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Sept jours en mai, de John Frankenheimer

Sept jours en mai est un film américain du réalisateur John Frankenheimer sorti en 1964 et qui s’inscrit dans ce qui sera plus tard nommé sa « trilogie de la paranoïa”, au côté d’Un crime dans la tête (1962) et L’Opération diabolique (1966).

Alors que la tension de la guerre froide atteint son paroxysme en 1962 avec la crise des missiles de Cuba, la crainte d’une guerre nucléaire se propage largement dans le monde et aux États-Unis tout particulièrement. 

Ainsi dans les années qui suivent un certain nombre de films vont s’emparer de ce thème. Rien que sur l’année 1964 on peut notamment citer Docteur Folamour de Stanley Kubrick, Point Limite de Sidney Lumet et Sept jours en mai

Probablement le moins connu des trois, adapté du roman du même nom écrit par Fletcher Knebel et Charles W. Bailey II, il n’en demeure pas moins captivant à la fois en tant qu’objet cinématographique et témoignage de son époque. 

Plusieurs thématiques cher à John Frankenheimer se trouvent ainsi mêlés dans ce thriller politico-militaire qui imagine un futur proche où un général américain va tenter de monter un coup d’état afin d’empêcher la fin de la guerre froide et le démantèlement de l’arsenal nucléaire entériné par les présidents américain et soviétique.

On y retrouve, comme dans le film de Sidney Lumet, le même discours sur l’inéluctabilité d’une guerre atomique tant que ces armes existent et sur le danger que celles-ci représentent pour le monde entier. Comme le dit une des pancartes d’un des manifestants au tout début du film Peace on Earth, or No Earth at all (Paix sur Terre, ou pas de Terre du tout). 

John Frankenheimer y ajoute une critique de la paranoïa de l’époque, et des années qui ont précédé, le sénateur McCarthy (instigateur de la “chasse aux sorcières” dans les années 1950) étant d’ailleurs ouvertement nommé.

Cette hystérie anti-rouge fut d’ailleurs le thème central de son précédent film Un crime dans la tête.

L’aspect paranoïaque et ici plus diffus mais non moins présent tout du long par l’excellente mise en scène de John Frankenheimer, tantôt oppressante, tantôt à nous faire douter de la réalité du complot.

Deux célèbres acteurs se partage l’écran : Burt Lancaster dans le rôle du général complotiste, et Kirk Douglas, un colonel sous les ordre du premier qui va tenter de mettre à jour le coup d’État.

Opposition de deux stars, qui partage pourtant dans le film la même opinion sur la fin de la guerre, mais dont la dissension nait de leur vision contradictoire de la république états-unienne et de sa démocratie. 

Alors qu’on pourrait le qualifier de film d’anticipation, John Frankenheimer donne une représentation très réaliste des évènements, agrémenté de séquences à la mise en scène troublantes, déstabilisantes, instaurant une ambiance de doute et de peur servant son propos.

Il ne faut pas non plus oublier qu’un an avant la sortie du film a lieu un autre immense choc dans l’histoire des États-Unis avec l’assassinat du président John Fitzgerald Kennedy.

Avec son propos pacifiste, aspirant à sortir au plus vite de l’ère nucléaire où les hommes n’ont plus de prise sur leur survie, et son rappel des valeurs démocratique, John Frankenheimer livre une œuvre intense, profondément ancré dans les tourments de son pays et de son époque, mais qui dépasse largement les frontières géographiques comme temporels.

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«V» les visiteurs, le modèle idéologique des complotistes

Cette série des années 1980, à la fois ridicule et stupide, fournit la base même de l’approche « dissidente » des complotistes.

Produite entre 1983 et 1985, « V » est une série qui fournit tous les éléments de la démarche complotiste. Cela n’est pas dû à l’intelligence du script ni au jeu des acteurs, le tout étant d’une nullité indiscutable. C’est que la série reflète l’esprit violemment anti-communiste des États-Unis des années 1980, dont Star Wars est un exemple bien connu.

Le schéma est toujours la même. D’un côté, des populations diverses, désordonnées mais créatives, avec des individus authentiques et plein d’initiatives… De l’autre, une machine froide et anonyme, pratiquement robotique et en tout cas sans états d’âme, dont le but est d’absolument tout uniformiser.

La série « V » a toutefois une particularité qui la distingue de Tron, Rambo II, Rocky IV, Star Wars, Top Gun, etc. En effet, dans tous ces films l’ennemi est parfaitement identifié. Ce qui fait la particularité de « V », c’est sa dimension paranoïaque. On a des envahisseurs extra-terrestres voulant prendre l’eau sur Terre et manger les humains.

Au sens strict, un film comme « They live » (Invasion Los Angeles), de John Carpenter et sorti en 1988, est strictement équivalent. Seulement « They live » possède une dimension satirique, sa dénonciation de la société de consommation prime sur le reste, l’ambiance est à une révolte autant contre « l’occupant » que contre les gens qui acceptent d’être hypnotisés.

On a rien de tout cela dans « V », qui se veut le portrait de résistants se formant sur le tas. On a le même principe dans le film de John Milius de 1984, L’aube rouge, où une poignée de jeunes américains organise la guerre de guérilla contre l’occupant soviéto-cubain. Quelque chose vient s’ajouter pourtant : les « visiteurs » se déguisent en humains, alors qu’ils sont des « reptiliens ».

Ces « reptiliens » déguisés en humains, cela ne tient pas debout et la scène d’une reptilienne déguisée en humaine en train d’engloutir un cochon d’Inde vivant en deux secondes est d’une stupidité complète.

On a toutefois tous les ingrédients pour la conception d’un régime d’occupation par des forces inhumaines. Les théories nazies avaient déjà ce principe d’une « occupation » intérieure et après 1945, elles allèrent encore plus loin avec la théorie du « ZOG » (Gouvernement d’occupation sioniste). « V » apporta une inspiration en plus.

L’Anglais David Icke a ainsi directement repris la thèse au début des années 1990, avec un succès important, pour expliquer que des reptiliens extra-terrestres créés génétiquement cherchent à prendre le contrôle de planète Terre, composant notamment la famille Rothschild et la famille royale britannique, etc.

C’est aberrant, mais là n’est pas la question. Ce qui compte, c’est le modèle paranoïaque, digne des folies furieuses des années 1920 dans toute l’Europe, surtout en Allemagne. La petite-bourgeoisie avait besoin de dénoncer le capitalisme sans le dénoncer, de mobiliser les ouvriers en sa faveur, mais sans remise en cause de la propriété.

On parle évidemment de cas extrêmes mais, en même temps, le petit parti nazi totalement délirant est devenu un mouvement de masse et la SS, avec des fantasmes mystiques complètement fous, a été un organe d’État extrêmement puissant. Des millions et des millions de personnes ont perdu la vie à cause de cette idéologie servant de levier aux conquêtes nazies.

« V » n’est évidemment pas une série raciste et, d’ailleurs, il y a des allusions contre le racisme et l’antisémitisme, le nazisme est clairement dénoncé par la bande. Cependant, cette idée d’une armée d’occupation non pas « neutre », mais particulièrement agressive, avec des « dissidents » cherchant à lutter contre un ennemi invisible… on a exactement la psychologie des complotistes.

Des fanatiques des thèses nazies à l’ancienne aux gilets jaunes, des partisans de l’antisémitisme « réconciliateur » d’Alain Soral aux tenants de la quenelle, on retrouve la même logique : le système est inhumain et porté par des forces occultes, à la fois anonymes et assassines. Toute l’Histoire est mensongère, toutes les informations sont trompeuses et il faut diffuser une dissidence dont les contenus sont, par définition même, aussi flous que la petite-bourgeoisie comme classe sociale.

« V » les visiteurs est ainsi une série très intéressante, au-delà de sa nullité, car elle présente des caricatures psychologiques qu’on retrouve justement chez les complotistes. Il y a bien plus d’intérêt à cela, à saisir la nature sociale du phénomène que de perdre son temps à « expliquer » comme le font les « décodeurs » du Monde et autres anti-complotistes tout autant petit-bourgeois que les complotistes.