La grève se termine par un accord syndical conforme aux exigences du groupe Total. Voilà ce qui se passe quand on choisit les syndicat, OXFAM et Greenpeace au lieu du peuple.
C’est une des grèves les plus combatives de ces derniers temps, une grève pour laquelle beaucoup de monde s’est mobilisé. Et pourtant on n’y comprend rien du tout quand on s’y intéresse.
Il faut dire qu’il y a tous les ingrédients pour que les gens ne comprennent rien : des décisions purement syndicales d’un côté, le refus de la politique de l’autre. C’est à croire que tout a été fait pour qu’il n’y ait pas d’espace démocratique.
Essayons d’expliquer les choses simplement. La chose est ainsi faite qu’il y a bien eu une assemblée générale de la raffinerie Total de Grandpuits en Seine-et-Marne. Et c’est elle qui a décidé de la fin de la grève commencée il y a un mois et demi.
Une assemblée générale, c’est la démocratie des travailleurs dans une entreprise. Là, on se dit, soit, il y a une expérience de démocratie de la part du peuple travailleur. Peu importe les choix effectués, c’est très bien historiquement.
En pratique, par exemple, Total avait fait du chantage. La multinationale française a dit : attention, si vous n’arrêtez pas la grève, il y aura un recul sur les mesures sociales d’accompagnement concernant les 150 personnes qui vont être mises de côté.
Les travailleurs peuvent considérer qu’il ne faut pas perdre cela. C’est bien compréhensible !
Sauf que ce n’est pas aussi simple. Déjà, l’assemblée générale n’en a pas été une. Les travailleurs non grévistes… n’avaient pas le droit de vote. C’est le contraire de la démocratie populaire.
Ensuite, l’assemblée générale a été à la remorque de l’intersyndicale, qui se chargeait de négocier. L’assemblée générale n’a donc pas été une assemblée générale, mais une caisse d’enregistrements de la part des grévistes. Elle n’a pas fait vivre la démocratie du peuple.
Avec une telle approche, inévitablement à un moment donné la majorité tente de s’en sortir autant que possible, sans envergure. On surveille les négociations, on valide tel ou tel point de vue. Mais à un moment on se retire. Et, donc, la majorité des syndicats a accepté le Plan social pour l’emploi négocié syndicalement, et à l’assemblée générale ils se sont précipités pour faire passer la chose.
C’est inévitable vue la démarche. D’ailleurs, c’est Total et la CFDT qui ont annoncé la fin de la grève ! Ce qui veut tout dire.
On notera encore une fois le rôle de la CFDT dans son accompagnement moderniste de la restructuration capitaliste. La CFDT disait en septembre 2020 :
« TOTAL GRANDPUITS – GARGENVILLE : La CFDT n’acceptera aucune suppression d’emploi » !
En pratique, Total maintient cependant son plan tout en prévoyant divers plans et options et promesses pour les 150 salariés mis de côté, ainsi que les 300 travailleurs des sous-traitants voisins. Quant aux garanties, il n’y en a pas. La CFDT a un rôle d’agent de la restructuration dans les rangs des travailleurs.
Parmi les autres syndicats signataires, on a la CGT-Force Ouvrière et la CFE-CGC. Mais pas la CGT. Cela ne veut nullement dire que la CGT soit opposée à la restructuration, comme l’exposent ses soutiens d’ultra-gauche, notamment certains courants trotskistes qui n’ont cessé de présenter la grève de Grandpuits comme exemplaire.
En réalité, la CGT est simplement sur une ligne conservatrice, de type industrialo-nationaliste, avec comme base ceux qui ont profité grassement des accords syndicaux dans les entreprises.
D’ailleurs, que dit la CGT ? Elle considère ainsi que le Plan social n’est pas très clair et qu’il faut voir ce que va en dire la Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi. Elle aurait préféré quinze jours de grève en plus.
Cela n’a pas de sens. Prétendre que la victoire peut encore sortir d’un tour de passe-passe administratif, c’est démobiliser. Il aurait mieux valu reconnaître la défaite, cela aurait eu plus de sens, pour tracer un bilan et tenter de relancer un prochain tour.
Mais il est vrai que les syndicats ont absolument tout fait rater à tous les niveaux, ce qui est inévitable. Au lieu d’avoir eu un pack avec tous les travailleurs unis par une assemblée générale, on a des syndicats négociant « au mieux » et avec un refus de mobiliser les masses.
D’où le scénario absurde du mardi 9 février, d’ailleurs. Ce jour-là une centaine de salariés de la raffinerie sont allés protester devant le siège de Total à La Défense. Tout cela donc alors que le Plan social pour l’emploi était en même temps validé !
Et la CGT, qui n’est pas en force à la raffinerie (c’est la CFDT qui l’est), s’est mise en tête, afin de renforcer artificiellement la lutte, de s’allier… à Greenpeace. Celle-ci accuse la multinationale française Total de « greenwashing » : Total ne serait pas vraiment écologiste dans sa démarche choisie et il faudrait donc soutenir la CGT à refuser le démantèlement de la raffinerie au profit d’une usine de production de biocarburants et en une usine de production bioplastiques, avec une usine de recyclage plastique et une centrale photovoltaïque !
Cela ne doit pas surprendre pourtant. Greenpeace, c’est une association multinationale à la stratégie opaque (clairement indirectement lié à certaines grandes puissances), au budget de 350 millions d’euros d’ailleurs.
Mais ce n’est pas tout. Le 9 février, on avait donc à La Défense le secrétaire général de la CGT, Philippe Martinez, le directeur général de Greenpeace France, Jean-François Julliard… mais également Cécile Duflot, ancienne ministre EELV du logement et maintenant à la tête de l’ONG Oxfam France.
Oxfam est une ONG multinationale contre la pauvreté, enfin une ONG très britannique, qui a un budget annuel de… plus d’un milliard d’euros.
À un moment, il ne faut pas être idiot : ce n’est pas pour rien que des ONG anglo-saxonnes aident un syndicat à mettre des bâtons dans les roues de Total, une multinationale française (dont le président vient d’ailleurs d’annoncer un changement de nom, ce sera désormais TotalEnergies).
Ces associations richissimes, soutenus à coups de millions par des organismes divers et variés, soutenus par les médias, relèvent du grand jeu du « soft power » des capitalistes. Ne pas voir cela, ce n’est rien comprendre au capitalisme et à ses jeux par la bande.
Alors, demandons-le : quel rapport avec la lutte des classes ? Où est la compréhension de la restructuration capitaliste ? Où est le refus catégorique de toute autre décision que la garantie de l’emploi de tous les travailleurs, y compris ceux des sous-traitants ?
On parle de Total, une entreprise richissime, et on est pas capable de demander cela, en 2021 ?
Et ce n’est pas une question (simplement) de morale, de politique. C’est simplement que face à un monstre comme Total, toute autre position ne fait pas le poids. Cela va être une machinerie qui va clairement diviser les travailleurs et les briser. Toute autre position que la lutte, c’est accepter le broyage ! On ne combat pas une restructuration autrement que par le conflit à la bonne intensité !
Et quand on fait une assemblée générale, on ne confère pas les pouvoirs à l’intersyndicale, les syndicats s’effacent, devant la démocratie pour tous les travailleurs, grévistes ou non.