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Les Balkans pleurent Djordje Balasevic

Tous les Balkans sont frappés au coeur par la perte de Djordje Balasevic, leur immense chansonnier populaire.

Nous sommes en 1998 et le chanteur Djordje Balasevic, qui vient de Serbie, est en concert à Sarajevo, ville qui a été assiégée par la Serbie lors de la fratricide guerre née de l’implosion de la Yougoslavie. Les menaces ont été nombreuses de la part de Serbes, mais lui a simplement dit:

« Sarajevo a eu peur pendant des années, je peux bien avoir peur deux jours »

C’était une affirmation internationaliste de la plus haute valeur de celui qui a composé la merveilleuse chanson anti-guerre « Samo da rata ne bude », un terrible appel à ce qu’il n’y ait pas la guerre, que tout arrive, mais pas la guerre!

Qu’il ne s’arrête pas de pleuvoir, que le temps recule, que les étoiles changent sauvagement leurs courses, que les océans débordent, que les montagnes se déplacent, que les vents emportent tout, que les volcans se réveillent, mais pas la guerre!

https://www.youtube.com/watch?v=tJS_5LR3Mb8&feature=youtu.be

Cette chanson date de 1987. Et à cette époque, tout le monde savait déjà que la Yougoslavie allait s’effondrer et qu’on allait s’égorger. La haine avait été redynamisée par les poisons nationalistes assassinant les cœurs des peuples de ce pays. Seule une poignée, comme Djordje Balasevic, a toujours refusé de se définir autrement que comme yougoslave.

On trouve d’ailleurs sur la page youtube de cette vidéo un commentaire qui résume cet esprit balkanique, avec les drapeaux des successeurs à la Yougoslavie et des petits cœurs. Il est difficile de comprendre en France ce qu’un tel acte a de terriblement subversif, au point d’être physiquement dangereux pour la personne l’ayant publié. La haine la plus implacable a hypnotisé les peuples de l’ex-Yougoslavie, avec un chauvinisme criminel, démesuré, assassin.

Lorsqu’il y a eu la finale France-Croatie à la coupe du monde en 2018, Novak Djokovic (qui est Serbe) a expliqué qu’il aimerait voir la Croatie gagner. Malgré qu’il soit un tennisman parmi les meilleurs mondiaux et très respecté pour cela en Serbie, les réactions ont été terribles. Les nationalistes sont extrêmement puissants, violents, dans un pays corrompu où les mafias sont omniprésentes et les meurtres politiques nombreux, où l’émigration est massive, où plus rien ne tient.

Mais il reste un petit noyau dur, populaire et internationaliste, qui parfois reprend le dessus. Lorsqu’il y a eu l’annonce de la mort de Djordje Balasevic, le 19 février 2021 des suites du COVID, toute la Serbie en a parlé. Mais pas seulement : c’est vrai également de tous les pays de l’ex-Yougolsavie. Ils ont été obligé d’en parler, tellement Djordje Balasevic est respecté du peuple, pour ce qu’il représente.

Il a été le fer de lance culturel de la partie non contaminée par le nationalisme fou et assassin que Djordje Balasevic dénonçait déjà en 1988, comme ici dans Requiem.

« Si jamais je passe dans les rues avec ton nom
Je pense toujours à cette chanson
Je ne la change plus depuis des années
Ce vieux refrain dont plus personne n’en a besoin
Et les gens se rappellent mal des chansons, commandant [Tito]…

Il reste dans les livres et les histoires sur nous
Les Balkans [sont] à la fin d’une époque
Chaque tribu se dessine une frontière
Toutes veulent leur propre camp
Les rêves fondent comme les glaciers, commandant…

Aux frontières il y a de nouveau des drapeaux
Le monde est comme ailleurs
Et les enfants sont enlevés des cours pour voir les ouvriers affamés
Et où sommes-nous, les naïfs
Pourquoi nous sommes-nous soulevés en entendant « Hej Sloveni »
[« Hé, les Slaves » : chanson tchèque de 1834 devenu l’hymne de l’unité slave,
adoptée en Yougoslavie en 1945 et finalement reconnu hymne officiel en 1977]

Comme si nous avions été inventés avec cette histoire…
Les temps sont durs pour les gars comme moi
Qui s’occupent de leurs affaires…
Je ne suis pas une marionnette dont on peut faire ce qu’on veut
Je n’ai que la Yougoslavie…

Djordje Balasevic était un vrai Yougoslave : d’une mélancolie romantique engloutissant tout, burlesque, emporté et avec une profonde fibre sociale populaire, ancré forcément dans les mélodies populaires et horrifiées par les phénomènes superficiels lessivant la culture (comme l’est en grande partie le « turbo folk »). Né en Voïvodine, largement marqué par la Hongrie (et avec une importante population hongroise), il a porté pendant plusieurs décennies des chansons populaires, accessibles et hautement développées.

« Je n’aime pas le mois de janvier ni les diables de l’hiver blanc
Partout dans la neige je vois les mêmes traces de petits pas
A nombre de trente et qui sait partant lentement

Je ne vais plus désormais rue Dositej
Je ne sais pas où c’est quand quelqu’un me demande où elle est
Les deux-cent six pas à cette rue
Que je n’ai jamais compté

Je ne t’ai jamais protégé
Je ne t’ai jamais caressé
Je n’ai jamais pris soin de toi
J’ai marché sur ton amour
J’ai simplement tout compté »

On a tout dit de son caractère national quand on voit son album Dnevnik starog momka. Chaque chanson consiste en un nom féminin, la première lettre de chaque formant « Olja je najbolja », soit Olja est la meilleure : il s’agit évidemment de sa femme Olivera.

La perte de Djordje Balasevic marque la fin d’une époque. Le rêve yougoslave a été englouti par les nationalismes, la situation est dramatique. Et les problèmes remontent à loin : à Tito qui a fait le choix du bloc occidental à la fin des années 1940 et monté indirectement les peuples les uns contre les autres (ce que Djordje Balasevic n’a pas vu), et au-delà aux divisions provoqués auparavant par l’Autriche-Hongrie et l’empire ottoman…

Djordje Balasevic est un jalon sur le long parcours de l’amitié et de l’unité des peuples des Balkans… Son dernier concert aura eu lieu en décembre 2019 à Zagreb, en Croatie. Tout un symbole.

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Société

Une victoire à la coupe du monde de football sans panache français

Quiconque a porté son attention aux désirs des masses sait que depuis le début de la coupe du monde de football, il y a un grand désir de communion qui est exprimé. Naturellement, le traumatisme des attentats islamistes a beaucoup joué et il y a eu une envie de ferveur, s’exprimant ainsi avec la victoire de l’équipe de France de football.

France - Croatie, Fan zone

 

Mais il y a aussi toute une bourgeoisie trop heureuse de trouver un thème pour fédérer patrons et ouvriers, smicards et financiers !

Être de Gauche, c’est donc comprendre cette joie populaire, sans pour autant sombrer dans la démagogie célébrant une nation parmi les plus riches du monde, où toutes les classes sociales collaboreraient, profitant d’un vivier populaire voyant en le football un rêve américain accessible.

D’ailleurs, l’inculture des footballeurs, dont le mode de vie est toujours décadent et totalement pro-capitaliste, avec un style nouveau riche contribuant à pourrir les banlieues, n’a d’égal que l’absence de caractère français au jeu de l’équipe de France de football.

Mbappé

 

Le pragmatisme a été tellement de rigueur que Kylian Mbappé s’est justifié d’un « moi je suis en final » pour justifier son jeu théâtral face à la Belgique en demi-finale, tandis que le premier but de la finale est issue d’un coup franc consécutif à une faute imaginaire, Antoine Griezmann se laissant tomber par volonté de simulation.

Il y a ici un grand changement dans l’esprit français, qui cautionne désormais ce pragmatisme, alors qu’auparavant il célébrait, de manière bien plus française, la finale gâchée par le coup de tête de Zinedine Zidane contre un joueur italien, sans parler du fameux France-Allemagne ! Perdre avec panache a toujours été un trait du style français !

Impossible de ne pas voir qu’au-delà des aspects permettant l’approche pragmatique – les qualités des joueurs, leur style de jeu, etc. – il y a vraiment une macronisation des esprits, dans le sens d’une volonté de triompher, à tout prix.

L’esprit national disparaît, happé par le cynisme. De toutes façons cet esprit national était condamné à disparaître, mais pas dans le cosmopolitisme capitaliste : dans la rencontre de tous les peuples apportant le meilleur d’entre eux…

Là on en est vraiment très loin. De la même manière que les traditions du Paris Saint-Germain ont été entièrement anéanties par l’achat du club par le Qatar – l’argent est censé acheter la victoire en Ligue des Champions et les supporters n’y voient aucun inconvénient – l’esprit Macron a réduit la devise française à « Liberté Égalité Mbappé ».

Même Le Monde a participé aux premières loges à la valorisation du « teen ager » qui aurait un destin unique, incroyable, en comparaison avec nos propres vies qui sont censées être sans aucune densité.

France - Croatie, Emmanuel Macron

Impossible de ne pas parler non plus de l’omniprésence d’Emmanuel Macron, comme spectateur particulièrement expressif du match, puis à la remise des médailles aux joueurs, où il a pris chacun dans ses bras.

On est là dans une mise en scène qui profite elle-même d’une construction sociale : la structuration de très nombreux clubs de football par un pays très riche utilisant les victoires comme un dispositif idéologique pour assurer son hégémonie culturelle et intellectuelle.

Oui, intellectuelle, car des millions de prolétaires, incapables de lire une ligne de Karl Marx, s’y connaissent sans commune mesure quant aux joueurs, aux tactiques, aux systèmes de jeu !

Il ne s’agit évidemment pas ici de nier la valeur du jeu – bien au contraire, il s’agit d’en défendre l’esprit. Et là, il n’y a donc pas que la beauté du jeu : il y a l’utilisation par un pays riche, il y a un refuge pour un peuple qui inversement a été incapable d’éprouver ne serait-ce qu’un peu d’intérêt au cinquantenaire de mai 68.

Ne pas voir cela serait rater ce qui se passe dans notre pays !