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L’élection présidentielle française, plaie anti-démocratique

C’est le coup d’État de De Gaulle qui a instauré la Cinquième République. L’élection présidentielle correspond à sa lecture bonapartiste de la politique et relève en France d’un dispositif totalement anti-démocratique.

de Gaulle

Le coup d’État de De Gaulle en 1958 a radicalement modifié le système politique français. Auparavant, c’était « le régime des partis » et forcément un tel débat démocratique, avec qui plus est le Parti Communiste qui était le plus puissant des partis, cela ne passait pas auprès des classes dominantes. Aussi y a-t-il eu la mise en place d’un véritable vote bonapartiste, où la population vote non pas pour des idées, pour un parti, mais pour un individu, le Président.

Bien évidemment, celui-ci se présente comme une sorte de sauveur. Dans tous les cas, ce sont ses qualités individuelles qui priment dans la balance et l’interprétation qu’on en a. C’est anti-démocratique et on voit bien où cela mène : à l’hystérie anti-Macron des gilets jaunes, au refus du débat politique, à la conception étrange qu’une personne au poste de Président décide de tout.

La Gauche s’est terriblement faite piégée par l’hystérie anti-Sarkozy et cela a été une des principales causes de son effondrement. Tout le débat quant au contenu a été évacué au nom du mot d’ordre Tout Sauf Sarkozy. C’est ainsi que François Hollande a pu se faufiler et gagner, sans aucun contenu, mais en se donnant l’image d’un homme « normal ».

Il était par ailleurs tout à fait conscient de la nature de son poste de Président et du fait qu’il ne pourrait, même s’il le voulait, pas assumer de valeurs de gauche. Voici ses propos, retranscrits dans l’ouvrage Un président ne devrait pas dire ça… où deux journalistes l’ont longuement accompagné :

« Je pense que l’élection présidentielle – qui est vraiment essentielle, qu’on ne va heureusement pas supprimer – suscite, pas tellement pendant la campagne, mais dans l’exercice du pouvoir, une attente encore plus forte que celle qu’on met dans le chancelier d’Allemagne ou dans un Premier ministre britannique.

Et, deuxièmement, le président de la République est élu au suffrage universel, il peut avoir une majorité parlementaire, mais sa base électorale est très étroite. Au premier tour de l’élection présidentielle, je fais 27 % [en fait 28,63 %], la gauche fait 41-42 % [en réalité 43,76 %] toutes sensibilités confondues, y compris l’extrême gauche : ce n’est pas majoritaire.

Donc le président de la République de gauche, apparemment doté – ce qui est vrai – de beaucoup de pouvoirs, est minoritaire en France, dès son élection. Tout de suite. »

François Hollande exprime ici une vérité, mais une vérité inacceptable. Le principe des élections présidentielles provoque une personnalisation empêchant de faire émerger des alliances larges dans le peuple. La politique disparaît en effet au profit de la « sensibilité » politique, et alors tout se joue au centre, puisque les personnes de sensibilité centriste peuvent basculer indifféremment à gauche comme à droite. L’union populaire est impossible car tout se réduit à une sorte de choix personnel, en restant à ses préjugés.

Cela n’a pas dérangé François Hollande, puisqu’il se plaçait justement comme candidat de centre-gauche. Le caractère anti-démocratique de la présidentielle, qui par définition bloque la Gauche, il l’accepte très bien comme on le voit. François Mitterrand s’en était pareillement accommodé auparavant. Rappelons que François Mitterrand avait même empêché la réédition de son ouvrage sur la Cinquième République comme coup d’État permanent… Alors qu’il a triomphé à gauche justement en se profilant comme le meilleur opposant au gaullisme. Il y a chez lui, comme chez François Hollande, une capitulation devant le poste de Président de la République, qui « personnalise », anéantit les débats réellement politiques.

Ce qui est très grave, c’est également cette mode des « primaires » à Gauche, alors que cela relève de la même démarche. Normalement, à Gauche, on vote pour une ligne politique, représentée par un parti, éventuellement une tendance dans un parti, ou bien une fraction, mais dans tous les cas on choisit en fonction du contenu. D’abord on regarde les principes, le contenu, ensuite on prend en considération ce qui est fait, et enfin seulement on regarde les gens portant ce contenu et agissant concrètement.

Avec le poste de Président de la République, on a au contraire une démarche bonapartiste où le pays se cherche un sauveur, et cela contamine la politique – ce qui est normal à Droite, mais inacceptable à Gauche. Il faut en revenir aux débats, aux contenus ; même si le niveau politique s’est effondré, il faut reprendre à zéro s’il le faut. La Gauche ne peut exister que comme mouvement conscient, jamais comme simple expression d’une « sensibilité », sinon on laisse la place à tous les carriéristes, tous les opportunistes, et on va de déception en déception.

La Gauche doit donc revenir à la défaite terrible de 1958 qu’elle a connu et assumer celle-ci. Elle doit cesser de contourner le problème : tant qu’il y aura les présidentielles, elle ne pourra pas l’emporter en termes de valeurs en raison de la polarisation personnelle provoquée. La remise en cause du poste du Président typique de la Ve République est, aux côtés du refus de la charte d’Amiens qui fait des syndicats des regroupements populaires anti-politiques, une des valeurs fortes que la Gauche historique doit assumer !

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Le retour de de Gaulle le 30 mai 1968

La dernière semaine de mai 1968 est marquée par le retour en force du régime. En une semaine, tout est retourné, au point que même si les accords de Grenelle ne sont pas signés en raison de la protestation d’une part significative de la base populaire, les CRS et la police peuvent reprendre le contrôle de l’ensemble.

Voici comment cela s’est déroulé. Le 24 mai, de Gaulle annonçait, sans aucun impact, un référendum sur la participation. Il essayait en effet de s’en sortir de manière technocratique, cherchant en quelque sorte à profiter de l’impulsion de mai 1968 pour moderniser le régime né du coup d’Etat de 1958.

Il n’avait pas saisi à quel point tout avait vacillé.

En voici le texte.

Tout le monde comprend, évidemment, quelle est la portée des actuels évènements, universitaires, puis sociaux. On y voit tous les signes qui démontrent la nécessité d’une mutation de notre société. Mutation qui doit comporter la participation plus effective de chacun à la marche et au résultat de l’activité qui le concerne directement.

Certes, dans la situation bouleversée d’aujourd’hui, le premier devoir de l’Etat, c’est d’assurer en dépit de tout, la vie élémentaire du pays, ainsi que l’ordre public. Il le fait. C’est aussi d’aider à la remise en marche, en prenant les contacts qui pourraient la faciliter.

Il y est prêt. Voilà pour l’immédiat. Mais ensuite, il y a sans nul doute des structures à modifier. Autrement dit : il y a à réformer.

Car dans l’immense transformation politique, économique, sociale, que la France accomplit en notre temps, si beaucoup d’obstacles, intérieur et extérieur, ont déjà été franchis, d’autres s’opposent encore au progrès. De là, les troubles profonds. Avant tout dans la jeunesse qui est soucieuse de son propre rôle, et que l’avenir inquiète trop souvent.

C’est pourquoi, la crise de l’université, crise provoquée par l’impuissance de ce grand corps, à s’adapter aux nécessités modernes de la Nation, ainsi qu’au rôle et à l’emploi des jeunes, a déclenché dans beaucoup d’autres milieux, une marée de désordre, d’abandon ou d’arrêt du travail. Il en résulte que notre pays est au bord de la paralysie.

Devant nous-mêmes, et devant le monde, nous, Français, devons régler un problème essentiel que nous pose notre époque. A moins que nous nous roulions à travers la guerre civile, aux aventures et aux usurpations les plus odieuses et les plus ruineuses.

Depuis bientôt 30 ans, les évènements m’ont imposé en plusieurs graves occasions, le devoir d’amener notre pays à assumer son propre destin, afin d’empêcher que certains ne s’en chargent malgré lui. J’y suis prêt, cette fois encore. Mais cette fois encore, cette fois surtout, j’ai besoin.

Oui, j’ai besoin que le peuple français dise qu’il le veut. Or, notre Constitution prévoit justement par quelle voie il peut le faire. C’est la voie la plus directe et la plus démocratique possible, celle du référendum.

Compte tenue de la situation tout à fait exceptionnelle où nous sommes, et sur la proposition du gouvernement, j’ai décidé de soumettre au suffrage de la Nation, un projet de loi, par lequel je lui demande de donner à l’Etat, et d’abord à son chef, un mandat pour la rénovation. Reconstruire l’université, en fonction, non pas de ses habitudes séculaires, mais des besoins réels de l’évolution du pays, et des débouchés effectifs de la jeunesse étudiante dans la société moderne.

Adapter notre économie, non pas aux catégories diverses, des intérêts, des intérêts particuliers, mais aux nécessités nationales et internationales, en améliorant les conditions de vie et de travail du personnel, des services publics et des entreprises, en organisant sa participation aux responsabilités professionnelles, en étendant la formation des jeunes, en assurant leur emploi, en mettant en oeuvre les activités industrielles et agricoles dans le cadre de nos régions. Tel est le but que la Nation doit se fixer elle-même.

Françaises, français, au mois de juin, vous vous prononcerez par un vote. Au cas où votre réponse serait non, il va de soi que je n’assumerai pas plus longtemps ma fonction. Si par un oui massif, vous m’exprimez votre confiance, j’entreprendrais avec les pouvoirs publics, et je l’espère, le concours de tous ceux qui veulent servir l’intérêt commun, de faire changer partout où il le faut, les structures étroites et périmées, et ouvrir plus largement la route au sang nouveau de la France. Vive la République, vive la France !

Comprenant la gravité de la situation pour le régime, Charles de Gaulle laissa Georges Pompidou organiser les accords de Grenelle. Puis le 29 mai, il ajourne le conseil des ministres pour aller voir le général Massu à à Baden-Baden en Allemagne, où il y avait une base militaire française.

Assuré du soutien de l’armée, il revient dans la journée et tient alors une allocution à la radio, dont voici le texte. De Gaulle tint le discours à 16h30, pour appuyer le rassemblement de la droite organisé pour 18h à Paris, qui va rassembler entre 300 000 et un million de personnes, selon les sources.

Il annonce la dissolution de l’Assemblée nationale, et de nouvelles élections.

« Françaises, Français, Étant le détenteur de la légitimité nationale et républicaine, j’ai envisagé, depuis vingt-quatre heures, toutes les éventualités, sans exception, qui me permettraient de la maintenir. J’ai pris mes résolutions.

Dans les circonstances présentes, je ne me retirerai pas. J’ai un mandat du peuple, je le remplirai.

Je ne changerai pas le Premier ministre dont la valeur, la solidité, la capacité, méritent l’hommage de tous. Il me proposera les changements qui lui paraîtront utiles dans la composition du Gouvernement.

Je dissous aujourd’hui l’Assemblée nationale.

J’ai proposé au pays un référendum qui donnait aux citoyens l’occasion de prescrire une réforme profonde de notre économie et de notre Université et, en même temps, de dire s’ils me gardaient leur confiance, ou non, par la seule voie acceptable, celle de la démocratie. Je constate que la situation actuelle empêche matériellement qu’il y soit procédé.

C’est pourquoi j’en diffère la date.

Quant aux élections législatives, elles auront lieu dans les délais prévus par la Constitution, à moins qu’on entende bâillonner le peuple français tout entier en l’empêchant de s’exprimer, en même temps qu’on l’empêche de vivre, par les mêmes moyens qu’on empêche les étudiants d’étudier, les enseignants d’enseigner, les travailleurs de travailler.

Ces moyens, ce sont l’intimidation, l’intoxication et la tyrannie exercées par des groupes de longue main en conséquence, et par un parti qui est une entreprise totalitaire, même s’il a déjà des rivaux à cet égard.

Si donc cette situation de force se maintient, je devrai pour maintenir la République, prendre, conformément à la Constitution, d’autres voies que le scrutin immédiat du peuple. En tout cas, partout et tout de suite, il faut que s’organise l’action civique.

Cela doit se faire pour aider le Gouvernement d’abord puis, localement, les préfets devenus ou redevenus Commissaires de la République, dans leur tâche qui consiste à assurer autant que possible l’existence de la population et à empêcher la subversion à tout moment et en tous lieux.

La France, en effet, est menacée de dictature.

On veut la contraindre à se résigner à un pouvoir qui s’imposerait dans le désespoir national, lequel pouvoir serait évidemment et essentiellement celui du vainqueur, c’est-à-dire celui du communisme totalitaire.

Naturellement, on le colorerait, pour commencer, d’une apparence trompeuse en utilisant l’ambition et la haine de politiciens au rancart. Après quoi, ces personnages ne pèseraient plus que leur poids qui ne serait pas lourd.

Eh bien ! Non ! La République n’abdiquera pas. Le peuple se ressaisira. Le progrès, l’indépendance et la paix l’emporteront avec la liberté. Vive la République ! Vive la France ! »

Aux  élections législatives françaises de 1968, les 23 et 30 juin 1968, c’est le raz-de-marée de la droite.

Le régime avait triomphé en s’appuyant sur la France profonde et en intégrant les syndicats. Mai 1968 avait échoué.