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Le « Robert » et le soi-disant pronom « iel »

La bourgeoisie culturelle libertaire face à la Droite.

Une polémique enfle depuis quelques jours sur l’entrée dans le dictionnaire « le Robert » du pronom « iel« . Le site en ligne de l’entreprise qui édite ce dictionnaire a donc été poussé à clarifier son choix par un communiqué, intéressant sur le plan culturel.

Il faut saisir ici que le « Robert » est en soi devenu une référence quasi-académique dans l’apprentissage et l’étude de la langue française. Son fondateur, Alain Rey est une personnalité importante de la Gauche libertaire et intellectuelle, intéressée dans le cadre du développement de la pensée post-moderne à l’étude critique de la langue, de ses usages, avec cette idée que la pensée se formalisant dans des mots, la lutte politique devait par conséquent se focaliser sur les « discours » et les mots pour produire une pensée alternative à l’ordre dominant et à ses injustices.

C’est dans ce sens que le journal hebdomadaire « Le Nouvel Observateur », fondé en 1964 sur une ligne démocrate-libérale qui se voulait alternative à la rupture communiste, présente en 1967 la première édition du dictionnaire en disant : « enfin un dictionnaire de gauche ! ».

Le groupe emmené par Alain Rey dans cette entreprise se place historiquement dans la lignée du dictionnaire bourgeois typique du XIXe siècle : le Littré, qui a été conçu dans les années 1840 comme une tentative de fournir un outil d’étude de grande qualité de la langue, en observant ses évolutions, tout en l’inscrivant dans son histoire et ses héritages, en particulier par le recours à une analyse étymologique qui cherche à se systématiser.

Il y a donc ici un aspect intéressant et juste sur la forme : la nécessité des intellectuels de fournir des outils d’analyse et de compréhension reflétant le réel et sa créativité, en lui donnant une épaisseur, une dimension scientifique correcte.

Les rédacteurs du dictionnaire ont donc raison ici de présenter leur démarche comme rationnelle, soulignant que toute une équipe a scruté sur une période relativement longue les usages, en multipliant les sources etc, et que c’est au terme de cette démarche d’observation qu’il a été discuté et pris la décision collective d’inclure le néologisme dans la version en ligne du dictionnaire.

Mais sur le fond, ces rédacteurs se trompent lourdement.

On peut déjà noter qu’il y a un certain paradoxe à expliquer qu’il a été constaté un usage « croissant » de ce terme dans un « corpus de sources variées », mais qu’en même temps on reconnaisse que son usage est néanmoins faible au point de préciser la mention « rare » dans la définition retenue.

Encore moins convaincant, il est expliqué que cette intégration devait refléter moins un usage qu’aider au débat en clarifiant son sens. Mais cela n’a strictement aucun sens de présenter les choses ainsi. Soit le terme est peu usé et son usage ne peut donc alimenter un débat significatif, soit on l’utilise, même de manière polémique et alors il faut en effet clarifier le sens. Ce que font ici les rédacteurs de fait, c’est prendre position en faveur de ce terme et de son emploi. C’est un acte militant ni plus ni moins.

De plus, le terme ne relève pas d’un nom nouveau, sa « définition » n’est donc pas possible en soi, puisque iel est présenté comme un pronom, devant donc remplacer des noms communs. Son unique caractéristique est que, à l’instar du pronom on, iel peut s’utiliser sans subir de déclinaison de genre.

Or le terme a été forgé essentiellement pour remplacer des noms de personnes humaines, on ne l’utilise pas par exemple pour parler des animaux ou des choses. On peut dire, ou plutôt écrire d’ailleurs, ainsi : les boulangers font du pain / iels font du pain. Mais on ne trouve pas : les maisons sont confortables / iels sont confortables ou les fourmis vivent en communauté/ iels vivent en communauté.

De même, un pronom se décline, selon sa fonction dans la phrase. Par exemple, il peut devenir lui, celui ou son. Mais quels sont les déclinaisons fonctionnelles de iel ? Cela n’a strictement aucun sens de proposer un nouveau pronom, sans en proposer toute la déclinaison. Et il est impossible que des spécialistes de la grammaire comme le sont les rédacteurs du Robert ignorent ce fait.

Enfin, le « corpus » considéré ne semble pas être si large que cela, puisque la définition proposé précise, sous la forme d’un exemple d’usage : « L’usage du pronom iel dans la communication inclusive« . L’usage est donc… le fait de l’utiliser par les gens qui l’ont inventé !

D’une manière générale, ces fautes sur le fond relèvent ici d’une approche formaliste et quantitative de la langue. On peut sans doute penser que les rédacteurs ont eu ici à coeur de promouvoir une sorte d’élan progressiste, d’aider à aller dans le sens d’un usage, ou du moins d’un débat, qui leur semble intéressant.

L’auteur qui parle au nom de la rédaction, reconnaît sa satisfaction à dire que la majorité de ses lecteurs, du moins ceux qui lui ont adressé un message, auraient salué ce nouvel ajout. D’une façon ou d’une autre, le Robert se place en effet au centre d’un débat l’opposant au camp des conservateurs, qui n’ont bien sûr pas manqué de s’indigner sur le sujet.

Ce qui est intéressant c’est que le Robert est entraîné dans ce débat politique, et il ne peut être ici question de hasard quand on voit à quel point les tensions entre les libéraux et conservateurs, au sein de la bourgeoisie et de son appareil culturel, éclatent de plus en plus en conflit ouvert. À sa façon, le Robert tente ici de défendre la Culture, le progrès et même la Gauche en un mot. Ce petit iel est de fait insupportable aux conservateurs et à la Droite. Et ce n’est pas rien sur la forme de se confronter à celle-ci.

Mais si cela peut être vu comme une démarche qui a du coeur sur la forme, elle n’a pas de tête sur le fond. Les rédacteurs ont ainsi eu une démarche quantitative pour appuyer l’introduction du pronom iel dans leur dictionnaire, mais sur le plan qualitatif, cela n’a aucune profondeur.

On peut bien s’amuser à compter de ceci de-là les occurrences d’un néologisme pour prétendre en valider l’usage, mais cela n’a pas de sens si on ne définit pas un périmètre clairement. L’usage de ce pronom est récent, il a moins d’une dizaine d’années, et à en croire les prétentions quantitatives avancées par les rédacteurs du Robert, son usage aurait eu un succès fulgurant.

Alors qu’il est manifeste qu’il est d’abord et presque uniquement un usage militant au sein d’organisations ou de publications liées d’une manière ou d’une autre à la galaxie libertaire et post-moderne de la bourgeoisie culturelle. Le socle est de fait étroit, et sorti de ce milieu, son usage est nul. Et sans les masses rien n’est possible.

À travers cette question relativement anodine, il se joue ici une partie serrée pour la bourgeoisie culturelle libertaire qui essaye de faire face à la Droite. Mais comme elle n’a ni profondeur populaire ni conscience politique développée, le sol se dérobe sous ses pieds. Ses théories intellectuelles abstraites ne rencontrent de fait aucun écho populaire.

Si le Robert avait eu une réelle dimension démocratique, il y aurait une maîtrise de la forme et du fond. Par exemple, comment expliquer l’importance donné à ce pronom si peu usité et ne pas faire entrer le mot crush qui désigne une émotion amoureuse soudaine, voire inopportune, un peu irrationnelle, que l’on oppose au vrai sentiment développé, profond et prolongé de tomber amoureux.

L’usage du terme crush est bien plus massif que celui du pronom iel et c’est un véritable nom, reflétant une réalité tout à fait sensible et vécue, plus intéressante à développer dans un dictionnaire, pour en exposer l’étymologie, le parcours dans notre langue et en saluer ce que la conscience populaire qui l’emploie, entend définir par son usage.

Au fond, tout le problème est là donc. L’usage de ce pronom iel se voudrait une solution intellectuelle à un réel problème populaire, relevant de la question du féminisme. Mais comme ces intellectuels imaginent que ce pronom astucieux aurait en soi une charge progressiste, et encore faudrait-il alors en exposer les tenants et les aboutissants dans la définition, ils imaginent que cela sera en mesure de faire face au conservatisme étroit de la Droite, ou ouvrira un débat permettant à la Gauche culturelle de se réaffirmer.

Mais à un problème populaire il faut une solution démocratique, à la Droite, il faut donc opposer une Gauche réellement populaire et démocratique. Le débat pathétique autour du l’usage ou non du pronom iel illustre que la partie est en train de se finir pour la bourgeoisie culturelle libertaire. Celle-ci entrevoit toujours plus nettement, à mesure que se développe la Crise, son possible écrasement par une Droite devenue hégémonique et offensive.

Un espace s’ouvre ainsi pour l’affirmation d’une Gauche revenue sur ses fondamentaux, et assumant la lutte des classes, à la remorque de laquelle les éléments les plus avancées de la bourgeoisie culturelle doivent maintenant se placer. Cela relève d’une nécessité historique qui n’est pas contournable.

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L’écriture «inclusive», une barbarie post-moderne anti-sociale

La langue française a historiquement fait le choix du masculin comme genre neutre par défaut. Cela permet de décrire une situation générale où il est fait référence à des personnes en général, sans avoir besoin de préciser leur sexe, car dans la plupart des situations on se moque éperdument du sexe des personnes en question.

Quand on dit « en 2021 en France, les ouvriers ont un bon niveau de vie », on ne s’intéresse pas du tout au sexe des ouvriers en question. Il est parlé des ouvriers en général, et le genre masculin a une fonction neutre, une portée générale.

Si le masculin est le genre neutre par défaut, cela ne veut pas dire que le féminin ne peut pas avoir cette fonction neutre également. Au contraire, cela arrive souvent, par exemple quand on dit « en 2021 en France, la classe ouvrière est particulièrement dépolitisée. »

On ne s’intéresse ici pas du tout au sexe des ouvriers composant la classe ouvrière et peu importe d’ailleurs que le mot classe soit masculin ou féminin. Il y a dans le contenu du mot « classe » tout autant des ouvrières que des ouvriers, mais il est parlé au féminin, car le mot « classe » est féminin, et le féminin a ici une valeur neutre. Il pourrait en être autrement, cela ne change rien à rien.

Ce qui est valable en général l’est en particulier.

Quand on dit « Benjamin est une belle personne, particulièrement généreuse », la masculinité du Benjamin en question n’est aucunement niée ni remise en cause ; Benjamin n’est absolument pas discriminé ni « exclu » en tant qu’homme en raison de cette formulation. Il s’agit juste d’une règle de grammaire faisant qu’il faut accorder au féminin les adjectifs décrivant un nom féminin.

Il en est de même pour Louis XIV quand Jean-Baptiste Colbert s’adresse à lui dans leurs correspondances en disant « Elle ». Le contrôleur général des finances parle à la troisième personne à « Sa Majesté », qui est un mot féminin, mais cela n’a aucun rapport avec le sexe du Roi de France.

Tout cela est connu et admis de tout un chacun et ne pose aucun problème au quotidien. Le Français est une langue complexe et très élaborée, correspondant à une société elle-même particulièrement complexe et élaborée. Les membres de cette société ont tout à fait la capacité de faire la différence entre le genre neutre désignant des situations générales ou particulières et les genres féminin et masculin quand ils servent à désigner des personnes ou groupes de personne en raison de leur sexe. C’est quelque chose de très naturel.

Seulement, cela pose un problème énorme aux post-modernes, car ils sont littéralement obsédés par le fait déconstruire la société et l’unité de la société. Reflétant le libéralisme économique, ils veulent le libéralisme culturel et insistent ainsi sur l’identité. 

Cette mise en avant de l’identité passe par le rejet de ce qui a une signification universelle. Les post-modernes veulent toujours en revenir au particulier, ils veulent sans-cesse atomiser la société pour mettre en exergue les individus. Ils détestent donc cet usage grammatical du neutre dans la langue française : pour eux il faut sans cesse diviser la société entre hommes et femmes, même quand cela n’a aucun rapport avec le sujet.

Les post-modernes prétendent alors que la langue française est « excluante » vis-à-vis des femmes en raison de la règle grammaticale faisant que le masculin est le genre neutre par défaut. Ils prétendent que quand une université s’adresse aux « étudiants », elle « exclue » les étudiantes car celles-ci ne sont pas définies en particulier.

Les post-modernes ont alors inventé l’écriture « inclusive », pour marquer absolument leur besoin de compartimenter la société entre hommes et femmes, et surtout de séparer les « individus » au nom de leur reconnaissance.

Selon le principe de l’écriture « inclusive », une université doit ainsi écrire « les étudiant.e.s », pour bien marquer qu’il y a des étudiants qui sont des hommes et des étudiantes qui sont femmes, même si cela n’a aucun rapport avec le sujet.

On a alors le droit à tout un tas de mots dans les phrases où des points sont ajoutés pour intercaler le « e » du féminin et supprimer ainsi le masculin neutre. C’est illisible, et d’ailleurs l’écriture « inclusive » n’est jamais vraiment entièrement utilisée tellement c’est un sac de nœuds.

Les gens utilisant l’écriture « inclusive » sont concrètement tellement délirants, tellement en dehors de la réalité, qu’ils en arrivent à utiliser leur formulation « inclusive » y compris quand il n’est question que des femmes… C’est le cas avec l’Unef, ce syndicat étudiant qui était historiquement lié à la Gauche et qui est maintenant un bastion post-moderne, qui est capable d’écrire quelque-chose d’aussi absurde que :

« Victoire pour les étudiant.e.s, mise à disposition gratuite de protections périodiques pour les étudiant.e.s sur ton campus ! »

Absurde pour les matérialistes, mais plein de sens pour des gens maniant de manière fantasmagorique les notions de genre, de sexe, d’identité, depuis les universités et en tournant le dos au peuple, au mépris de l’Histoire.

On en arrive alors à un véritable massacre de la langue française et il est très impressionnant de voir à quel point ce massacre s’est imposé dans un nombre incalculable d’universités et d’institutions. Cela en dit long sur la décomposition et la décadence de la société française, incapable de préserver ce précieux patrimoine qu’est la langue de Molière.

La Gauche historique, qui est le Parti de la société, de l’Histoire, a ici une responsabilité énorme pour défendre la langue française contre les lubies post-modernes. Car qui dit société, dit civilisation, sinon c’est le retour à la barbarie. L’écriture inclusive est typiquement ce genre de barbarie anti-sociale que la Gauche doit dénoncer et combattre.