qui n’ont en effet pas été démantelés, mais socialisés. Cela présuppose bien entendu un État au service des larges masses, avec la classe ouvrière organisée comme force décisive historiquement.

La démocratie populaire se présente donc comme l’étape adéquate pour rassembler suffisamment les larges masses pour briser les monopoles et ouvrir la voie au socialisme.

Le Parti Communiste de France (marxiste-léniniste-maoïste) affirme que l’objectif actuel n’est pas la révolution socialiste, mais la démocratie populaire comme étape historique obligatoire dans le cadre du capitalisme avancé (…).

Pour synthétiser :

a) la révolte de la petite-bourgeoisie n’a de valeur historique que si elle se place en décalage par rapport au mode de production capitaliste, et donc qu’elle se place dans l’orientation portée par la classe ouvrière :

b) sans cela, elle va dans le sens d’un vecteur du fascisme comme mouvement romantique de masse cherchant à la neutralisation des contradictions :

c) le Front populaire contre les monopoles, contre le fascisme, contre la guerre, est l’orientation politique des communistes ;

d) l’établissement de la Démocratie populaire est le programme politique des communistes. »

Voilà bien une question épineuse, qui a plusieurs réponses. Pas d’étapes d’un côté, de l’autre une étape, mais pas la même : Frexit progressiste anti-UE pour les uns, front populaire antifasciste anti-monopoliste de l’autre. Il y a de quoi réfléchir !