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Culture

Le magnifique vélodrome urbain de Kiev

Un monument d’architecture urbaine et de culture populaire.

Le vélodrome de Kiev a été construit en 1913, au cœur de la ville. Il se situe ainsi à quelques centaines de mètres de la Cathédrale Sainte-Sophie de Kiev, l’un des monuments les plus connus d’Ukraine, juste derrière la rue Bogdan Khmelnitski, du nom d’une figure nationale ukrainienne.

Le cyclisme, venu de France, était alors extrêmement tendance dans l’empire russe. On trouvait à l’époque sur le site un service de location et de réparation de bicyclettes, ainsi qu’au centre de la piste un théâtre d’été nommé Polar Star, avec un orchestre et une cabine de cinéma quelques années plus tard.

Après la Révolution de 1917 et l’avènement de la nation ukrainienne, l’installation sportive a bien entendu été maintenue et utilisée. Juste avant le déclenchement de la Seconde guerre mondiale, un grand projet de rénovation était en cours avec l’idée d’un rattachement du bâtiment de la Maison de la Culture Physique à la piste.

La ville de Kiev fut très touchée par la guerre et la piste sérieusement endommagée. Mais les autorités soviétiques de la ville décidèrent rapidement de la restauration de l’installation, avec notamment un revêtement en béton moderne dès 1949. Différents bâtiments et installations furent construits dans les années suivantes, contribuant à moderniser au fur et à mesure l’édifice qui était très populaire.

Une nouvelle grande étape de rénovation-amélioration eu lieu plus tard en vue des Jeux olympiques de 1980 à Moscou. Le vélodrome avait alors le statut de piste de réserve pour les Jeux olympiques et son revêtement a été entièrement démantelé pour être remplacé par du bois, du mélèze de Sibérie, permettant une vitesse maximale autorisée de 85 km/h. La capacité de l’enceinte fut portée à 5000 places.

À partir des années 1990, le vélodrome de Kiev est progressivement tombé en décrépitude, à l’image de l’Ukraine elle-même, gangrenée par la pauvreté et la corruption. Le revêtement en bois laissé à l’air libre fût sérieusement endommagé, puis remplacé en 1996 par du béton. Le classement du vélodrome comme monument d’histoire et d’architecture en 1998 ne changea rien à la décadence du site et les dernières compétitions se tinrent en 2004.

Le 27 août 2007, par le décret 983/0/16, le ministère de la Culture de l’Ukraine se couvrit d’une honte immense en privant le vélodrome de son statut de monument historique, pour le soumettre à l’appétit féroce des promoteurs immobiliers. Ce qui devait arriver arriva et le 20 mars 2009, une partie de la piste fut démolie dans le cadre de la construction d’un immeuble de luxe.

Cela ne se fit toutefois pas sans heurt et une formidable mobilisation démocratique et populaire s’est mise en place dans la ville pour défendre l’édifice, et surtout le réhabiliter. Portée à la base par une communauté de cycliste liée à des architectes, la mobilisation a été victorieuse.

La rénovation a commencé en 2016, avec au cœur du projet une piste extérieure en béton de qualité conforme à des compétitions de niveau professionnel. Le Vélodrome fut à nouveau inauguré le 20 mai 2017, en présence du maire de Kiev  lui-même.

En juin 2015, un « velokino » (cinéma-vélo) par des cyclistes activistes : l’alimentation électrique était généré en direct en pédalant !

Aujourd’hui, la piste accueille des cyclistes de niveau mondial, régional ou local pour des compétitions, mais est également ouverte à tous, en accès libre. De nombreux événements culturels y ont lieu, comme par exemple des projections de films gratuits en plein air ou des apprentissages au cyclisme pour les enfants.

C’est devenu, en plein cœurs de la ville de Kiev, un bastion populaire, fruit d’un combat démocratique pour la culture, le sport, l’architecture, l’histoire. C’est évidement un modèle à suivre.

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Société

Pourquoi le cyclisme sur piste n’intéresse plus grand monde ?

La semaine prochaine du 12 au 17 novembre auront lieu Les six jours de Gand en Belgique, un des derniers grands événements massifs du cyclisme sur piste en Europe. Mais pourquoi ce sport si spectaculaire, jadis si populaire, n’est aujourd’hui plus que l’ombre de lui-même ?

Les six jours de Gand est une sorte de spectacle figé hors du temps. Pendant 6 jours, sous la clameur d’un stade bondé, chaque soir des cyclistes s’affrontent sur plusieurs épreuves pour cumuler des points avant de se départager sur l’épreuve ultime le dernier soir, la course à l’américaine.

Aucun vélodrome au monde ne réunit encore une telle ferveur. C’était pourtant légion au XXe siècle. Le Vélodrome d’hiver à Paris par exemple, tristement célèbre en raison de l’horrible rafle antisémite des 16 et 17 juillet 1942, était avant ça un stade très populaire, comme on le voit sur cette image :

La course à l’américaine, dont le nom officiel en anglais est la Madison, tiens son nom du Madison Square Garden, où là aussi se déroulaient des épreuves de cyclisme sur piste très populaires.

Aujourd’hui, à part aux Jeux Olympiques tous les quatre ans, le cyclisme sur piste n’intéresse presque plus personne. Les différentes épreuves de courses en peloton ou de sprints sont pourtant très spectaculaires et peuvent être sportivement très intéressantes.

Beaucoup de gens peuvent regarder le Tour de France pendant 5 heures à la télévision alors qu’il ne se passe rien… mais ils ne s’intéressent pas à des courses en peloton sur vélodrome. C’est là quelque-chose d’étonnant. Ces courses sont pourtant palpitantes, variées, avec un grand enjeu tactique immédiatement perceptible et analysable, comme au football, du fait que l’on puisse suivre l’ensemble de la compétition dans les moindres détails.

Comment est-il possible qu’il n’y ait pas en France, pays du vélo, un championnat hivernal professionnel de cyclisme sur piste, avec des courses en peloton qui seraient d’autant plus palpitantes qu’on connaîtrait bien les coureurs, les suivant tous les week-ends pendant une saison ? Avec les moyens techniques d’aujourd’hui, on imagine très bien ce que cela pourrait rendre en vidéo, avec en plus des belles ambiances sur place.

En attendant, les six jours de Gand font ici office de relique du passé. Les coureurs, qui sont parfois parmi les plus célèbres du cyclisme professionnel, sont stationnés  face au public dans des mini-boxes de la taille d’un banc de touche de football avec un petit rideau, héritage d’une époque où les courses de « 6 jours », avaient lieu durant 6 jours… non-stop, 24 heures sur 24 ! Les cyclistes, qui courraient par paire, se relayaient pour y dormir, alors que tout le monde criait, fumait et buvait autour d’eux. On imagine très bien les drogues qu’ils devaient ingurgiter pour tenir.

Cela a évolué depuis bien longtemps heureusement, mais il reste à Gand beaucoup de ce passé, avec ces fameux masseurs qui ne sont pas des kinés (qui sont pour autant très doués) ou ces préparateurs attitrés au ravitaillement des coureurs et ce public massé furieusement au milieu de la piste, que l’on appel la pelouse en référence aux vélodromes extérieurs.

Symbole de cette attitude à l’ancienne, les courses sont en grande partie arrangées à Gand, bien que cela ne soit jamais officiel. C’est la même chose que pour les critériums d’après Tour de France au moins d’août dans les campagnes françaises.

C’est fort dommage et c’est probablement une des raisons expliquant l’abandon du public, bien que la performance sportive n’en soit pas moins réelle et intéressante, malgré cet éternel problème du dopage.

Voici par exemple le show de Mark Cavendish et Bradley Wiggins qui avaient marqué les esprits en 2016 en reportant l’épreuve, avec leur magnifique maillot de champions du monde de la course à l’américaine (titre officiel, contrairement à cette épreuve gantoise donc…) :

https://www.youtube.com/watch?v=EwN_IhBqC2g

Les cyclistes courent par paire et se passent régulièrement le relais à volée, au milieu des autres coureurs, avec une grande dextérité. Voici, la même année, la victoire de la star belge Iljo Keisse gagnant la (folklorique) course derrière derny (une sorte de mobylette) :

Les six jours de Gand se courront encore cette année à guichet fermé, car il ne reste déjà presque plus de places. La star belge Iljo Keisse fera équipe avec le sprinteur britannique Mark Cavendish. Ils s’opposeront notamment à la paire belge Kenny De Ketele – Moreno De Pauw, détenteurs de nombreux titres officiels et spécialistes de la course à l’américaine.

Il existe encore quelques épreuves de 6 jours à travers l’Europe, avec des tentatives de modernisation du côté de Londres et de Berlin. Mais tout cela n’a rien de très palpitant et reste sur ce principe du show surfait. Ce n’est pas ce genre de spectacle qui attirera un public populaire très attaché à la performance sportive réelle et l’analyse tactico-stratégique poussée, tant sur le moment que sur le long terme, comme au football !