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Société

Réforme des retraites et luttes « sauvages »

Le mythe du « spontanéisme ».

Depuis que la réforme des retraites est passée, on assiste à une systématisation des initiatives « sauvages ». Le plus souvent il s’agit de manifestations avec des petits débordements contre la police ou des incendies de poubelles. Parfois, il s’agit d’occupations (comme celle de la faculté de Tolbiac à Paris), ou même bien plus rarement de grèves.

Dès qu’on atteint un certain nombre de gens dans le cadre du mouvement de lutte contre la réforme des retraites dans une ville donnée, ce phénomène a lieu.

Il rappelle que le grand idéologue des « mouvements sociaux » en France, c’est Georges Sorel. Il est passé à la trappe, personne ne le mentionne, ou même ne le connaît. Mais c’est sa conception qui est à la base de tout ce qui se passe depuis que la Gauche historique n’a aucun poids en France.

Georges Sorel affirme au début du 20e siècle qu’il faut une minorité agissante qui agisse comme faction agressive, en utilisant des « mythes mobilisateurs », principalement celui de la « grève générale ». Le progrès se fait suivant l’action des « combattants ».

C’est une conception qui est entièrement opposée au marxisme et à son expression politique alors, la social-démocratie. Et on la retrouve aujourd’hui à l’ultra-gauche, chez les anarchistes, et même chez La France Insoumise avec le « populisme » dont elle se revendique ouvertement.

Jean-Luc Mélenchon fait du Sorel lorsqu’il appelle l’agitation à servir de levier pour faire « bouger » les choses, plus exactement en réalité à forcer les choses.

C’est qu’il y a un côté puissamment fasciste chez Sorel, une dimension viriliste, guerrière : Mussolini s’en revendiquera pour le fascisme italien. Et on retrouve très précisément cela lorsqu’en France lorsque des hommes habillés tout en noir se disant anarchistes scandent « ahou ahou » en manifestation, reprenant ce « mot d’ordre » au film d’extrême-Droite assumé « 300 » sur les Spartiates.

Les manifestations « sauvages » actuelles tiennent clairement de cette démarche « guerrière » spontanéiste, violemment anti-intellectuelle, anti-politique même. On est ici dans une forme de lutte qui est de droite, qui relève de l’anti-parlementarisme traditionnel à droite de la Droite.

On remarquera ici qu’un des vecteurs de cette démarche tient à l’emprunt assumé de méthodes aux « ultras » des stades de football. Des méthodes virilistes, agressives et provocatrices, avec un esprit de bande ou de clan.

Quiconque lit les ouvrages de l’historien Zeev Sternhell sur cette droite « contestataire » née en France ne peut que constater les rapprochements évidents avec ce qui se passe en France.

On avait déjà vu cela pendant les confinements : dans toute l’Europe, c’était l’extrême-Droite qui s’y opposait… Sauf en France où c’était toute cette scène de la révolte « sauvage », mêlant ultra-gauche, gilets jaunes, syndicalistes, etc.

Ces gens veulent faire tomber le régime pour faire tomber le régime. Ils n’ont ni valeurs, ni programme. La contestation est leur seul fond et ils racolent autant que possible, ils pratiquent la surenchère permanente.

Il n’est guère étonnant que dans un pays où la Droite a l’hégémonie sur le plan des valeurs, où la Gauche historique est isolée, l’agitation sociale s’aligne sur un spontanéisme à la fois beauf et nauséabond. Il suffit de voir des gens se revendiquer du syndicalisme et organiser des marches aux flambeaux pour voir qu’on a touché le fond.

Tout ça est le prix de la négation du rôle des idées, de la connaissance de l’Histoire, de l’importance des valeurs. La base de tout ça, c’est la corruption par le capitalisme dans un pays qui est l’un des plus riches du monde.

On s’amuse à se faire peur, la dimension « sauvage » permet de faire beaucoup de bruit, sans n’engager à rien. Car tous ces révoltés en mode « sauvage » n’ont aucune activité politique. Ils vivent le « grand soir » à petite échelle simplement pendant un temps.

Le contraire d’une lutte « sauvage », c’est bien entendu une lutte consciente, organisée à la base avec l’ensemble des travailleurs (et donc pas sur une base syndicale ou bien d’intersyndicale). Le contraire d’une lutte « sauvage », c’est une assemblée générale de travailleurs prenant démocratiquement des décisions en étant portés par la conscience de la lutte des classes.

La négation du rôle de la conscience, voilà ce qui amène tout ce mouvement contre la réforme des retraites à la fois à l’échec et à la honte. Non seulement les larges masses sont évitées, mais l’agitation prend des formes relevant de la Droite.

Les conséquences de tout cela vont être terribles.

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Politique

Échec du 24 janvier 2020: la cause est la fascination de la CGT pour les mythes mobilisateurs

Les syndicalistes prétendent être mieux que les politiques, car ils auraient le sens du concret. En réalité, ils mobilisent sur des fictions, prétendant qu’il y aura un déclic. C’est la négation de la politique et de la culture et la CGT s’enlise dans ses propres mensonges, tout cela pour sauver sa peau dans une situation inextricable.

Remontons à la source du problème, à savoir la prétention des syndicalistes à faire tout mieux que tout le monde, à porter l’avenir, à être les seuls qui soient purs, objectifs, sincères. Pour tout cela, il faut étudier Les Réflexions sur la violence de Georges Sorel, paru en 1908.

Bien entendu, c’est un ouvrage qui n’a jamais été lu par les syndicalistes eux-mêmes à l’époque, parce que ceux-ci étaient déjà anti-intellectuels comme ils le sont aujourd’hui. Même aujourd’hui, ils ne l’ont pas vraiment lu, pas plus que d’autres ont d’ailleurs lu Lénine ou même Marx. En France on a une culture à la Sciences-Po : si on a lu des fiches de résumé, on pense que cela suffit.

Les Réflexions sur la violence forment donc surtout un prétexte à une méthode, assez facile à comprendre même tellement elle est française. Pour gagner socialement, pas besoin de réflexion, on fait du rentre-dedans et on annonce que tout va craquer. On ne sait pas si c’est vrai, mais en rentrant dedans on galvanise les combattants et, à force, le mythe mobilisateur de « ça va péter » est censée devenir une prophétie autoréalisatrice.

Voilà ce que fait la CGT en ce moment. Évidemment, au fond, elle n’y croit pas, elle espère surtout que le privé va lutter pour ses propres intérêts et que la situation aura alors tellement changé que les compteurs vont être à remis zéro. Mais elle fait semblant et même on peut soupçonner certains de croire en leur propre mensonge. Par exemple, lorsque Laurent Brun, Secrétaire Général de la Fédération CGT des Cheminots, fait le 24 janvier une analyse rapide comme quoi Emmanuel Macron est sur la pente savonneuse menant à la dictature du maréchal Pétain.

Le type sait que c’est n’importe quoi, c’est obligé. Mais il le dit, histoire de faire monter la sauce, au mépris de tout sens des réalités et du respect de la raison. Foutu pour foutu, autant y aller !

Et que dire de la centaine d’avocats en robe noire en train de chanter à Bordeaux une version au texte modifié du Chant des partisans, ce 24 janvier ? Sans conviction aucune, heureusement, on devine une initiative forcée, comme tout ce qui a trait d’ailleurs au mouvement contre la réforme des retraites. Mais quelle ignominie !

Ceci dit la honte est partout, car la version originale de la chanson a été chantée un peu partout lors de marches au flambeau, comme à Angoulême. Une marche au flambeau… Est-ce une tradition du mouvement ouvrier, ou de l’extrême-Droite, qui plus est ? On a atteint un niveau de faiblesse qui n’a comme équivalent que celui de l’auto-intoxication.

Il faut lire l’article de Libération sur la grève sur le barrage EDF de Grand’Maison, la centrale hydroélectrique la plus puissante de France. Le délégué syndical explique à fierté :

«Avec Grand’Maison, on est à la tête d’une centrale de 1 800 MW de puissance, l’équivalent de deux réacteurs nucléaires classiques ou d’un EPR. C’est le moyen de se faire entendre de l’Etat mais aussi de l’opinion publique.»

Soit ! Mais quand RTE passe un coup de fil en disant : on a besoin d’électricité, allez bosser de telle heure à telle heure, il est obtempéré. On peut penser que cela est juste, qu’il faut éviter les révocations, cela va même de soi. Cela étant, il y a un décalage énorme entre dire que tout est sous contrôle ouvrier et qu’en réalité, cela ne le soit pas.

Les premiers perdants sont les ouvriers. La CGT les amène droit dans le mur. Elle ne peut en effet plus reculer. Elle est obligée de se prétendre la garante de tout le système social, elle est obligée de prétendre que la victoire est en train d’être obtenue. Elle est obligée d’utiliser des mythes mobilisateurs.

En faisant cela, elle mobilise ses propres rangs et ses sympathisants, mais empêche toute mobilisation en mode « lutte de classes ». Tout tourne alors sur soi-même… jusqu’à l’épuisement. Jusqu’au vide politique qui sera occupé par l’extrême-Droite, à moins qu’une Gauche unie vienne sauver le tout.

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Politique

Les gilets jaunes ou la permanence du sorélianisme en France

On ne soulignera jamais assez la nature philosophique des gilets jaunes, le caractère anti-politique de leur style. À l’arrière-plan, on a la démarche de Nietzsche, Sorel, Bergson.

Le fait que les gilets jaunes se soient maintenus si longtemps et aient formé leur propre culture exige de rappeler un point fondamental, que la Gauche historique a très bien connu à ses débuts. Il faut se rappeler que le mouvement socialiste (dont une partie deviendra communiste) a été confronté à l’origine à un très puissant mouvement anarchiste. Une partie de ce mouvement a consisté en les anarchistes « bombistes » (comme Ravachol), partisans de la propagande par le fait. Une autre partie a consisté en les syndicalistes révolutionnaires.

C’est cela qui a produit l’approche irrationnelle développée par Georges Sorel, dans Les réflexions sur la violence. Les avancées contestataires, subversives, ne pourraient pas s’appuyer sur la raison. Cette dernière ne pourrait pas établir quelque chose de solide, de fort. Georges Sorel raisonne en termes de résultats, en termes pragmatiques ; pour changer les attitudes, il faut une mobilisation au-delà de la raison :

« Le langage ne saurait suffire pour produire de tels résultats d’une manière assurée ; il faut faire appel à des ensembles d’images capables d’évoquer en bloc et par la seule intuition, avant toute analyse réfléchie ».

Georges Sorel était un syndicaliste révolutionnaire et son intuition reposait sur le vécu des ouvriers dans le capitalisme. Voici la citation en entier :

« Le langage ne saurait suffire pour produire de tels résultats d’une manière assurée ; il faut faire appel à des ensembles d’images capables d’évoquer en bloc et par la seule intuition, avant toute analyse réfléchie, la masse des sentiments qui correspondent aux diverses manifestations de la guerre engagée par la socialisme contre la société moderne. »

Il suffit de remplacer les sentiments du « socialisme » (d’ailleurs ici « spontané », syndicaliste) par n’importe quoi d’autre et on aura quelque chose qui ne fasse même plus semblant d’être de gauche. Le personnage historique le plus connu qui a repris Sorel est d’ailleurs Mussolini. Son anti-marxisme l’a fait adopter ce principe de la « mobilisation » autour d’un mythe, la dignité du mouvement reposant non pas sur l’objectif, mais sur la mobilisation elle-même. Du moment qu’on bouge, on se transcende.

Les gilets jaunes ne voient pas les choses autrement. En se mobilisant, ils pensent en soi déjà gagner, comme si l’engagement de leur existence dans quelque chose suffisait à assurer la victoire que, il faut le noter, eux-mêmes seraient bien incapables de définir. Les revendications ne comptent pas tant que le style des revendications, la démarche est une fin en soi.

Les gilets jaunes sont bien en ce sens un mouvement réactionnaire, de type fasciste, car philosophiquement nietzschéen, sorélien, bergsonien. C’est l’idée qui transporterait la vitalité dans la réalité.

On ne peut évidemment rien faire du tout avec de telles personnes. Même elles ne peuvent rien faire avec elles-mêmes. C’est pour cela que les gilets jaunes sont de moins en moins. À un moment, les gens en faisant partie se lassent, ils cessent d’être auto-intoxiqués, auto-hypnotisés. Ils passent à autre chose, ils abandonnent leurs propres croyances. Par contre, et c’est là le problème de fond, leur style reste. Leur démarche a fasciné, leur style a marqué les esprits. C’est une véritable école anti-politique qui s’est développé.

À cela s’ajoutent les anarchistes, qui les ont rejoint, justement par convergence anti-politique. Le mélange gilets jaunes – anarchistes des black blocks a été une véritable école de formation, produisant une démarche au style qu’on connaît historiquement : c’est celui des SA, des chemises noires. C’est le style du mouvement « élémentaire », partisan du coup de poing, du coup de force.

Comment la Gauche, déjà si faible, va-t-elle être en mesure de faire face si une telle démarche élémentaire réapparaît à moyen terme ? La Gauche historique allemande et italienne avaient échoués malgré sa force. Alors une Gauche française faible, sabotée par les courants post-modernes, post-industriels, post-historiques, post-nationaux ?

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Politique

Un acte VI des gilets jaunes toujours plus faible à tous les niveaux

Malgré une médiatisation de très haute importance et un activisme débridé, les gilets jaunes disparaissent, leur base sociale ne relevant somme toute que des classes moyennes. Cet effondrement s’accompagne d’une théâtralisation des gilets jaunes soulignant une fois de plus qu’on est là en-dehors de la lutte des classes.

Gilets jaunes

Les rassemblements des gilets jaunes pour un septième samedi consécutif reflètent le fiasco général de ce mouvement. Sur le plan du nombre, on doit tourner autour du tiers par rapport à la semaine dernière, où il y avait à peu près 40 000 personnes de mobilisées.

Malgré tout le tapage médiatique, l’utilisation massive des réseaux sociaux, les multiples blocages de routes et les initiatives les plus diverses, le mouvement des gilets jaunes s’étiole, s’efface littéralement. Rien de concret ne le porte, à part la rancoeur des classes moyennes.

Sur le plan des idées, la dimension politique révèle par conséquent désormais ouvertement ce qui était déjà clair pour qui avait des yeux et osait voir, pour qui avait des oreilles et osait entendre. Les drapeaux français ont été la norme, les dénonciations de « l’oligarchie » le principe, l’appel à un référendum « citoyen » un mythe mobilisateur digne de Georges Sorel.

On a là un mouvement élémentaire, dans l’esprit de la jacquerie fiscale, le rejet de toute réflexion politique. Rien de bon ne peut en sortir et les gens ayant une conscience sociale de Gauche ont raison de craindre que ce ne soit l’extrême-droite qui tire les marrons du feu. Le mode opératoire des gilets jaunes est trop en phase d’ailleurs avec le style de l’extrême-droite pour qu’il n’en soit pas ainsi.

Le portail de la banque de France a été incendié à Rouen, le drapeau européen enlevé devant Radio France à Paris, alors que cette ville a vu également des rassemblements devant BFM TV et France Télévisions, ce qui relève d’une lecture complotiste des médias, qui « manipulerait » l’opinion, qui relèveraient simplement de quelques banquiers décidant de tout, etc.

Gilets jaunes

Non pas que les médias soient « neutres », mais justement, protester contre eux en demandant pourquoi ils ne le sont pas, c’est une naïveté apolitique convergeant avec le fantasme petit-bourgeois d’un État « neutre », au-delà des bourgeois et des ouvriers. Ce n’est pas pour rien justement que les gilets jaunes ont systématiquement évité les thèmes risquant de mettre en mouvement les bourgeois et les ouvriers.

Ils ont fait comme si les bourgeois et les ouvriers n’existaient pas… Pour justifier leur existence sociale et donner de l’importance à une révolte élémentaire sans queue ni tête. Et il est effarant de voir le contraste suivant : les blocages des gilets jaunes ont été marqués par la mort de dix personnes, que 1500 manifestants ont été blessés (une cinquantaine grièvement), sans pour autant que cela aille de paire avec une véritable affirmation politique.

C’est là totalement fou ! Il y a quelque chose d’ampleur, mais en dehors de toute politique. C’est très exactement ce qui correspond au Fascisme. Et quand on voit le philosophe Michel Onfray saluer un prêtre faisant une messe de Noël avec 250 gilets jaunes, on a compris ce qui se passe : c’est l’émergence d’une révolte des classes moyennes, avec la convergence des idéalismes, la fusion du national et du social, la spontanéité primitive érigée en lutte.

Le temps des fachos et d’une extrême-droite conservatrice-nationaliste est fini, voici désormais le Fascisme qui ressurgit historiquement, comme mouvement anticapitaliste romantique par en bas. C’est un tournant dans l’histoire de notre pays.

Gilets jaunes