Aux yeux d’une large partie de la Gauche, Esther Benbassa s’est totalement décrédibilisée lors de la manifestation contre « l’islamophobie ». Une tribune de soutien a été réalisée en catastrophe par la « Gauche » postmoderne afin d’allumer un contre-feu.
Il y a une phrase qui, dans la tribune de soutien à Esther Benbassa, veut tout dire :
« Née juive dans un pays musulman, la Turquie »
Aucune personne de la Gauche historique n’aurait jamais écrit ni signé une telle ligne. Jamais la Gauche historique n’a défini un pays par sa religion et encore moins la Turquie, mosaïque de peuples et de religions, avec ses Turcs, ses Kurdes, ses Arméniens, ses Lazes, ses Tcherkesses, ses Juifs, ses Assyriens, ses Grecs, etc. La fiction d’une Turquie à la fois « turque » et « musulmane » est combattue par la Gauche turque depuis plus de cent ans.
Seulement voilà, tout est bon pour essayer de sauver Esther Benbassa, symbole de la « Gauche » postmoderne. Elle est à ce titre une figure insupportable pour la Gauche historique, tout comme le sont les arguments déployés en sa faveur :
« Depuis son entrée tardive en politique, en 2011, Esther Benbassa est sur tous les fronts. Mariage pour tous, PMA pour toutes, LGBT-phobies, violences faites aux femmes, personnes prostituées, monde carcéral, migrants, violences policières, abandon des Kurdes du Rojava, justice environnementale et justice sociale. Elle agit avec la même détermination au Sénat, et sur le terrain. Auprès des cheminots, des infirmières, des étudiants. Des Gilets jaunes, aussi, qu’elle a invités au Palais du Luxembourg dès le début du mois de décembre 2018, et qu’elle n’a jamais lâchés depuis. »
Esther Benbassa est effectivement sur tous les fronts de l’ultra-libéralisme maquillé en « conquête des droits individuels ». Ce n’est pas pour rien que parmi les signataires de la tribune la défendant, on a justement Judith Butler. C’est la grande théoricienne de la théorie du genre, c’est la principale figure de la philosophie post-structuraliste de la « déconstruction » dans le domaine du « genre ».
Pour la même raison, on a l’antiautoritaire Gabriel Cohn-Bendit, frère aîné de Daniel, trotskiste puis anarchiste et enfin proche d’EELV. Il est surtout connu pour sa pédagogie « alternative » antiautoritaire et son soutien au droit à la parole pour le sinistre négationniste Faurisson.
On a les écrivains « modernistes » Edouard Louis et Annie Ernaux, qui font de l’identité la clef de leurs romans résolument tournés vers la « modernité ».
On les philosophes Daniel Borrillo (du Laboratoire d’études sur le genre et les sexualités) et Geoffroy de Lagasnerie (un adepte de la « French Theory »). Ce dernier a notamment pu dire au sujet des terroristes du 13 novembre 2015 :
« Au fond, vous pouvez vous dire qu’ils ont plaqué des mots djihadistes sur une violence sociale qu’ils ont ressentie quand ils avaient 16 ans. »
On ne sera pas étonné non-plus de trouver parmi les signataires tout ce que la fausse Gauche a produit ces dernières années de petit-bourgeois parisiens radicaux s’imaginant dans le camp du peuple, tels Clémentine Autain, David Belliard, Olivier Besancenot, Elsa Faucillon, Thomas Porcher ou encore Danièle Obono.
Cette tribune est un modèle du genre, qui contribue à dessiner la fracture déjà immense au sein de la Gauche entre les populistes prêts à tous les renoncements et ceux qui sont attachés à leurs valeurs de gauche, entre ceux qui ont succombé à la thèse de « l’islamophobie » et ceux qui ne sont pas dupes de cette manipulation politique.
Voici la tribune, publiée sur huffingtonpost.fr :
« Esther Benbassa fait honneur à la République
“Youpine!”, “métèque!”, “la trinationale dehors!”… Réseaux sociaux, courriels, lettres. Esther Benbassa croyait peut-être avoir déjà tout vu en termes d’injures, de menaces, menaces de mort comprises. Elle se trompait. Désormais les insultes sont d’une autre nature. “Antisémite!”, “négationniste!”, “islamocollabo!”…
Elle est assurément loin d’être la seule, en cette circonstance, à subir des attaques indignes. Mais il est clair que certains ont décidé de lui faire payer au prix fort sa participation à la marche contre l’islamophobie, le 10 novembre dernier. Dans une formule d’une rare violence, Sabine Prokhoris vient même, sur le monde.fr, de la comparer à ces Français qui, hier, n’ont “rien vu” quand on a déporté leurs voisins juifs.
Sa faute? Avoir twitté une photographie prise sur le parcours de cette marche, où on la voit au milieu d’un petit groupe de manifestants brandissant fièrement des drapeaux tricolores.
Son crime? N’avoir pas remarqué, sur le moment, sur les vestes de ces personnes, et sur celle de la fillette qui les accompagnait, un autocollant associant une étoile à cinq branches, un croissant de lune et le mot “Muslim”, le tout en jaune sur fond blanc.
Son péché mortel? Avoir refusé de considérer a priori cette possible appropriation musulmane du symbole de l’étoile jaune comme un sacrilège. Comme la captation indigne d’une mémoire de souffrance.
Esther Benbassa ne nie pas que la simple existence de ce badge ait pu blesser des gens. Ni que l’on puisse y voir une maladresse. Reste que la focalisation sur ce badge et sur l’envoi de cette photo est d’abord l’effet visible d’une convergence d’intérêts politiques divers autour de cette manifestation. Elle sert de leurre, elle fait diversion. En détournant l’attention de la crise sociale qui secoue notre pays. Et en empêchant toute réflexion un tant soit peu équilibrée sur la réalité du racisme anti-musulman.
Esther Benbassa sait parfaitement que le port imposé de l’étoile jaune ne fut que l’une des dernières étapes d’un mouvement long et continu de stigmatisation des Juifs depuis le XIXe siècle. Elle n’a jamais assimilé la condition des musulmans dans la France d’aujourd’hui à celle des Juifs pendant la Shoah. Et pour cause. Elle est historienne. Elle a pour métier de distinguer, autant que de comparer.
Ses accusateurs d’aujourd’hui font mine d’ignorer qu’elle est l’auteure d’un essai déjà ancien, datant de 2004, couvrant une période longue (depuis la Révolution), La République face à ses minorités. Les Juifs hier, les musulmans aujourd’hui, et d’une étude importante parue en 2007, La Souffrance comme identité. Sur la concurrence mémorielle, ses causes et ses dérives, sur les difficultés de la France à vivre sereinement sa diversité, Esther Benbassa a écrit des pages qui suffisent à réduire à néant les accusations aujourd’hui portées contre elle.
Ces accusations sont ineptes. Et scandaleuses. Elles font comme si Esther Benbassa n’avait pas de passé. Née juive dans un pays musulman, la Turquie, ayant vécu les premières années de sa jeunesse en Israël, elle est arrivée en France au début des années 1970. Pendant quinze ans, elle a enseigné en lycée et en collège en Normandie puis en banlieue parisienne dans ce qu’on appelle parfois avec une pointe de mépris “nos quartiers populaires”.
Elle est entrée au CNRS comme directrice de recherche en 1989, et en 2000, elle a été élue sur la chaire d’histoire du judaïsme moderne de l’École pratique des hautes études (Sorbonne). Ses champs de recherche sont connus: histoire des Juifs en terre d’Islam, du sionisme, du judaïsme français, histoire comparée des minorités. Elle a écrit et dirigé une trentaine d’ouvrages sur ces sujets, lui ayant valu une reconnaissance internationale.
Que reproche-t-on, en fait, à Esther Benbassa? Ses engagements. Comme intellectuelle publique, d’abord, comme militante associative ensuite, comme politique enfin. Forte de son expertise, libre de toute attache communautaire, hermétique à toute forme de radicalité idéologique, et gardant en toute circonstance une franchise et une clarté sans faille, lauréate 2006 du prix Seligmann contre le racisme, Esther Benbassa se bat depuis des décennies contre l’antisémitisme et tous les racismes, islamophobie comprise, contre toutes les formes de discrimination, pour le respect des droits des minorités. Pour une solution juste du conflit israélo-palestinien et pour retisser les liens d’un dialogue judéo-musulman.
Depuis son entrée tardive en politique, en 2011, Esther Benbassa est sur tous les fronts. Mariage pour tous, PMA pour toutes, LGBT-phobies, violences faites aux femmes, personnes prostituées, monde carcéral, migrants, violences policières, abandon des Kurdes du Rojava, justice environnementale et justice sociale. Elle agit avec la même détermination au Sénat, et sur le terrain. Auprès des cheminots, des infirmières, des étudiants. Des Gilets jaunes, aussi, qu’elle a invités au Palais du Luxembourg dès le début du mois de décembre 2018, et qu’elle n’a jamais lâchés depuis.
Alors bien sûr, Esther Benbassa casse les codes et dérange les petits échanges feutrés ordinaires. Elle n’a pas peur du peuple. Elle est là pour les gens, les pauvres, les précaires, les racisés et les autres. Elle les écoute, elle leur parle. Et eux au moins la comprennent. Et respectent l’écharpe tricolore dont certains voudraient la dépouiller.
L’erreur d’Esther Benbassa est en fait de croire que tous ces combats n’en font qu’un. C’est d’incarner, avec d’autres et autant qu’elle le peut, cette “convergence des luttes” à laquelle une partie de la gauche a renoncé et qui fait peur à beaucoup d’autres, de LREM au RN. On pourra toujours se moquer de son accent. Esther Benbassa est une grande voix. Parce qu’elle est d’abord l’une des voix des sans-voix.
Les signataires de ce texte n’adhèrent pas forcément à toutes ses prises de positions, y compris sur la marche du 10 novembre. Ils ont pu avoir hier des débats avec elle. Ils en auront demain. Mais tous savent une chose. Cette voix-là ne doit pas se taire. Elle ne se taira pas.
Premiers signataires:
- Clémentine Autain, députée FI de Seine-Saint-Denis
- Guillaume Balas, coordinateur national Génération•s
- Julien Bayou, porte-parole d’EELV
- David Belliard, conseiller de Paris, EELV
- Olivier Besancenot, NPA
- Judith Butler, professeure à l’Université de Berkeley
- Damien Carême, député européen
- Aymeric Caron, journaliste et écrivain
- Luc Carvounas, député PS du Val-de-Marne
- Gabriel Cohn-Bendit, retraité de l’Education Nationale
- Éric Coquerel, député FI de Seine-Saint-Denis
- David Cormand, eurodeputé, secrétaire national d’EELV
- Sergio Coronado, ancien député EELV
- Rokhaya Diallo, journaliste, réalisatrice
- Cécile Duflot, ancienne ministre
- Didier Eribon, philosophe
- Annie Ernaux, écrivaine
- Elsa Faucillon, députée communiste des Hauts-de-Seine
- Geneviève Garrigos, défenseure des droits humains
- Cédric Herrou, Emmaüs Roya
- Mémona Hintermann-Afféjée
- Geoffroy de Lagasnerie, sociologue et philosophe
- Sandra Laugier, professeure de philosophie à l’université Panthéon Sorbonne, membre de l’Institut universitaire de France
- Marie-Noëlle Lienemann, sénatrice Gauche Républicaine & Socialiste
- Édouard Louis, écrivain
- Noel Mamère, ancien député
- Caroline Mecary, avocate au barreau de Paris
- Frédéric Mestdjian et le Ralliement d’Initiative Citoyenne
- Edgar Morin, sociologue, philosophe
- Thomas Porcher, économiste
- Sandra Regol, porte-parole d’EELV
- Aron Rodrigue, professeur d’histoire, Stanford University
- Malik Salemkour, président de la LDH
- Danielle Simonnet, conseillère de Paris, FI
- Sophie Taillé-Polian, sénatrice Génération•s du Val-de-Marne
- Mateo Alaluf, sociologue, professeur honoraire, Université Libre de Bruxelles
- Arié Alimi, avocat au barreau de Paris
- Pouria Amirshahi, président et directeur de Politis
- Henri Arevalo, Bureau exécutif EELV
- Mehdy Belabbas, Adjoint au Maire EELV d’Ivry
- Annie Benveniste, anthropologue, Université Paris 8
- Francine Bolle, docteure en histoire, maîtresse de conférences, Université libre de Bruxelles
- Daniel Borrillo, maître de conférences, Université Paris 10
- Etienne Bourel, anthropologue
- Thierry Brochot, Trésorier, EELV
- Marco Candore, auteur, réalisateur
- Jean-Paul Chagnollaud, professeur émérite des universités
- Pascal Cherki, ancien député
- Myriam Chopin, maîtresse de conférences en histoire médiévale
- Jérémy Clément, Gilet jaune (de Montargis, Loiret)
- Pierre-Yves Collombat, sénateur du Var
- Antoine Comte, avocat
- Alain Coulombel, secrétaire national adjoint, EELV
- Laurence de Cock, enseignante
- Christelle de Cremiers, vice-présidente du conseil regional Centre-Val de Loire, EELV
- Priscilla De Roo, économiste
- Catherine Deschamps, professeure d’anthropologie à l’ENS d’architecture de Nancy
- Josy Dubié, sénateur honoraire (Belgique)
- Sophie Ernst, agrégée de philosophie
- Éric Fassin, professeur de sociologie, Université Paris 8
- Bastien François, professeur à l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne
- Alexandra Galitzine-Loumpet, anthropologue
- Guillaume Gontard, sénateur Gauche-écolo de l’Isère
- José Gotovitch, professeur honoraire, Université Libre de Bruxelles
- Bernard Hours, anthropologue
- Heinz Hurwitz, professeur émérite, Université Libre de Bruxelles
- Alain Joxe, directeur d’Etudes (H) à l’EHESS
- Cecilia Joxe, militante écologiste
- Gaëtane Lamarche-Vadel, Revue Multitudes
- Mathilde Larrère, historienne
- Stéphane Lavignotte, théologien protestant
- Hinda Lewi-Férault, psychiatre, psychanalyste
- Valérie Marange, psychanalyste
- Danièle Obono, députée FI de Pars
- Anne Querrien, co-directrice de la rédaction de la revue Multitudes
- Caroline Roose, eurodeputée
- Monique Selim, anthropologue
- Pierre Serne, conseiller régional d’Île-de-France
- Denis Sieffert, journaliste à Politis
- Philippe Stanisière, Bureau exécutif EELV
- Michel Staszewski, professeur d’histoire retraité, membre de l’Union des Progressistes Juifs de Belgique (UPJB), Bruxelles
- Marie Toussaint, eurodeputée EELV
- Dan Van Raemdonck, professeur, Université Libre de Bruxelles
- Françoise Vergès, politologue, militante féministe antiraciste, auteure
- Dominique Vidal, journaliste et historien
- Jean Vogel, professeur de sciences politiques à l’Université libre de Bruxelles, Président de l’Institut Marcel Liebman
- Salima Yembou, eurodeputée
- Karoline Zaidline, artiste lyrique, Gilet jaune »