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Pétition : « Pas de tomate bio en hiver : non aux serres chauffées !  »

La Fédération Nationale d’Agriculture Biologique a lancé une pétition avec le Réseau Action Climat, la Fondation Nicolas Hulot et Greenpeace qui a eu un certain retentissement médiatique. Elle est adressée au Ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation Didier Guillaume, dans le but de défendre les principes de l’agriculture « bio » en encadrant mieux le secteur.

L’agriculture « bio » a été prise d’assaut ces dernières années par les grands groupes de l’agro-industrie et de la grande distribution. Ce label n’est pour eux qu’un moyen d’augmenter le profit en valorisant mieux les marchandises et en s’ouvrant à de nouveaux marchés. Cela passe bien sûr par une pression très forte sur les prix afin d’écraser la concurrence, ce qui signifie une quête perpétuelle de baisse des coûts.

L’industrialisation de l’agriculture « bio » qui existe depuis longtemps déjà en Espagne arrive donc en France et tend à écraser littéralement tout un secteur, qui voit ses principes disparaître.

On a ainsi des petits-producteurs dont la situation se complique sous la pression des gros, qui industrialisent la production « bio » et inondent le marché, qui plus est toute l’année. Les serres chauffées en sont un symbole très fort, en plus d’être une hérésie sur le plan de l’écologie et de la gastronomie.

On remarquera que les signataires mis en avant dans la pétition sont principalement des chefs cuisiniers, sur un mode « cuisine traditionnel ». Si on ne peut qu’être d’accord pour défendre la nourriture de qualité contre les horreurs agro-industrielles, il faut bien voir ici ce que cela signifie. On est pas dans une critique socialiste, qui consisterait à dire qu’il faut changer la production, pour la mettre au service de la population.

Il s’agit plutôt de la panique d’une petite-bourgeoisie aimant bien manger « bio », qui craint de voir s’effondrer tout un secteur auprès duquel elle peut s’approvisionner en produits de qualité, en marge de l’agriculture destinée à la grande majorité de la population.

Voici donc le texte de la pétition, que l’on peu signer en se rendant sur ce lien :

« Non à l’industrialisation de la Bio !

Monsieur le Ministre de l’Agriculture, il faut interdire la production de fruits et légumes bio hors saison !

Le marché bio se développe et les appétits aussi. Avec l’arrivée de nouveaux acteurs économiques poussant des pratiques incompatibles avec le cahier des charges bio, c’est tout le système qui est menacé !

Halte aux rendements à tout prix, oui aux saisons !

Depuis quelques mois, on voit se développer des projets de conversion biologique de serres chauffées pour la production de fruits et légumes hors saison (Pays de la Loire, Bretagne…). Ces projets en gestation vont permettre de retrouver sur les étals de la tomate bio française en plein mois de mars. Une aberration gustative, agronomique et environnementale !

Le chauffage des serres est incompatible avec le label bio

Le cahier des charges bio impose le « respect des cycles naturels » et une « utilisation responsable de l’énergie ». Chauffer sa serre pour produire des tomates ou des concombres en plein hiver ne peut donc pas être compatible avec l’agriculture biologique. Selon les régions et les années, la saison de la tomate peut aller de mai/juin à octobre/novembre, mais certainement pas en hiver.

Pour rentabiliser leurs serres chauffées, les industriels se spécialisent sur un ou deux légumes à forte valeur ajoutée. En diminuant la diversité des cultures, ils appauvrissent leurs sols et ainsi contreviennent encore aux principes de l’agriculture biologique.

Mobilisons-nous pour lutter contre l’industrialisation de la bio !

Nous avons jusqu’au 11 juillet 2019, prochaine date du Comité national de l’agriculture biologique, pour convaincre le Ministre de l’Agriculture de lutter contre l’industrialisation de la bio en limitant le recours au chauffage des serres à la production de plants et au maintien hors gel, garantissant ainsi que la production reste de saison.

Ne discréditons pas le label bio : soutenons les paysannes et paysans bio qui respectent les saisons, pas de serres chauffées pour produire à contre-saison !

Signez la pétition pour demander au Ministre de l’Agriculture de soutenir un encadrement strict du chauffage des serres en bio afin d’interdire la production de fruits et légumes bio hors saison.

Les premiers signataires :

Iñaki AIZPITARTE, Chef cuisinier Le Chateaubriand (1 étoile, Paris) ; Gaétan BERTHELOT, Chef cuisinier du traiteur bio Ressources (Paris) ; Tugdual de BETHUNE, chef cuisinier, Holen (Rennes), Nicolas BRIAND, Chef cuisinier, Le Château d’Apigné (Le Rheu) ; Cyril BORDRIER , Chef cuisinier Le verre volé (Paris) ; Clément CHARLOT, Chef cuisinier Fragments (Caen) ; Emmanuel CHARTRON, Chef de la Cuisine centrale de la Ville de Saint Tropez ; Ollie CLARKE, Chef cuisinier La Régalade (Paris) ; CLÉA, autrice culinaire et bloggeuse (Cléa Cuisine) ; Richard CORNET, Chef cuisinier L’Aménité (Nantes) ; Pascal DAUPHIN, Chef de cuisine Lycée Camille Pissarro (Pontoise) ; Sabine DELMAS, Chef de cuisine du Lycée Marie Curie (Versailles) ; Christophe DEMANGEL, Chef de Cuisine au Collège Jules Grévy (Poligny), membre des Cuisiniers de la République Française ; Xavier DENAMUR, restaurateur, propriétaire de cinq établissements dans le quartier du Marais à Paris ; Nicolas FERRÉ, Chef cuisinier Le Quai des Saveurs (Les Sables d’Olonne) ; Olivia GAUTIER directrice du restaurant Les Orangeries (Lussac-Les-Châteaux) ; Rémi GIRAUD, Chef cuisinier du restaurant Les hauts de Loire (2 étoiles, Onzain) ; Bernard GISQUET, Chef cuisinier de Lou Cantoum (Cestayrols) ; Arnaud GUILLOUX, chef cuisinier à Coquille (Rennes), Adeline GRATTARD, Cheffe cuisinière Yam’tcha (1 étoile, Paris) ; Sylvain GUILLEMOT, Chef cuisinier L’Auberge du Pont d’Acigné (1 étoile, Noyal-sur-Vilaine) ; Lionel HÉNAFF, Chef cuisinier L’Allium (1 étoile, Quimper) ; Thomas HUBERT, Chef cuisinier Olive & Artichaut (Nice), Fumio KUDAKA, Chef cuisinier La Table de Breizh Café (1 étoile) à Cancale ; Kevin LEPINE, Chef cuisinier de Texture (Saint Malo) ; Céline LE GALL, Cheffe cuisinière, et Yann ANDRÉ, gérant, La Renverse (Saint-Froult) ; Julien LEMARIE, chef cuisinier à l’IMA de Rennes, Ewen LE MOIGNE, Chef cuisinier de Saturne (1 étoile, Paris) ; Thierry LEBIGRE, Chef cuisinier du Centre hospitalier d’Embrun ; Flore MADELPUECH, artisane cuisinière, Cheffe de La table de Flore (Rouen) ; Bruno NOURRY, responsable de la cuisine municipale de St Hilaire de Riez ; François PASTEAU, Chef cuisinier de L’Epi Dupin (Paris), Morgan PERRIGAUD, Chef cuisinier Les Prémices (Bourron-Marlotte) ; Laurent PORÉE, cuisinier, créateur de La cantine de Babel (Le Mesnil-Rouxelin) ; Olivier ROELLINGER, Chef cuisinier, Maisons de Bricourt (Cancale), Hugo ROELLINGER, chef , Le Château Richeux (Saint Méloir des Ondes), David ROYER, Chef cuisinier étoilé du Château de sable (Porspoder) et du Roc’h Ar Mor (Plouescat) ; Sibylle SELLAM et Grégoire FOUCHERS, cuisiniers du Bercail (Rennes), Ndeye SOUMARÉ, Cheffe de cuisine de la Cité scolaire Chaptal (Paris) ; Didier Thévenet, directeur et cuisinier de la cuisine centrale de Lons-le-Saunier ; Jonathan THULLIEZ, Chef de cuisine du restaurant Le Bichat (Paris) ; David VACQUÉ, Chef cuisinier du Bistro gourmand (Nice) ; Caroline VRIGNAUX, Cheffe de cuisine R&D chez FoodChéri ; 4 diététiciennes et 13 chef.fes membres du Collectif les Pieds dans le Plat (restauration collective bio et locale) »

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Une loi sur l’alimentation favorable à l’agro-industrie capitaliste

L’Assemblée nationale a voté en lecture définitive ce mardi 2 octobre 2018 une loi issue des États généraux de l’alimentation. Elle focalise largement sur la question de la grande distribution et des prix, dans un sens favorable au modèle agro-industriel français.

Lors de son discours de Rungis il y a presque un an, Emmanuel Macron avait expliqué qu’il fallait un « changement profond de paradigme » concernant l’alimentation. L’idée derrière cette expression n’était pas de remettre en cause le modèle agro-industriel français mais d’encadrer mieux la position dominante exercée par le secteur de la grande distribution.

Le modèle agro-industriel français qui s’est développé durant les « Trente Glorieuses » a en effet engendré ce monstre de la grande distribution. Ce secteur n’existe que parce que lagro-industrie capitaliste a eu besoin d’écouler massivement et rapidement ses marchandises. Toutefois, sa position privilégiée vis-à-vis des consommateurs lui permet un certain rapport de force.

Essentiellement, cela consiste en une bataille pour baisser plus ou moins artificiellement les prix des marchandises alimentaires, afin d’attirer les clients. Cela rend totalement dépendante la population, et surtout les classes populaires, qui se dirigent forcément vers là où les prix sont les plus bas.

Ce mécanisme a renforcé la position dominante des grandes surfaces, qui se sont largement développées jusqu’à façonner entièrement le quotidien alimentaire des familles ainsi que l’organisation des villes elles-mêmes.

La loi s’inscrit précisément dans ce contexte, avec comme panorama l’épisode récent de la ruée dans des supermarchés pour des pots de « Nutella » à prix cassé, cela alors qu’une simple pomme « bio » est vendue très chère et est finalement assez difficile à se procurer.

La loi présentée par le Ministre de l’agriculture Stéphane Travert ne vise pas à remettre en cause ce modèle. Son intitulé exact est « pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable ».

Son objet est surtout une tentative de régulation des contradictions entre le secteur de la production des marchandises alimentaires et celui de leur distribution. La pression à la baisse sur les prix perturbe l’ensemble de l’économie agro-industrielle, et affaiblit notamment la rémunération d’une grande partie des agriculteurs qui sont déjà largement subventionnés.

Seulement, on est pas là dans un modèle cohérent et organisé, mais dans une succession de conflits d’intérêts privés entre différents secteurs et différent groupes qui rend impossible toute tentative d’avancer concrètement. Cela a engendré d’importantes luttes d’influence avec des débats très houleux tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, avec plusieurs milliers d’amendements déposés et en arrière-plan la démission de l’ex-ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot.

La loi vise surtout à encadrer les excès sur les prix avec des promotions sur les produits alimentaires limitées à 34 % de leur valeur et à 25 % des volumes de vente. Le seuil de vente à perte a également été relevé à 10 %, mais tout cela ne représente pas grand-chose. Aucune des parties, agriculteurs ou distributeurs, n’est réellement satisfaite.

L’aspect essentiel qu’il faut bien voir cependant, c’est que le modèle alimentaire français ne changera pas, qu’il restera conforme aux intérêts de l’agro-industrie capitaliste qui le façonne presque entièrement. Cela d’autant plus que les agriculteurs eux-mêmes se sont montré réfractaires à tout changement, assumant totalement leur soumission à cette agro-industrie via leur dépendance aux produits phytosanitaires.

> Lire également : Nicolas Hulot prétend défendre l’écologie pour servir Emmanuel Macron

La bataille pour l’interdiction des néonicotinoïdes et du glyphosate qu’ont mené quelques députés est un échec, de même que la plupart des prétentions réformistes d’améliorer le sort des animaux exploités.

La loi a même reconnu une revendication forte des industriels de la viande qui est d’interdire des termes comme « steak végétal » ou « saucisse vegan ».

Toutes les dispositions visant à plus de transparence sur les produits industriels (OGM, mode d’élevage, origine géographique, pesticide, engrais) ont été rejetées. Par contre, la loi favorise l’encadrement des secteurs protégés, des origines contrôlées. Ce sont des domaines permettant de fortes valeurs ajoutées, destinés à une clientèle aisée, n’existant qu’à la marge du modèle agro-industriel classique qui est la norme pour la majorité de la population.

L’obligation faite à la restauration collective d’avoir un objectif de 50% des achats de produits locaux ou avec un signe de qualité de type « Label Rouge » d’ici à 2022, dont au moins 20 % de produits issus de l’agriculture biologique, n’est qu’une tentative de modernisation du secteur.

Il n’y a aucune disposition stratégique agricole et industrielle allant dans ce sens, ni aucun véritable plan productif qui est établi. L’obligation ne concerne que des labels, dont les grands groupes pourront tout à fait s’accommoder d’ici là si cela permet d’assurer et d’élargir les bénéfices.

Cette loi n’a aucune ambition d’améliorer les choses, et la seule mesure allant éventuellement dans un sens positif n’est qu’une mesure d’accompagnement à la marge d’un phénomène qui existe déjà de plus en plus. En l’occurrence, les restaurants collectifs de plus de 200 couverts par jour devront présenter un plan pluriannuel de « diversification des protéines » avec « des alternatives à base de protéines végétales ».

Seulement, il ne suffit pas de décréter les choses par en haut de manière abstraite, sans bataille sur le plan culturel, si c’est pour en même temps laisser la main libre à l’agro-industrie capitaliste qui a totalement façonné les habitudes alimentaires de la population depuis plusieurs dizaines d’années.

L‘obligation, à titre expérimental pour une période de deux ans, d’instaurer dans les cantines scolaires un menu végétarien au moins une fois par semaine n’est par contre pas du tout une bonne chose. Dans le cadre actuel, avec les impératifs tarifaires que l’on connaît, avec les habitudes alimentaires qu’ont les chefs de cantines et avec la position dominante des grands groupes de l’alimentation pour fournir ces cantines, on sait déjà ce que cela donnera. Au lieu de la viande, il y aura des substituts type « nugget » ou « cordon bleu », à base de blé ou de soja industriels insipide, que les enfants n’apprécieront pas du tout (ou qu’ils n’apprécient déjà pas du tout, puisque beaucoup de cantines proposent déjà régulièrement ce genre de produits).

C’est absolument contre-productif, mais cela est conforme à l’agro-industrie capitaliste qui trouve là un nouveau débouché pour diversifier sa production.

Cela fait d’ailleurs quelques années que la grande distribution propose largement ce genres produits. Ce sont des marchandises hautement transformées, ne changeant absolument pas le modèle alimentaire dans un sens meilleur, ni nutritivement, ni gustativement (qui sont deux aspects totalement liés par ailleurs).