Les modes multijoueurs en ligne ont bouleversé la pratique du jeu vidéo ces dernières années. C’est le cas notamment sur FIFA, la simulation de football où les joueurs pratiquent surtout le mode « FUT » dans lequel il existe une sorte de loterie pour améliorer ses compétences avec un système de cartes. L’éditeur du jeu EA Sport mise là-dessus pour soutirer de l’argent aux joueurs, mais certains s’organisent avec des techniques pointues pour éviter de payer et ils en font une véritable culture !
Plus de trois millions de personnes se sont connectées chaque jour sur « FIFA Ultimate Team » l’an dernier. Le « FUT » est un mode de jeu très complexe dans lequel il faut créer sa propre équipe avec des cartes de footballeurs (existant dans la vraie vie), afin d’affronter d’autre joueurs dans des matchs en ligne. Il faut changer régulièrement ses cartes de footballeurs afin d’augmenter le niveau général de son équipe et bien sûr avoir de meilleures individualités à chaque poste.
Voici un exemple de carte où l’on retrouve les caractéristiques principales du footballeur :
Pour que l’équipe soit efficace, il faut également qu’elle ait une bonne note collective. Celle-ci est déterminée par les rapports entre les footballeurs dans la vraie vie. Comme on le voit dans l’exemple ci-dessous, si deux footballeurs viennent d’un même club, ou alors ont la même nationalité et évoluent dans le même championnat, ils ont alors une liaison verte, qui fait augmenter la note collective :
Le premier moyen d’obtenir les cartes de footballeurs est d’ouvrir des « packs ». Le principe est qu’on ne sait jamais quelles cartes sortiront du « pack », comme c’est le cas pour les paquets de cartes à collectionner Panini.
Les « packs » sont offerts en récompense à l’issue de certaines compétitions ou de mini-challenges de création d’équipe, mais ils peuvent aussi et surtout, être directement achetés avec de l’argent réel.
C’est un système particulièrement pervers créant une addiction, exactement comme pour les jeux de hasards permettant de gagner de l’argent. Cette loterie du mode « Ultimate Team » engendre des bénéfices immenses, qui ont représenté en 2018 28 % du chiffre d’affaire d’EA Sport, qui est pourtant déjà un immense éditeur de jeux vidéos. Sa maison mère Electronic Arts a déclaré 1,2 milliard d’euros de bénéfice net pour son dernier exercice fiscal.
Il est difficile d’avoir des cartes de bon niveau sur le mode « FUT » de FIFA sans dépenser d’argent réel, à moins d’y consacrer beaucoup de temps. Il faut alors pratiquer tout un tas de techniques dites d’achat-revente de ses cartes de footballeurs (avec la monnaie virtuelle donc, pas de l’argent réel) sur l’immense marché d’enchère présent dans le jeu.
Cela nécessite de se tenir au courant plusieurs fois par jour de l’évolution du marché, en fonction des compétitions ayant lieu chaque semaine, à la fois dans le jeu, mais aussi dans la vraie vie. Si un footballeur connu fait un très grand match avec son équipe le week-end, il aura probablement dans FIFA une carte spéciale (qui sera plus ou moins rare) pouvant apparaître dans les « packs ». Ces cartes doivent être prises en compte dans les techniques les plus sophistiquées.
Le marché des transferts de cartes de footballeurs est censé n’être qu’une sorte de prolongement du système de « packs », la loterie par laquelle on obtient initialement les cartes. Dans la pratique, il devient primordial pour qui veut évoluer dans le jeu sans dépenser un centime d’argent réel. Il s’agit alors, via la monnaie virtuelle, de vendre au meilleur prix à certains moments tout en achetant le moins cher possible à d’autre moments.
Il faut bien voir ici qu’il y a tellement d’utilisateurs connectés à ce marché et de raisons d’acheter telle ou telle carte, que cela génère d’énormes possibilités du fait de l’immensité des flux. Les cartes les plus recherchées se vendent et s’achètent plusieurs fois par seconde.
Les différentes techniques mises en place par les joueurs, avec des noms comme « tech or », « tech avion » ou encore « tech 59 », consistent à analyser ces immenses flux pour en profiter intelligemment. Ce n’est pas de la spéculation en tant que telle, mais une sorte de boursicotage habilement mené, dans le but de renforcer sa propre équipe dans le jeu (on ne peut pas en retirer d’argent réel).
On comprend aisément qu’EA Sport fasse alors la chasse à ces différentes techniques d’achat-revente, qui permettent d’obtenir de belles cartes de footballeurs sans dépenser d’argent réel pour la loterie des « packs ». Pour continuer d’êtres efficaces malgré les restrictions, ces techniques de contournement deviennent alors de plus en plus sophistiquées, mais aussi de plus en plus chronophages.
Il y a quelque chose de vraiment fascinant à voir ces youtubeurs, pratiquement toujours des hommes assez jeunes issus des classes populaires, rivaliser d’ingéniosité pour obtenir les meilleurs cartes sans payer de « packs », tout en partageant leurs techniques au plus grand nombre.
C’est ni plus ni moins qu’une expression de la lutte des classes entre des prolétaires voulant s’amuser et une immense entreprise multinationale voulant les faire payer toujours plus. Il faut bien voir ici que les joueurs doivent déjà débourser une cinquantaine d’euros chaque année pour avoir la mise à jour du jeu et payent chaque mois auprès de Playstation ou Xbox l’accès aux serveurs permettant de jouer en ligne.
Il y a chez ces jeunes hommes pratiquant les techniques d’achat-revente sans argent réel une véritable culture antagonique contre EA Sport et une grande dignité populaire.
L’éditeur est considéré de manière tout à fait juste comme un monstre voulant les escroquer à tout moment et contre lequel il faut s’organiser !
Ces jeunes hommes ne sont pas dupes des pratiques mercantiles de l’éditeur de FIFA, qu’ils accusent aussi de mettre des « scripts » dans les matchs en ligne du mode FUT, c’est-à-dire de mettre en place un algorithme influant directement sur les matchs et dénaturant le jeu.
On comprend alors leur colère quand ils apprennent qu’EA Sport embauche carrément certain joueurs, afin de perturber leurs techniques.
Plutôt que d’abandonner le jeu, ou alors de capituler en achetant des packs avec de l’argent réel, ces joueurs mettent un point d’honneur à ne jamais rien lâcher et perfectionnent leurs techniques. C’est malheureusement une fuite en avant terrible, qui prend un temps fou, au point que certains se rendent compte qu’ils jouent finalement de moins en moins de matchs alors qu’ils passent toujours plus de temps sur leur console…
Quel immense gâchis, peut-on se dire, car si toute cette intelligence et tout ce temps était mis au service de la révolution, on renverserait si vite le capitalisme en France ! On produirait alors des jeux « FIFA » bien mieux, bien plus réjouissants, sans cette perte de temps insupportable que sont ces techniques d’achat-revente démesurées pour contourner le système.
Le jeu vidéo FIFA est dans de nombreux pays, dont la France, considéré comme le premier produit culturel en termes de vente qui se chiffrent en dizaines de millions. Il est vraiment incroyable que la Gauche, qui est censée incarner la voix du peuple, ne s’est jamais intéressée à ce phénomène de société. C’est pourtant totalement hégémonique chez les jeunes hommes des classes populaires et cela fait maintenant partie intégrante de la culture football.
La Gauche devrait donc être en première ligne pour mener la fronde sur le terrain politique contre EA Sport, en faisant interdire ni plus ni moins l’achat de ces « packs ». Ce jeu de hasard payant, complètement sous contrôle d’une grande entreprise et sans aucun cadre public, est inacceptable, tellement on sait qu’il est facile de tomber dans l’addiction et de dépenser des centaines d’euros, surtout chez les plus jeunes.
Nos voisins belges ont déjà interdit ces loteries payantes dans les jeux vidéos et ils ont bien raison. La France devrait suivre l’exemple. Mais interdire ne suffit pas, il faut également, en même temps, mener la bataille sur le plan culturel afin de proposer autre chose à la jeunesse, lui donner d’autres perspectives que le contournement passif par des techniques aussi ingénieuses qu’improductives socialement.
C’est là une question démocratique de grande importance, notamment pour les femmes qui doivent subir tout ce temps perdu par leur compagnon pour pratiquer ces laborieuses techniques d’achat-revente…